Le Courrier d’Abidjan — Parution 721 du Mardi 23 Mai 2006 — http://news.abidjan.net/presse/courrierabidjan.htm
par Théophile Kouamouo :
Campagne de presse – Après le RHDP, «Jeune Afrique» tire à boulets rouges sur le numéro deux ivoirien. Objectif de cette offensive tous azimuts ? Tenter de faire voter des sanctions onusiennes contre le président de l’Assemblée nationale.
Cela faisait quelques semaines que la conjuration se préparait dans le secret des alcôves. Mais elle vient de se manifester dans toute sa crudité avec la dernière parution de l’hebdomadaire Jeune Afrique. A la une des éditions «Internationale» et «Afrique subsaharienne» du magazine françafricain, une photo du président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, avec un titre évocateur : «Cet homme est-il dangereux ?» Sous la plume de Cheikh Yérim Seck, Jeune Afrique répond très vite «oui». Et rédige un violent réquisitoire contre le numéro deux ivoirien.
«Considéré comme l’idéologue du régime, le président de l’Assemblée nationale ne manque pas une occasion de jeter de l’huile sur le feu. Au risque de menacer le processus de paix…», écrit Cheikh Yérim Seck. Les crimes de Koulibaly ? Il refuse la concomitance du désarmement et de l’identification – dans l’avant-dernière édition de Jeune Afrique, Cheikh Yérim Seck lui-même évoquait un rapport d’experts occidentaux tenant pour impossible cette opération conjointe. Il fournit aux jeunes patriotes «les thèses souverainistes et ultranationalistes qui les mobilisent et derrière lesquelles ils s’abritent pour investir les artères d’Abidjan». Ce sont ses «disciples». Il «aiguise ce nationalisme débridé né de la guerre». Il dénonce les fraudes des cadres et militants du RDR à la tribune de l’Assemblée nationale. Son discours rappelle «les heures sombres de «l’ivoirité»», et il émeut «d’autant plus qu’il sort de la bouche d’un Nordiste, un Dioula», mariée à une femme «née d’une mère ivoirienne d’origine burkinabè et d’un père béninois». C’est «un faire-valoir zélé», qui joue au «plus bété que les Bétés». Son père Bakary l’a mal éduqué. Il maintient «artificiellement» l’Assemblée nationale en activité. Il énerve, selon Jeune Afrique, jusqu’au sein de sa famille politique. «Mamadou Koulibaly a une influence certaine sur deux piliers du régime : le leader des «Jeunes Patriotes», Charles Blé Goudé, qui lui voue un grand respect et ne se prive pas de lui demander conseil, et la première dame, Simone Gbagbo (…) D’autres caciques du régime, comme le très influent Paul-Antoine Bohoun Bouabré, manifestent également de l’affection pour celui qu’ils appellent «Mamadou». Mais l’enfant d’Azadié (sic !) ne compte pas que des amis au sein d’un pouvoir où les plus modérés le dépeignent au mieux comme un extrémiste, au pire comme un vulgaire démagogue. Alors que Laurent Gbagbo déclare accepter le principe de la conduite «concomitante» du désarmement et de l’identification, affirme soutenir l’action de son Premier ministre et tente d’apaiser ses rapports avec l’extérieur, la deuxième personnalité de l’Etat jette de l’huile sur le feu. Koulibaly serait-il devenu celui qui peut se permettre de dire ce que Gbagbo ne peut que penser tout bas ? Il y a sans doute un peu de cela. Mais la réalité des rapports entre les deux hommes est plus complexe. «Mamadou est incontrôlable», répète à l’envi le président. S’il lui arrive souvent de rendre visite au chef de l’Etat, c’est plus pour échanger des idées avec lui que de recueillir consignes et mots d’ordre».
Mamadou Koulibaly, seul ennemi de la paix en Côte d’Ivoire ? C’est ce que Yérim Seck veut faire croire. Bien entendu, le journaliste sénégalais est en mission. En effet, au sein du gotha françafricain, les dernières actions de Koulibaly gênent. Alassane Ouattara, actionnaire de Jeune Afrique, a peur des suites de l’enquête sur le réseau de faux documents constitué par les sections et sous-sections de son parti. Charles Konan Banny ( qui a promis de gros marchés publicitaires à Jeune Afrique) est tous les jours irrité par un numéro deux ivoirien qui n’a pas peur de se poser en opposant à ses magouilles, et qui refuse d’entrer dans son fameux «train». La France ne décolère pas d’avoir échoué à dissoudre l’Assemblée nationale, et d’être toujours obligée de considérer son «pire cauchemar» comme le successeur constitutionnel de Gbagbo, et prépare un dossier pour demander des sanctions onusiennes contre lui. Ce sont ces différentes haines qui ont nourri le pamphlet rageur de Jeune Afrique.
Ceci dit, malgré ses efforts, l’hebdo parisien brosse, en creux, un portrait de Mamadou Koulibaly qui fera plaisir à la nouvelle génération africaine. Il est un musulman à la foi sincère, il n’est pas tribaliste, il est populaire au sein de la jeunesse patriotique, il plaide, selon JA, pour le passage «d’une économie colonisée à une économie ouverte», il est «proche des réseaux opposés à la Françafrique», il n’a pas «d’ambitions présidentielles affirmées et affiche très peu de signes extérieurs de pouvoir». «Sa protection rapprochée est allégée, sa mise sobre et son dédain marqué pour les honneurs et mondanités.» Au contraire, «le rôle de producteur d’idées est le moteur qui fait tourner la machine Koulibaly». Au «Courrier d’Abidjan», nous considérons un personnage ainsi brossé comme un homme de conviction, et non un ennemi d’une paix qui passerait par le décervelage de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique.