La Presse
La Presse Affaires, samedi 6 mai 2006, p. LA PRESSE AFFAIRES1
Investisseurs, posez-vous des questions!
Au plus gros de la saison des assemblées, on a intérêt à faire ses devoirs
Grammond, Stéphanie
Quand elle était jeune, les bonnes soeurs trouvaient qu'elle posait trop de questions. Malgré 12 ans de pensionnat, Marie Rousseau n'a pas changé. Aujourd'hui, ce sont les dirigeants d'entreprise qu'elle tenaille avec ses questions. " Ils me trouvent tannante, dit-elle. Mais je ne fais pas ça pour m'amuser! "
Au contraire, elle prend son rôle d'actionnaire minoritaire très au sérieux. Depuis 15 ans, elle gère son portefeuille et celui de ses proches, à temps plein. Un actif de cinq millions de dollars. " Je fais des recherches, je pousse à fond ", dit-elle. Économiste de formation, elle est même retournée faire un certificat en droit des affaires en 1998, pour être mieux outillée.
" Dans ce domaine, il y a surtout des tricheurs, dit-elle. Chaque semaine, je pourrais vous raconter une histoire à faire dresser les cheveux sur la tête. "
Malheureusement, elle constate que les petits investisseurs font souvent confiance à n'importe qui. Ils achètent des actions d'entreprises qu'ils ne connaissent pas vraiment. Et ils ne suivent pas les assemblées annuelles, dont c'est le gros de la saison présentement.
Quand ils reçoivent leur rapport annuel, bien des investisseurs l'envoient directement au recyclage. Marie Rousseau, jamais. Sans le lire de A à Z, elle décortique le document, elle appelle l'entreprise au besoin. " Le droit à l'information est le seul véritable droit des actionnaires minoritaires ", dit-elle.
La majorité des petits actionnaires ne prennent pas non plus la peine de voter ou d'assister aux assemblées annuelles.
Marie Rousseau, oui. Femme de principe, elle exerce ses droits... même si elle avoue que " le droit de vote des petits investisseurs, c'est de la frime! "
En avril dernier, elle s'est rendue dans la région de Québec, pour l'assemblée du fabricant de meubles Amisco. La compagnie voulait faire augmenter le nombre d'options d'achat d'actions octroyées à ses dirigeants.
La famille qui contrôle déjà 44 % actions, se retrouverait avec 55 % de l'entreprise.
Marie Rousseau qui possède 14 900 droits de vote, considérait que les initiés ne devaient pas avoir le droit de voter pour cette proposition: ils étaient en conflit d'intérêts car ils bénéficient de la mesure. Avant l'assemblée, elle avait contacté l'entreprise, l'Autorité des marchés financiers et la Bourse TSX. Rien n'y a fait. Amisco a réussi à faire approuver la proposition. " Mais je considère que le vote n'était pas valide ", dit Mme Rousseau qui n'a pas l'intention de lâcher le morceau.
Attention! Elle est habituée de se battre. Et parfois ses batailles portent fruit. Par exemple, elle a poursuivi l'ancienne patronne de Cinar, Micheline Charest, à la cour des petites créances. Elle a obtenu un dédommagement de 3000 $, soit près du quart de sa perte. C'est largement supérieur à ce qu'ont obtenu les autres actionnaires dans le cadre du recours collectif: ils ont reçu à peine 6 % de leur mise, lors du règlement à l'amiable.
" Si tous les investisseurs minoritaires posaient plus de questions, éventuellement, les entreprises ne pourraient plus leur passer n'importe quoi ", soutient Mme Rousseau.