Dossier d'actualité. le 15/10/2002
Burkina Faso
Voilà quinze ans disparaissait le capitaine Thomas Sankara, chef de la révolution burkinabé de 1983 à 1987. Retour sur les événements tragiques de son assassinat et portrait d’un chef d’État pas comme les autres…
Il était une fois… Thomas Sankara
Il y a quinze ans disparaissait le capitaine Thomas Sankara. Retour sur son assassinat et portrait d’un chef d’État pas comme les autres…
De notre correspondant au Burkina Faso Jeudi 15 octobre 1987. Il est 16 heures. Des armes crépitent au Conseil de l’entente, l’état-major du Conseil national de la révolution à Ouagadougou, tout près des ministères et de la présidence. Un groupe de soldats para-commando vient de débarquer avec, à l’évidence, pour mission de liquider tout le monde. Dans la cour, tous les gardes sont abattus. Dans un bureau, le capitaine Thomas Sankara en réunion avec des conseillers lance à son entourage : «restez-là, c’est moi qu’ils veulent !» Le président, en tenue de sport, se précipite dehors les mains en l’air. Mais il est immédiatement fauché à l’arme automatique. Aucun de ses gardes ni conseillers ne sera épargné. En tout, une quinzaine de personnes sont abattues. Ils seront tous enterrés à la hâte, la même nuit, au cimetière de Dagnoen, un quartier de l’est de Ouagadougou. Dans toute la zone de la présidence et du Conseil de l’entente, militaires et civils courent dans tous les sens. Les Burkinabés qui sont au bureau ou à la maison se précipitent vers les postes transistors. Sur Radio Burkina, les programmes sont suspendus. On ne diffuse plus que de la musique militaire. Pour des Burkinabés déjà habitués aux coups d’État, c’est un signe qui ne trompe pas : le pouvoir a changé de main. La confirmation ne tarde pas. Un communiqué lu à la radio par un officier annonce notamment la démission du président du Faso, la dissolution du Conseil national de la révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré, jusque-là numéro deux du régime révolutionnaire. La confusion est totale. Le citoyen de base ne comprend pas pourquoi un règlement de comptes aussi sanglant entre deux leaders considérés comme «amis et frères». Mais les observateurs, eux, ne sont pas surpris. Depuis quelques mois, la guerre des chefs avait commencé au sommet de l’État entre les deux capitaines, numéros un et deux du régime. L’entente entre ces deux hommes, qui partageaient même des repas familiaux ensemble, s’effritait alors que la révolution déclenchée le 4 août 1983 entamait tout juste sa cinquième année. A Ouagadougou, les rumeurs de coup d’État se faisaient de plus en plus persistantes. «Le jour que vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’État contre moi, ce n’est pas la peine de me prévenir. Car, ce serait trop tard », avait lancé avec prémonition Thomas Sankara à des journalistes. Il faisait ainsi allusion à la forte amitié qui le liait à Compaoré. Par naïveté ou par impuissance, le charismatique chef de la révolution burkinabé n’! échappera donc pas aux balles de son entourage. Sa mort fit l’effet d’une bombe. Au Burkina et partout sur le continent, tout le monde est sous le choc. La consternation est générale notamment au sein de la jeunesse africaine. Le rêve placé dans ce jeune officier de 38 ans vient de se briser. Arrivé au pouvoir 4 ans plus tôt à la suite d’un coup d’Etat mené par un groupe de jeunes officiers, le capitaine Thomas Sankara avait engagé une révolution pour changer les mentalités dans son pays, la Haute-Volta, l’un des États les plus pauvres de la planète. Il encourage ses compatriotes à compter sur leurs propres forces. Son gouvernement engage alors de vastes chantiers dans les domaines de la production, de l’éducation, de la santé, du logement, des infrastructures, etc.
Ses successeurs dresseront un bilan positif de ces quatre années de révolution. Thomas Sankara reprend à son compte les discours panafricanistes de Kwamé Nkrumah ou de Lumumba. Il pourfend l’impérialisme dans ses discours et appelle à de nouveaux rapport! s entre le Nord et le Sud. Invité au sommet Franco-africain de Vittel quelques mois après son arrivée au pouvoir en 1983, il refuse de serrer la main à Guy Penne, le conseiller de François Mitterrand venu l’accueillir à l’aéroport à Paris pour protester ainsi contre le manque de considération à un chef d’État africain. Thomas Sankara s’attaque avec force à l’apartheid. A la tribune de l’OUA, des Nations unies, son discours dérange. «Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer», avait lancé le président burkinabé dans un tonnerre d’applaudissements à la tribune d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba. L’homme tranchait des autres présidents par sa simplicité et la rigueur imposée aux membres de son gouvernement. Il avait mis au garage les Limousines du parc automobile de l’Etat, imposant des Renault 5 comme voitures de fonction pour lui et ses ministres. P! our inciter la consommation locale, il imposait des tenues en cotonnade tissée à la place des costumes occidentaux. La corruption avait disparu dans ce pays qu’il avait rebaptisé en 1984 Burkina Faso : la patrie des hommes intègres en langue locale. La révolution multiplie les victoires mais aussi les erreurs, comme la décision de rendre gratuit durant toute une année les loyers, ou les dérives des Comités de défense de la révolution (CDR) qui faisaient la loi dans les quartiers et les services ou encore les nombreux «dégagements» de fonctionnaires pour manque d’engagement dans la révolution, ou une diplomatie régionale très critique à l’égard de ses voisins, en dehors du Ghana de Jerry John Rawlings. Quinze après sa disparition, les Burkinabés gardent de lui l’image d’un homme intègre, qui a changé les mentalités de ses concitoyens et donné une dignité à son pays. Une image et un idéal qui résistent encore au temps et dont se réclament une demi-douzaine de partis politiques, détenteurs de sept sièges à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de mai dernier.
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Dossier d'actualité. le 14/10/2002
Burkina Faso
Il n’y a pas d’avancée dans l’affaire Thomas Sankara. Quinze ans après son assassinat dans un coup d’Etat, la famille et les partis sankaristes réclament toujours justice, sans succès. La procédure judiciaire enclenchée il y a cinq ans piétine.
Affaire Sankara : la vérité ne semble pas pour demain...
Quinze ans après l'assassinat de Thomas Sankara dans un coup d’Etat, la famille et les partis sankaristes réclament toujours justice, sans succès.
De notre correspondant au Burkina Faso Depuis plus d’un an, la procédure judiciaire sur l’affaire Thomas Sankara est pratiquement bloquée. Elle avait démarré le 29 septembre 1997 par une plainte déposée in extremis par un avocat burkinabé au nom de l’épouse du défunt président Mariam Sankara et de ses deux enfants. La veuve et les enfants qui vivent en exil à Montpellier (France) ont pu éviter ainsi la prescription du crime commis le 15 octobre 1987. La plainte déposée auprès du tribunal de grande instance de Ouagadougou est dirigée contre X pour «assassinat et faux en écriture publique». Le certificat de décès signé par un médecin militaire mentionnait que l’ancien président tombé sous les balles, était mort de «mort naturelle». Alors que beaucoup d’observateurs étaient pessimistes sur la suite de la procédure, un juge d’instruction Alexis Kambiré prend immédiatement une ordonnance pour ouvrir une information sur le dossier. Mais sur requête du parquet général de la cour d’appel de Ouagadougou, la chambre d’accusation prend un arrêt le 26 janvier 2000 qui rend les juridictions de droit commun incompétentes pour connaître de cette affaire. Les avocats de la famille de Thomas Sankara s’étaient alors pourvus en cassation devant la cour suprême. Mais celle-ci juge, le 19 juin 2001, irrecevable «en la forme» la plainte pour défaut de caution non versée auprès de la Cour par les avocats de la famille. Cette dernière décision renvoie les parties à se conformer à l’arrêt de la chambre d’accusation. Celle-ci avait fondé son argument sur le fait que le crime s’était déroulé dans une enceinte militaire à savoir le Conseil de l’entente qui abrite encore aujourd’hui l’Etat-major de la sécurité présidentielle. Ce qui revient à dire que seul le tribunal militaire peut juger cette affaire. Or, selon le code de procédure de la justice militaire au Burkina, seul le ministre de la Défense peut donner l’ordre de poursuite à cette juridiction d’exception. Mais jusqu’à ce jour soit 14 mois après la décision de la cour suprême, cet ordre n’a toujours pas été donné par le général Kouamé Lougué. Pourtant dès le verdict de la Cour suprême, maître Dieudonné Nkounkou du barreau de Montpellier et maître Bénéwendé Sankara (sans lien de parenté avec l’ancien président) qui représentent la famille Sankara écrivaient au ministre de la défense pour lui rappeler «son devoir de donner l’ordre de po! ursuite».
