Courrier international, no. 781
Afrique, jeudi 20 octobre 2005, p. 43
SÉNÉGAL
Tant que subsistera l'égoïsme des nantis
Momar Dieng
L'Espace nouveau (Dakar)
Les drames de l'immigration se multiplieront tant que l'Occident refusera de favoriser un système de codéveloppement seul capable d'enrayer la paupérisation des campagnes africaines.
Seize personnes tuées, plusieurs dizaines de blessés, des centaines d'arrestations effectuées par les autorités marocaines et espagnoles. L'aventure des émigrés africains qui ont tenté de pénétrer dans les localités de Ceuta et Melilla, situées au nord du royaume chérifien, se termine dans le sang. Seize morts, par balles ou piétinés, à propos desquels Rabat et Madrid se rejettent la responsabilité. Dans le plus grand dénuement, ces Africains arpentent le triangle de la mort coincé entre l'Espagne, le Maroc et l'Algérie pour donner corps à une ambition : celle de mettre le pied dans un pays considéré comme un eldorado pour pauvres gens avant de trouver leur voie dans cet ensemble de "rêve" qu'est l'Union européenne. Condamner ce quasi-assassinat d'individus en quête d'un mieux-être social, c'est bien et c'est le minimum qui puisse être fait pour rassurer les consciences. Travailler à l'éradication des causes du drame paraît encore plus essentiel. Et l'on en vient naturellement à l'inacceptable pauvreté qui frappe les populations africaines du fait de l'incurie notoire des élites gouvernantes, de la persistance de la corruption et des inégalités sociales, de la détérioration continue des termes de l'échange, sans oublier les méfaits des énormes subventions agricoles, au profit de leurs paysans, de l'Europe et des Etats-Unis. Sans dire que l'Occident est seul responsable des drames qui rythment l'odyssée de l'immigration, il est patent de constater aujourd'hui la violence inouïe avec laquelle une partie de l'agriculture africaine est décapitée par les politiques agricoles euraméricaines. Démunies, désemparées, appauvries, les populations des campagnes africaines "descendent" dans les villes surpeuplées de leurs pays et finissent dans des embarcations de fortune qui les jettent aux abords de "terres promises" verrouillées. Ceuta et Melilla sont fermées, car l'Espagne, mise sous pression par ses alliés européens, refuse de passer pour le maillon faible de la croisade contre l'immigration clandestine. Le Maroc, lui, a le souci de sauvegarder son traité d'association avec l'Europe des Vingt-Cinq en attendant une adhésion hypothétique. De fait, les deux pays n'ont guère mis de temps à ressusciter un accord bilatéral sur l'immigration qui permet à l'Espagne d'expulser des centaines de personnes vers le Maroc.
Mais il ne faut pas se leurrer, après cet épisode sanglant, des centaines d'autres immigrés reviendront aux abords des frontières meurtrières pour passer en Europe. C'est un éternel recommencement qui n'aura de fin ou de début de solution que lorsque les Etats, riches et pauvres parviendront ensemble à favoriser un système de codéveloppement qui mette le holà à l'égoïsme des grands pays.