Actualité Economie
Problématique de la discrimination à l’accès au logement au Maroc*
lundi 29 mai 2006.
Le logement constitue un droit fondamental, c’est l’un des socles les plus importants de la solidarité sociale. L’égalité des chances pour l’accès au logement se pose avec acuité dans tous les pays du monde et, en particulier, dans les pays en voie de développement, dont le Maroc. Le Maroc produit près de 120.000 logements par année, le croît démographique nécessite près de 110.000 logements. Près de 18,3 % de ménages sont des locataires, et 65,1 % sont des propriétaires, 11,9% des ménages urbains sont logés en cohabitation et 4,7 % pour le milieu rural. 7,2 % des ménages habitent un logement précaire. Les ménages marocains consacrent près de 22,1 % de leur budget à l’habitation.
Le déficit cumulé en logement est estimé à près de 1,25 million de logements. Pour l’état des équipements et des infrastructures de base dans le logement, les statistiques montrent que 42,5 % des logements ne sont pas raccordés à une source d’eau potable, 28,4 % ne sont pas branchés au réseau d’électricité et 21 % sont privés de tout système d’assainissement. Dans l’état actuel des choses, le marché immobilier est régulé par les seuls mécanismes de l’offre et de la demande. Ce marché était déficitaire pour plusieurs années à cause de la faible production par rapport à la demande en logement.
Le surplus de la demande non satisfait dans le cadre de la production réglementaire est canalisé en général par le marché immobilier non réglementaire ou dans le cadre de la cohabitation. L’Etat intervient intensément dans la production de logement au Maroc, en particulier pour faciliter l’accès à l’habitat pour les ménages à faible revenu. De nos jours, le marché du logement constitue un marché fertile à la spéculation et au gain facile. Le Maroc ne dispose pas, aujourd’hui, d’un arsenal juridique permettant de contrôler les comportements discriminatoires en matière d’accès au logement. Même au niveau de la société civile, la question de lutte pour l’égalité des chances à l’accès au logement n’est pas encore à l’ordre du jour des ONG.
La France, à titre d’exemple, dispose de deux lois qui permettent de lutter contre toutes les formes discriminatoires en matière d’accès au logement, la société civile est très active sur ce volet, l’association « Droit à l’accès au logemen » est l’une des ONG les plus actives en matière de lutte pour renforcer le droit et l’égalité des chances des citoyens pour l’accès au logement. La discrimination en matière d’accès au logement au Maroc est imputable à plusieurs facteurs, les plus importants sont des facteurs d’ordre économique, spatial, réglementaire et juridique.
Facteurs économiques
L’offre actuelle en logement n’est pas adéquate par rapport au pouvoir d’achat des ménages, chose qui constitue un handicap majeur à l’accès au logement. Une frange importante des ménages se voit obligée de passer à l’habitat non réglementaire en particulier vers les bidonvilles. Les ménages concernés par ce handicap sont estimés à près de 400.000 selon les données officielles (Recensement général de la population et de l’habitat de 2004).
Ce phénomène peut prendre une autre forme, celle liée à la cohabitation. Ce phénomène en général concerne les jeunes ménages dont une bonne partie refuse d’aller habiter dans des logements précaires. Les ménages concernés par ce phénomène sont estimés à 500.000 selon les données officielles (enquête relative aux dépenses des ménages 2002).
Le système bancaire actuel représente un handicap discriminatoire pour l’accès au logement. Plusieurs ménages, dont les revenus ne sont pas réguliers, se voient de fait exclus de tout financement bancaire, en particulier ceux qui relèvent du secteur informel. Ces ménages doivent compter en général sur leur propre épargne pour accéder au logement décent ou sur des aides familiales. En général, ces ménages font partie des catégories de ceux qui sont en situation de cohabitation ou dans un habitat précaire.
Les statistiques montrent le nombre grandissant des familles qui se voient obligées de quitter ou d’être chassées de leurs logements suite à des affaires de spéculation, à la flambée des loyers, à la rénovation urbaine ou à des démolitions pour nouvelles constructions. La réglementation en général relative à la location ne protège pas les intérêts des ménages.
