L'Actualité, no. Vol: 30 No: 2
1 février 2005, p. 9
Bloc-notes
L'Afrique, victime du tsunami
L'année 2005 devait être celle de l'Afrique! Le tsunami a sans doute englouti les ressources dont rêvait le continent noir...
Beaulieu, Carole
Des soldats américains accueillis en héros par des musulmans indonésiens. Des pompiers français travaillant coude à coude avec des marines américains. La Chine, hier sous-développée, faisant ses premiers pas dans le grand ballet de l'aide humanitaire en versant 60,4 millions de dollars américains aux victimes du tsunami... Quel renversant début d'année! (Voir "Lendemains de catastrophe", p. 16.)
Mais ces lendemains de catastrophe fournissent aussi des raisons de s'inquiéter. Notamment à l'égard de l'Afrique, qui sera probablement la victime silencieuse de cette tragédie. Après avoir prodigué les millions par centaines dans les premiers jours de l'année, combien l'Europe, les États-Unis, la Chine, le Canada seront-ils prêts à donner à l'Afrique en 2005? D'autant que la générosité de la Chine est aussi dictée par son désir d'étendre son influence dans une région où le Japon la concurrence. Tout comme celle des États-Unis est partiellement motivée par le souci d'améliorer leur image, ternie dans les pays musulmans par leur guerre contre l'Irak.
L'année 2005 devait être celle de l'Afrique! Pas moins de quatre ou cinq rapports et manifestations internationales sont censés, d'ici décembre prochain, relancer l'action internationale concernant le continent noir, le seul à s'être appauvri depuis 25 ans. Plus de 44 millions d'enfants ne peuvent y fréquenter l'école, et des richesses y dorment, inexploitées faute d'investissements étrangers et de gouvernements fiables!
En mars, Londres doit publier le rapport de la Commission pour l'Afrique, créée par Tony Blair en prévision de la rencontre du G8, le club des pays les plus riches, qui aura lieu en Écosse, en juillet. Sa priorité: l'Afrique et la lutte contre la pauvreté.
En septembre, les Nations unies tiendront un sommet spécial pour évaluer la progression du monde vers l'atteinte des objectifs du millénaire fixés en 2000. Parmi ceux-ci: réduire de moitié, d'ici 2015, la proportion de la population mondiale qui vit dans la pauvreté, dont la majorité se trouve en Afrique.
En décembre, à Hongkong, à l'occasion de la rencontre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Afrique espère bien qu'on lui donnera enfin une chance.
Si elle pouvait augmenter ses exportations ne serait-ce que de 1%, son revenu s'accroîtrait d'une somme égale à cinq fois l'aide internationale qu'elle reçoit actuellement! Mais les Américains sont-ils prêts à importer plus de coton africain et à risquer d'affaiblir leurs propres cultures, dans le sud du pays? L'Europe est-elle disposée à importer plus de produits agricoles africains, au détriment de ses propres productions? Le Canada tient-il tellement à en finir avec la pauvreté africaine qu'il accepterait des pertes d'emplois dans certaines industries?
Tout cela ne change rien, me direz-vous, aux besoins des victimes du tsunami, qui doivent survivre et reconstruire leurs villages. Certes.
Un fait n'en demeure pas moins. Même les coffres des pays les plus riches ne sont pas sans fond. Il faut d'ailleurs remercier des organisations comme Médecins sans frontières d'avoir su dire: "Nous avons assez d'argent." Remercier l'Inde d'avoir dit qu'elle pouvait s'occuper de ses problèmes. Remercier aussi le gouvernement du Québec - déjà engagé ailleurs, notamment en Haïti - d'avoir eu le courage d'établir ses priorités.
En ce début d'année, la communauté internationale a passé avec succès le test de la solidarité à la suite d'une catastrophe naturelle. Reste à voir si, en 2005, elle réussira le test, plus difficile, de la solidarité à long terme.
Car si des millions de Chinois et d'Indiens sortent péniblement du sous-développement, c'est beaucoup moins grâce à l'aide humanitaire - aussi nécessaire soit-elle - qu'en raison des politiques de leurs gouvernements nationaux.
Les solutions pour l'Afrique sont connues: combattre la malaria et le sida, réduire la malnutrition, soutenir l'émergence de gouvernements non corrompus, établir des règles commerciales plus justes. Il faut permettre aux Africains de développer leurs économies en bénéficiant du même type de protection que celui dont ont joui les Occidentaux et leur ouvrir l'accès aux marchés étrangers. Le véritable test de notre humanité sera là. Et on est encore loin de savoir si on le réussira.