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 France :Face à la crise sociale générale

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mihou
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mihou


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03062006
MessageFrance :Face à la crise sociale générale

Face à la crise sociale générale,
Construire un nouveau contrat social fondé sur les principes de
Solidarité, dignité, citoyenneté *

Par Françoise Duthu,
Ancienne députée au Parlement Européen, les Verts.

30 Novembre 2006

Les récentes émeutes des banlieues sont la manifestation d’une crise majeure vécue par une population qui s’est trouvée reléguée dans des quartiers périphériques et populaires depuis plusieurs décennies, en proie à la dégradation urbaine, l’échec scolaire, l’absence d’accès à l’emploi et au logement, à l’encontre de la devise républicaine Liberté, égalité, fraternité.

C’est l’absence d’un avenir vivable et digne qui se traduit aujourd’hui par une révolte usant tous les moyens de la visibilité. Des milliers de voitures ont brûlé, mais aussi des équipements sportifs ou scolaires. Pourquoi, s’est-on inquiété, détruisent-ils les lieux d’apprentissage, de culture, de pratique sportive ? La réponse est pourtant claire : les jeunes « casseurs » n’y croient plus.

Si le feu a été déclenché par le ministre de l’intérieur chassant sur les terres du FN dans la perspective des présidentielles de 2007, - qui se vantait de nettoyer les cités au karcher, de débarasser les quartiers de la « racaille », et qui n’a pas hésité à mentir au mensonge pour couvrir des policiers qui ont bel et bien poursuivi les jeunes Zyed et Bouna, électrocutés en tentant de leur échapper- il couvait depuis très longtemps et les politiques de la ville depuis 25 ans, conduites par la droite et par la gauche, se sont avérées impuissantes à combattre les tendances lourdes.

Beaucoup s’accordent aujourd’hui à voir dans ces évènements le symptôme d’une crise des banlieues. Mais si la forme de cette crise est bien spécifique en effet, elle est totalement articulée à celle de la société française qui depuis plus de trente ans se segmente sous l’effet de la désagrégation de la société des « 30 glorieuses ».

Le choix de s’insérer dans la « mondialisation » a été fait en France sous le gouvernement de Pierre Mauroy. Après une tentative de relance « classique » qui échoue, le choix est alors fait de mettre fin au contrôle des changes et de s’arrimer un système monétaire européen. Peu à peu, les choix successifs opérés (et notamment ceux du traité de Maastricht), débouchent sur la perte de pouvoir d’achat, le chômage de masse, la précarisation, la remise en cause de la protection sociale, les privatisations, …. La décentralisation des années 80, intéressante dans sa tentative de rapprocher la décision du citoyen, a malgré tout contribué, en l’absence de régulations suffisantes et de débats de société, accompagnée par une politique de la ville ciblée sur quelques centaines de quartier, au développement de tendances ségrégatives, éloignant toujours plus quartiers dits sensibles (en fait espaces de relégation) et quartiers de riches, éloignant de plus en plus la réalité de la République de sa devise Liberté, égalité, fraternité. Le sentiment d’insécurité, alimenté de surcroît par une extrême-droite virulente contre les migrants, et confortée finalement par des attitudes peu claires des forces politiques de droite comme de gauche, s’est constamment amplifié. Des groupes sociaux entiers se considèrent avec peur et méfiance. Les jeunes des quartiers en particulier se voient imposer des images globalisantes et négatives, et se trouvent en butte à des traitements brutaux et humiliants de la part des forces de police et des pratiques discriminatoires à l’embauche.

Au final, il n’est pas excessif de relier la « crise des banlieues » au délitement social que l’on observe de façon plus générale.

On perçoit de plus en plus clairement dans les classes populaires comme dans les classes moyennes que non seulement que la situation se dégrade et en premier lieu sur le marché du travail, mais aussi que la classe politique joue une logique de la réparation et ne propose pas de solutions à la hauteur des défis à relever. On perçoit aussi que cette classe politique priorise souvent son propre avenir par rapport à la recherche de l’intérêt général. Le projet européen de Traité constitutionnel lui-même a été interprété comme menaçant et rejeté massivement, après un débat citoyen particulièrement soutenu, manifestant le refus des orientations de politiques économiques et sociales des 20 ou 30 dernières années et le souhait d’un avenir plus solidaire.

La France de l’après guerre avait un projet ambitieux pour tous. Ecole pour tous, accès à la culture, à l’emploi, au logement, sécurité sociale, sens du service public…Progressivement, elle s’est résignée « limiter les dégâts ». L’action publique se fixe pour objectif de réparer les dégâts provoqués par les dynamiques issues de choix de politiques économiques inspirées par le néolibéralisme, renonçant à agir en amont, au niveau des causes.

Notre pays a en outre laissé se constituer, à travers le traitement de l’immigration (principalement ouvrière et en provenance des anciennes colonies)- au lieu de valoriser la richesse humaine qui en résultait- un discours de peur, de haine et de fractionnement. La gauche, en particulier le PS, qui pour conquérir le pouvoir, a utilisé un jeu complaisant avec le FN, a sa part de responsabilité.

Mais quoi qu’il en soit, la France aujourd’hui est une société fractionnée, où les solidarités traditionnelles se sont défaites, où des ghettos sociaux se sont multipliés (ghettos pauvres comme ghettos riches), où l’école n’arrive pas à assurer la promotion d’une fraction importante des jeunes, où à la discrimination sociale s’ajoutent les discriminations ethniques post-coloniales, où le chômage de masse s’accompagne de la multiplication de statuts précaires (cf dernièrement le contrat nouvel embauche), où les solutions proposées sont toujours plus de flexibilité et de modération salariale, où les réformes fiscales se font à l’avantage des plus riches…..Quant aux quartiers, on propose toujours des politiques ciblées, sans se rendre compte de l’interdépendance des situations entre tous les territoires et toutes les politiques. Ainsi les exonérations de TVA ont plus déplacé des emplois vers quelques banlieues, créant relativement peu d’emploi, et détruisant les emplois situés quelques kilomètres plus loin.

Le non au TCE comme les émeutes sont le signe flagrant d’un même problème : notre société est dans une impasse sociale et démocratique dont il faut sortir.
Le politique doit retrouver sa fonction première, celui de donner du sens, de permettre à une société de plus en plus complexe et riche de diversité de vivre ensemble. La Rébublique jacobine et égalitariste a vécu. Il faut la refonder.

Les politiques ne doivent pas laisser croire que nous pourrions retourner aux années dites fastes du fordisme (des 30 glorieuses en France). Non seulement en raison du tour pris par « la mondialisation » mais aussi parce que le modèle de développement choisi est incompatible avec la capacité de charge de la planète. La crise énergétique comme la détérioration climatique, la pollution des sols et la contamination de notre alimentation sont là pour nous le rappeler.

Ce moment de crise – souligné à deux reprises cette année (29 mai, révolte des ghettos)- est un moment d’opportunité pour renverser l’ordre des priorités : une société plus juste, qualitativement plus riche en relations humaines, acceptant ses diversités, valorisant le plaisir de construire ensemble, économiquement plus sobre, donnant à ses membres la capacité de participer aux choix structurants l’avenir, du local au national.

La classe politique française a la responsabilité en ce moment historique précis de mettre l’accent sur la nature profonde de la crise et de proposer la recherche commune d’un autre projet pour notre pays et pour l’Europe. Pour cela elle doit s’appuyer sur quelques principes structurants et prioriser trois grands chantiers, l’emploi, l’école, l’urbanisme et le logement.

DES PRINCIPES POUR UNE ACTION RENOVEE :

* Sortir d’une logique répressive fondée sur la manipulation de la peur – qui ne peut que contribuer à l’accentuation des ségrégations et in fine à une grave menace sur la démocratie- et une démagogie électorale de bas étage.
* Respecter les habitants des quartiers en difficulté, et en particulier les jeunes (jeunes hommes, jeunes femmes). Mettre en œuvre des mécanismes pour casser le racisme institutionnalisé. La formation des policiers doit inclure cette préoccupation. Les discriminations positives n’ont de sens que dans une politique d’ensemble, portant prioritairement sur les questions de la formation, de l’emploi et du logement, visant à promouvoir une société d’inclusion, conjuguant égalité et diversité.
* Redonner confiance dans l’action politique et donner du pouvoir aux élus locaux et aux citoyens. Il faut oser mettre en place la fin du cumul de mandats et promouvoir une relation éthique à la politique. Les élus en charge de fonction exécutive doivent disposer de revenus suffisants pour qu’ils puissent se consacrer à leur mandat unique. Un statut de l’élu local devrait donner des moyens d’action y compris aux simples conseillers municipaux. La démocratie représentative est à rénover (élection directe des représentants d’agglo ou de pays, suppression des départements) et associée à des mécanismes de démocratie participative permettant une réelle implication et influence des habitants sur les choix opérés sur les territoires.
* Anticiper, traiter les causes, cesser d’intervenir sur le mode réparatif, lorsqu’il est trop tard. Et réhabiliter l’action publique, en rompant avec la culture de toujours plus de marché. Marché, pouvoirs publics, tiers-secteur doivent agir en synergie au sein d’une économie et d’une société pluriellles. C’est la logique sociale qui doit orienter les choix économiques (en intégrant la contrainte environnementale) et non l’inverse.
* Articuler l’action des pouvoirs publics du local au national en se fondant sur la notion de subsidarité active, en y associant l’action des citoyens. Les divers échelons d’organisation des pouvoirs publics doivent poursuivre des objectifs communs. Le local (municipal, agglo, pays) peut devenir un « corps intermédiare » capable d’interaction avec l’action des habitants organisés, capable aussi de faire remonter vers les échelons supérieurs les expérimentations généralisables. L’aptitude dont font preuve les acteurs de la vie politique, économique, sociale, à être des acteurs de changement, doit être reconnue comme un levier des réformes nationales et une contribution à la mise en forme d’un nouveau contrat social.