Parallèlement, les deux avocats écrivent au procureur du Faso pour lui demander de faire «diligence» dans la poursuite du dossier. Ils s’appuient dans leur requête sur une autre affaire du même genre, celle du chauffeur du frère du président Blaise Compaoré mort dans des conditions mystérieuses en 1997 au sein du régiment de sécurité présidentielle. Alors que la rue grondait pour obtenir la vérité dans cette affaire sur laquelle le journaliste Norbert Zongo enquêtait lorsqu’il a été tué en décembre 1998, le ministre de la Défense avait rapidement donné l’ordre de poursuite au tribunal militaire en 1999. Mais sans doute les enjeux ne sont pas les mêmes. En tout cas, le ministre de la Défense n’a non seulement pas donné suite à l’affaire, mais il n’a pas non plus répondu directement aux avocats de la famille Sankara. En revanche, le procureur du Faso, lui, a fait connaître sa position dans une réponse adressée le 23 juillet 2001 à maître Sankara : l’! affaire «porte sur des faits qualifiés crimes commis le 15 octobre 1987, soit plus de 13 années et huit mois». Autrement dit, le crime portant sur l’assassinat du capitaine Thomas Sankara tombe sous le coup de la prescription qui est de 10 ans. Vrai ou faux ? Le débat divise les deux parties. Pour les avocats de la famille, la plainte déposée en 1997 auprès du tribunal civil suspend la prescription. Pour eux, la dénonciation des faits devant un tribunal militaire ne constitue pas une nouvelle plainte mais plutôt la suite de celle déposée devant le tribunal civil. Au contraire pour le parquet et le pouvoir, il n’y a pas de lien entre les deux procédures. Ce qui suppose dans ce cas que l’action est éteinte du fait de la prescription. Pour contourner cet imbroglio juridique, les avocats viennent d’engager une nouvelle plainte toujours contre X mais cette fois pour séquestration. «Depuis le 15 octobre 1987, alors qu’il était présent à Ouagadougou, où il exerçait les fonctions de chef de l’Etat du Burkina Faso, Thomas Sankara n’a plus réapparu», écrit maître Dieudonné Nkounkou le 30 septembre 2002 au doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Ouagadougou. Le choix de cette nouvelle infraction n’est pas le fait du hasard. Selon le code de procédure pénale burkinabè, la séquestration est une infraction continue c’est-à-dire qu’elle n’est jamais prescrite. Cette nouvelle procédure a-t-elle des chances d’aboutir ? Rien n’est sûr. En tout cas, maître Sankara ne se fait pas trop d’illusions. «Je me suis laissé convaincre que si Blaise Compaoré ne tombe pas, point de vérité, point de justice pour Thomas Sankara».
Alpha BARRY
Lun 15 Oct - 8:58 par mihou