Police
Pourquoi tant de bavures
Un surcroît d'interventions, des délinquants plus violents et un recrutement moins exigeant expliquent l'augmentation des dérapages.
Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens
Le chauffard, après une course-poursuite mouvementée, s'est retrouvé jeté à terre et menotté, le pantalon baissé sur les chevilles. Un enjoliveur placé entre les fesses. Le tout filmé par le Caméscope embarqué dans une voiture de la BAC de nuit de Paris, qui sert normalement à filmer les interventions dans un but pédagogique... La bavure qui s'est déroulée sous les yeux de plusieurs témoins, le 19 février 2004, dans la banlieue est de Paris, avait fait sortir de ses gonds le ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy.
L'année dernière, les plaintes pour violences policières alléguées, en clair les bavures, ont fait un bond de 18,5 %. Soit 724 plaintes, contre 611 en 2003, 560 en 2002 et 517 en 2001. La police aurait-elle la main plus lourde, comme le dénoncent les avocats et certaines ONG ?
« Il faut relativiser ces chiffres, prévient Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat policier SGP-FO. On nous demande d'intervenir dans des conditions de plus en plus difficiles, face à des délinquants toujours plus violents. » Selon l'Observatoire national de la délinquance, le nombre de violences commises à l'encontre des forces de l'ordre est ainsi passé de 11 422 en 1996 à 20 000 en 2004. Comme le fait remarquer Nicolas Comte, « l'essentiel des plaintes pour bavures émane de personnes qui ont maille à partir avec la police. Déposer plainte est devenu un moyen de défense pour les mis en cause ». D'ailleurs, la plupart des fonctionnaires montrés du doigt sont blanchis par les enquêtes administratives et judiciaires. L'année dernière, 59 policiers ont été sanctionnés, soit 6 de moins qu'en 2003.
Faible niveau du recrutement
Des circonstances atténuantes qui ne doivent pas masquer un malaise également lié à la qualité du recrutement. Quatre-vingts pour cent des gardiens de la paix frais émoulus de l'Ecole de police se retrouvent parachutés en banlieue parisienne, alors que la plupart sont des provinciaux ne maîtrisant ni le langage ni les codes des jeunes des cités. Ce qui explique en partie que plus de 80 % des plaintes pour bavure sont traitées par l'IGS, la police des polices, qui couvre la capitale et les trois départements de la petite couronne. Dans les commissariats, les policiers déplorent le faible niveau du recrutement et le comportement des nouveaux gardiens de la paix. Depuis 1997, il a fallu recruter énormément de policiers pour combler les départs à la retraite. Et comme les candidats ne se bousculaient pas au portillon, la police a ratissé large. « C'est symptomatique du déficit de stratégie qui affecte l'institution policière », souligne Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des questions de police. Le recours massif aux emplois-jeunes a précipité l'effondrement du niveau. Selon les chiffres recueillis par Le Point, 36 230 adjoints de sécurité (ADS) ont été recrutés entre novembre 1997 et 2001. Aucun diplôme n'était exigé et quatre sur cinq des ADS, non bacheliers, n'avaient pas le niveau pour devenir gardiens de la paix, selon un rapport de l'IGPN. Près de la moitié d'entre eux, soit 14 640, sont titularisés aujourd'hui, après avoir profité d'un concours « aménagé ». On a vu des ADS acceptés avec des moyennes de 6,5 sur 20, et des notes de 2 ou 3 dans certaines matières. « Le résultat est que l'on se retrouve sur le terrain avec des gardiens incapables de gérer des situations délicates », s'alarme, sous couvert d'anonymat, un commissaire de la sécurité publique. Fait aggravant : l'absence d'encadrement. Il y a quelques années, on comptait 1 officier de police pour encadrer 5 sous-brigadiers. Aujourd'hui, il n'y en a plus que 1 pour 10 en Ile-de-France. « Les anciens ne sont plus là pour apprendre le métier aux nouveaux. »
© le point 17/03/05 - N°1696 - Page 60 - 612 mots