Les ménages pauvres au Maroc représentent près de 14,2%, soit 800.000 ménages. Ces ménages qui habitent, en général, les bidonvilles sont en situation d’attente pour accéder à des logements décents correspondant à leur pouvoir d’achat. Le rythme actuel de production de logements sociaux prive une bonne partie de ces ménages pauvres, de l’accès à un logement social décent.
Facteur spatial
Le milieu rural compte une population de 13,6 millions d’habitants, où l’habitat non décent représente 22 %, alors que 4,7 % des ménages se trouvent en situation de cohabitation. Ces chiffres renseignent sur les difficultés rencontrées par les habitants en milieu rural pour accéder à un logement décent. La forme discriminatoire la plus présente en milieu rural est celle liée à l’inexistence d’un habitat décent répondant aux normes reconnues en la matière, en particulier les équipements et les infrastructures de base.
En milieu rural, l’intervention de l’Etat en matière d’habitat est très rare, et son soutien aux ménages pauvres est pratiquement inexistant. En général, les ménages qui veulent accéder au logement décent doivent compter sur leurs propres ressources financières, particulièrement les ménages pauvres. C’est ainsi, et par manque de revenus stables, que plusieurs ménages se voient obligés de quitter leur territoire d’origine à la recherche d’un habitat décent en ville. En habitant des bidonvilles, ils s’inscrivent dans la liste d’attente de ceux qui vont avoir la chance d’accéder à l’aide de l’Etat en matière de logement.
Facteurs réglementaires
Les documents exigés pour accéder au logement en particulier pour la location (photographie d’identité, relevé du compte bancaire, attestation de salaire, état d’engagement), constituent des handicaps à l’accès au logement. Plusieurs personnes se voient exclues en matière d’accès au logement suite à leur appartenance à une catégorie socioprofessionnelle, leur genre, ˇ Un autre facteur, aussi important que les autres, est celui lié à la modernisation de l’arsenal juridique relatif à l’urbanisme. Les nouvelles normes introduites contribuent à l’exclusion d’un nombre important de ménages à l’accès au logement suite aux coûts supplémentaires engendrés par les nouvelles normes d’habitat et d’urbanisme.
Facteurs socioculturels
Les personnes qui n’admettent pas le principe de taux d’intérêt exigé par le système bancaire, pour des raisons religieuses et culturelles, sont exclues de fait de l’accès au logement. Aussi et pour des raisons culturelles, la femme en général n’a pas l’accès facile au logement au Maroc, notamment les veuves, les divorcées et les célibataires. En conclusion, la discrimination en matière d’accès au logement au Maroc subsiste de manière criarde, pour des raisons économiques, réglementaires et socioculturelles. Il est impératif de procéder à des actions et mesures urgentes pour le court et le moyen termes. Pour le court terme, il faut mettre à niveau et harmoniser l’arsenal juridique et procédural afin d’éliminer tous les dysfonctionnements constatés actuellement à ce niveau.
Pour le moyen terme, il y a lieu d’asseoir une politique économique réelle permettant l’augmentation du niveau de vie des citoyens afin de leur faciliter l’accès au logement, et de mener une campagne de sensibilisation et d’information contre tous les tabous socioculturels et religieux qui empêchent le recours aux opportunités offertes par le marché financier « emprunts, taux d’intérêt » et tous les handicaps d’ordre social, culturel et religieux. Une vision globale doit être mise en place pour relever et mettre en œuvre toutes les mesures visant l’éradication de toute forme de discrimination devant l’accès au logement, que ce soit dans les villes ou les campagnes, ou entre différentes couches sociales ou groupes socioprofessionnels. Ces mesures devront toucher les deux volets d’accès au logement, à savoir l’accès à la propriété et l’accès à la location.
*Intervention faite dans le cadre du séminaire organisé par l’Institut universitaire de la recherche scientifique à Rabat sur « Les inégalités sociales au Maroc : les implications de la politique de mise à niveau »
Par Effina Driss : Chercheur en habitat | LE MATIN
www.lematin.ma
http://www.jeunesdumaroc.com/breve4038.html