TROIS CHANTIERS PRIORITAIRES :

* Emploi :
o Appuyer partout les initiatives locales et lancer un vaste plan de financement d'initiatives locales. Cessons de croire que c'est par des décisions de l'Etat, des règles nationales et des circulaires qu'on résoudra les problèmes de lieux aussi complexes. Le changement doit venir d'en bas, du terrain, de ceux qui, au quotidien, voient les besoins et ont des idées, adaptées à la situation locale, qui n'est jamais la même ailleurs. Associations de soutien aux parents, écoles innovantes, entreprises, commerce... Tout cela, plus ou moins lié à l'économie sociale et solidaire, doit constituer le levier du changement dans une optique de développement durable.
o Les pratiques discriminantes doivent être identifiées et combattues, en particulier sur le marché du travail. Un sytème de sanctions dissuasif s’imposant aux administrations comme aux entreprises doit être imaginé et mis en place. *abolir toutes les mesures récentes (contrat nouvel embauche…) qui génèrent précarité et entraînent le développement du phénomène des travailleurs pauvres ; *revoir le système d’indemnisation du chômage et l’articuler à une politique de formation qualifiante.
* Ecole, politique de l’enfance : il faut se saisir à pleines mains de ce chantier prioritaire.
o Une politique de l’enfance et de l’éducation associant sur un territoire l’ensemble des services publics concernés et les associations de prévention et d’éducation populaire doit être menée pour développer l’autonomie, la créativité, la capacité d’expression des jeunes. *Les études montrent à quel point le « destin social » se fabrique dans les années de jeunesse, à quel point les différentes couches sociales pratiquent une politique d’évitement et ont une stratégie de logement en relation aux relations sociales souhaitées pour eux-mêmes et leurs enfants. Il faut agir contre la pérennisation d’une école à plusieurs vitesses, imaginer, au-delà de moyens accrus accordés aux ZEP (15 élèves par classe, des enseignants expérimentés…), et de la refondation des méthodes pédagogiques (responsabilisation, créativité, apprentissage de la médiation), des systèmes de bourse et de promotion permettant la sortie des ghettos de relégation.
o L’école doit aussi reconnaître les diversités, combattre les discriminations. L’histoire ne peut plus être enseignée en laissant de côté l’esclavage, la colonisation, la décolonisation, la contribution des migrations au développement économique, social et culturel de la France…. Tous les enfants doivent pouvoir reconnaître un pan de l’histoire de leurs parents et leurs ancêtres dans les manuels d’histoire.


* Urbanisme, habitat, services publics:
o Nous devons tirer le meilleur des expériences locales réussies de la réhabilitation de l’habitat en direction de la mixité sociale et oser aller à l’encontre des réflexes communautaires des riches aussi bien que des pauvres (constitution de ghettos ethniques, qui historiquement se sont constitués par relégation sociale plus que par choix positif).
o Il faut expérimenter des systèmes d’aide au logement associés à la sortie du quartier d’origine et mettre sur pied un service public du logement identique au système du service public de l’emploi.
o Un égal accès aux services publics doit être garanti sur l’ensemble du territoire. Il faut donc refuser la logique de privatisation, mais aussi repenser une organisation plus démocratique de ces services, associant populations, usagers, syndicats et pouvoirs publics.


Ce n’est donc pas d’un nouveau projet pour les banlieues que nous avons besoin, - même si des mesures précises devront y être prises - mais d’un nouveau projet pour la France (et pour l’Europe). Un nouveau projet pour faire société ensemble, avec nos diversités. Un nouveau projet qui privilégie le « lien » sur le « bien ».


* Avec l'autorisation de l'auteur
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