Matières grasses, cholestérol,
troubles cardiovasculaires et maladies dégénératives
by Maurice Legoy
Le problème le plus important que les producteurs laitiers aient à résoudre, en matière de développement de leurs ventes, est la perception que le corps médical a acquise à propos de l'influence des graisses du lait sur la teneur en cholestérol sanguin et celle des graisses animales saturées sur la génèse des troubles cardiaques. On perçoit mal le nombre de gens qui ont de la réticence à consommer du beurre et des fromages, et qui choisissent de les remplacer par toutes sortes de préparations, plus ou moins "allégées" d'ailleurs, qui ont la plupart du temps sur leur santé une influence plus mauvaise que celle que leur utilisation est censée corriger.
Pourtant, nombre des idées encore en vogue sur le sujet sont fausses et il est invraisemblable que les organismes chargés de la promotion des produits laitiers, aussi bien en France qu'en Europe et aux Etats-Unis, n'aient pas entrepris les campagnes d'information nécessaires auprès des consommateurs et des médecins prescripteurs. Les éléments semblent pourtant bien établis à présent, même si l'industrie des corps gras met tout en oeuvre pour que de nouvelles preuves ne parviennent pas au public : le fait est que la consommation de lait entier, de crème, de beurre ou de fromages a peu d'influence sur le taux de cholestérol sanguin et n'est en rien responsable des maladies cardio-vasculaires.
Cholestérol et graisses saturées
Dès que l'on propose à des personnes d'un certain âge de consommer du beurre ou du fromage pour une raison ou une autre, un pourcentage très important d'entre elles, comme pour s'excuser, rétorque sans appel : "Moi, je voudrais bien, mais allez donc en parler à mon médecin !" Comme on s'en voudrait de paraître jouer avec la santé de son prochain et que, de toute façon, la cause est entendue, la seule réponse ne peut qu'être, à l'exemple de Toinette dans le Malade Imaginaire : "Ignorant !... Ignorantus, ignoranta, ignorantum... Ignorantissimus !" Nos médecins aujourd'hui sont acquis pour la plupart à la théorie lipidique de la génèse des troubles du coeur et de la circulation. En vue de leur prévention, exit(ent) donc des assiettes des suspects, lait entier, beurre, crème et fromages, rillettes et saucissons secs, entrecôtes bien persillées et tranches de lard gras avec du gros sel sur pain de campagne !
Et je te mets au lait UHT semi-écrèmé, homogénéisé bien entendu. Et je te tartine les toasts du petit déjeuner avec une margarine végétale hydrogénée (partiellement seulement heureusement) dans sa boite de plastique au couvercle doté abusivement d'une pastille verte cerclant le mot nature, ou naturel au choix. Et je te passe au camembert allégé, ou au fromage blanc 0 %. Et pour couronner le tout, cuisine à l'huile, presque sans sel, et café sans sucre . On se demande pourquoi, à un tel régime dans cette vallée de larmes où nous ne sommes que des passants, tant de nos concitoyens aspirent à devenir des centenaires ?
Il faut y voir là le signe (un de plus) des méfaits de la désinformation, ou plutôt de la "mésinformation", qui caractérise notre société aujourd'hui. Nous sommes gouvernés par les chiffres des sondages, conditionnés par ce qui est montré à l'écran, dit aux micros, écrit dans les journaux, saturés d'insécurité, de grèves, de revendications, de manifestations à tout propos, de mises en examen précipitées, de décisions improvisées sous la pression de l'opinion, etc...
L'exemple de ce qui s'est produit aux Etats-Unis sur la génèse et l'acceptation par la population de ce que l'on appelle la "théorie lipidique" devrait donner à réfléchir. Mais reconnaissons que ce qui se produit actuellement en Europe à propos de la "vache folle" montre que les mêmes causes produisent les mêmes résultats sur le public en matière de perception d'un risque alimentaire.
Dans un article remarquable, au titre provocateur, Maria Enig, directrice de l'équipe de chercheurs sur les matières grasses à l'Université du Maryland, rapporte "Comment ils ont "huilé" l'Amérique" : "Les régimes modernes riches en huiles végétales hydrogénées à la place des graisses animales traditionnelles sont la cause d'une augmentation significative des maladies cardiovasculaires et du cancer". (1-2)
On ne m'en voudra pas de faire de larges emprunts à la communication qu'elle a faite sur internet et dont l'intégralité est accessible su www.nexusmagazine.com
Nexus Magazine est une publication australienne à l'arrière-goût anarchiste.
