La circoncision en questions
Interview de Alain Héril, sexothérapeute
Pratique ancestrale que l’on retrouve un peu partout sur la planète, la circoncision soulève mille et une questions… Quelle est son influence sur la sexualité ? Peut-elle altérer le plaisir ou au contraire améliorer les performances ?… Pour vous permettre de trancher, Alain Héril, psychothérapeute et sexothérapeute, répond à nos questions.
Doctissimo : La sexualité du couple est-elle différente si l’homme est circoncis ?
CirconcisionAlain Héril : Non, la circoncision n’a pas de réel impact sur les pratiques sexuelles qu’il s’agisse de la fellation ou de la pénétration. La multiplicité des jeux sexuels reste toujours aussi riche. C’est l’imaginaire érotique du couple qui va permettre à leur sexualité de s’épanouir.
Doctissimo : Cela veut-il dire que la circoncision n’est pas un sujet de consultation ?
Alain Héril : Si la circoncision est évoquée, elle n’est jamais la cause directe de la consultation. Mais certains hommes présentent un problème sexuel qu’ils vont rattacher à la circoncision. Ainsi, face à une éjaculation prématurée ou des troubles de l’érection, le patient va spontanément citer la circoncision comme source de ses soucis. Mais cette attitude cache le plus souvent un problème plus complexe, physiologique ou plus souvent psychologique.
Doctissimo : A l’inverse, la circoncision ne peut-elle être à l’origine de problèmes psychologiques ?
Alain Héril : Parfois, dans de rares cas, la circoncision peut être mal vécue et entraîner des troubles psychologiques. Symboliquement, il s’agit d’une opération très lourde de sens. Cette pratique inscrite dans la chair est parfois perçue comme un substitut à la castration, thème chère à la théorie freudienne. Obsédé par la perte de sa puissance virile, l’homme pourra chercher à se protéger d’un danger, et le plus souvent d’une peur du sexe féminin, qui peut être fantasmé comme un orifice capable de broyer, de découper… Dans ces cas, la remise en cause de la circoncision est difficile tant elle est alors assimilée à une remise en cause de toute une éducation cultuelle et culturelle. Mais rappelons-le encore, ces cas sont rares, la vaste majorité des hommes circoncis vivent très bien leur circoncision.
Doctissimo : La circoncision peut-elle altérer le plaisir ?
Alain Héril : D’un point de vue physiologique, l’ablation du prépuce peut entraîner un changement des sensations. D’une part, le prépuce est une zone très sensible pourvue de terminaisons nerveuses très nombreuses et très spécialisées. D’autre part, le gland ainsi découvert va voir les couches superficielles de sa peau s’épaissir progressivement. Ce phénomène appelé kératinisation entraîne également une perte de sensibilité. Donc a priori, les sensations peuvent être diminuées, mais comment comparer cette différence de sensibilité ? Seul un adulte récemment circoncis serait capable de comparer l’avant et l’après, alors que cette pratique a le plus souvent lieu lors de l’enfance, à un âge où la maturation même du pénis n’est pas terminée et où sa sensibilité peut encore évoluer.
Attention à ne pas avoir une vision trop manichéenne, tout dépend de l’investissement masculin sur sa sexualité et sur sa propre sphère intime. Si les sensations peuvent s’avérer différentes, elles peuvent être totalement satisfaisantes. Et c’est d’ailleurs le cas pour la majorité des hommes circoncis.
Doctissimo : Cette perte de sensibilité peut-elle exceptionnellement entraîner des troubles du plaisir ?
Alain Héril : Le frottement du prépuce sur le gland participe à la montée orgasmique et au maintien de l’érection. Dans de très rares cas, la circoncision peut ainsi favoriser certains troubles : retard à l’éjaculation, difficulté à maintenir une érection, éjaculation sur verge molle, absence d’éjaculation qui peut déboucher sur des douleurs comme lors d’un priapisme.
A l’inverse, on a longtemps cru que la circoncision pouvait constituer une solution miracle contre l’éjaculation prématurée. Compte-tenu de la complexité de ce problème (et de sa forte implication psychologique), je crains qu’il ne s’agisse-là d’une fausse bonne idée.
Doctissimo : Certains mouvements américains "les intactivistes" parlent de mutilation et comparent la circoncision à l’excision. Que pensez-vous de ce discours ?
Alain Héril : Ces mouvements vont même jusqu’à prôner la reconstruction du prépuce par des procédés a priori assez singulier (ajout de poids pour étirer la peau du prépuce…). Entre la circoncision et l’excision, on retrouve dans les deux cas la même origine religieuse héritée du péché originel d’Adam et Eve (c’est plus particulièrement vrai pour les trois grandes religions monothéiste et mais également pour les variantes animistes qui s’en inspirent). Mais c’est bien là le seul point commun ! On ne peut sérieusement comparer la circoncision à l’excision, qui consiste à amputer la femme de son clitoris. Outre les complications immédiates (risque d’hémorragies) et à plus long terme (douleurs permanentes…), l’excision a un retentissement extrêmement important sur la sexualité féminine. Du fait de l’importance du clitoris dans la sexualité féminine, plus de 80 % des femmes excisées sont frigides. Le geste équivalent à l’excision chez l’homme ne serait pas la circoncision, mais l’amputation complète du gland !
Doctissimo : A l’inverse de ces mouvements, la circoncision ne devient-elle pas "à la mode" ?
Alain Héril : Effectivement, en particulier dans les milieux homosexuels, on assiste actuellement à cette tendance. De plus en plus d’hommes recourent à la circoncision pour trois raisons : pour une meilleure hygiène, pour l’esthétique et pour améliorer les performances sexuelles. Primo, une toilette régulière suffit à une hygiène satisfaisante. De plus, bien que diminuant le risque d’infections sexuellement transmissibles (IST), la circoncision n’exonère pas de porter un préservatif lors de rapports non protégés. Concernant, le changement esthétique, tout reste une affaire de goût mais le porno dans lequel la plupart des acteurs sont circoncis pourrait être à l’origine de ce phénomène… Enfin et c’est très certainement la principale raison sous-jacente, l’amélioration des performances sexuelles reste à prouver et si elle existe, elle pourrait se faire au détriment de sensations…
Propos recueillis par David Bême, le 30 mai 2006
http://www.doctissimo.fr/html/sexualite/dossiers/circoncision/9757-circoncision-questions-alain-heril.htm