Maria Enig attribue le développement actuel des maladies coronaires et du cancer aux Etats-Unis au changement des habitudes alimentaires des Américains. "Depuis le début du siècle que le ministère de l'Agriculture des Etats-Unis tient des statistiques sur "la disparition de nourriture" (c'est-à-dire la quantité des divers aliments entrant dans l'alimentation), nombre de scientifiques ont noté un changement dans la nature des graisses que les Américains absorbaient. La consommation de beurre était en chute libre, tandis que celles d'huiles végétales, en particulier celles qui avaient été "durcies" pour ressembler à du beurre par un procédé d'hydrogénation, était en augmentation considérable. En 1950, la consommation de beurre avait chuté de 18 à 10 livres par personne et par an pendant que celle de la margarine était passée de 2 livres au tournant du siècle à 8 livres. La consommation de "shortenings", graisses alimentaires solides, utilisées dans la fabrication des snacks et des produits cuits au four était restée stable à 12 livres par personne durant cette période, mais leur composition avait changé, et la consommation d'huiles végétales en l'état avait plus que triplé, passant d'un peu moins de 3 livres par an à plus de 10 livres." (3)
Comment on a "passé" à l'huile l'Oncle Sam
Avant 1920, les maladies coronaires étaient une rareté aux Etats-Unis. Si rares que, quand un jeune interne nommé Paul Dudley White présenta l'électo-cardiographe inventé par un allemand à ses collègues de l'Université de Harvard, ceux-ci lui conseillèrent de s'orienter sur un autre sujet. La nouvelle machine révélait la présence de blockages des artères, permettant par là un diagnostic précoce des maladies coronaires. Mais à l'époque, l'obstruction des artères était une curiosité médicale, et White eut toutes les peines du monde à trouver des malades qui eussent pu bénéficier de la nouvelle technologie. Pourtant, durant les 30 années qui suivirent, l'incidence de la maladie coronaire augmenta de façon dramatique. (2)
Bien que les statistiques du début du siècle aux Etats-Unis ne soient pas très fiables, elles indiquent de façon constante que les maladies cardiovasculaires représentaient à l'époque moins de 10% des causes de mortalité, beaucoup moins que les maladies infectieuses comme la pneumonie et la tuberculose. Dès 1950, la maladie coronaire (CRD) est devenue la première cause de mortalité aux Etats-Unis, provoquant 30% de tous les décès. La plus grande augmentation provient de la rubrique infarctus du myocarde (MI), dû à un caillot de sang important conduisant à l'obstruction d'une artère coronaire et à la mort subséquente du mucle cardiaque irrigué par cette artère. L'infarctus du myocarde était pratiquement inconnu en 1910 et ne causait pas plus de 3.000 morts par an en 1930. En 1960, on constatait au moins 500.000 morts chaque année des suites d'un infarctus. Quelles étaient donc les modifications du style de vie qui avaient pu provoquer cette augmentation ? (2)
En 1954, un jeune chercheur originaire de Russie, David Kritchevsky, publia un article sur les effets de la distribution de cholestérol à des lapins. L'addition de cholestérol cristallisé à une ration à base de végétaux provoque la formation d'athéromes, ces plaques qui obstruent les artères et contribuent aux maladies cardio-vasculaires. Le cholestérol est une substance de poids moléculaire élevé - un alcool ou un stérol - qui se trouve seulement dans les denrées d'origine animale telles que la viande, les fromages, le beurre et les oeufs. (4) La même année, selon l'American Oil Chemist Society, Kritchevsky publia un autre article décrivant les effets bénéfiques des acides gras poly-insaturés en permettant un abaissement de la teneur en cholestérol. (5) Les acides gras poly-insaturés se trouvent en grande quantité dans les huiles végétales les plus liquides extraites du maïs, du soja, du sésame et du tournesol. Les acides gras mono-insaturés se rencontrent dans les huiles de palme, d'olive et le saindoux. Les acides gras saturés entrent en proportion élevée dans la composition des huiles et des graisses solides à la température ordinaire, c'est-à-dire le beurre, le suif et la graisse de noix de coco.
Les essais effectués par Kritchevsky étaient en réalité la répétition d'études entreprises quarante ans plus tôt à Saint-Pétersbourg, dans lesquelles des lapins nourris avec une alimentation supplémentée en graisses saturées et en cholestérol cristallisé présentaient des dépôts graisseux dans leur peau, certains autres tissus, ...et dans leurs artères. En fait cette histoire de cholestérol responsable des athéromes et de leur relation avec les troubles cardiovasculaires remonte à 1913, lorsqu'un chercheur russe, le Docteur Nicolaï Anitshkov, entreprit de nourrir des lapins avec des doses massives de cholestérol.
En constatant que les huiles poly-insaturées d'origine végétale abaissaient le cholestérol sérique, au moins temporairement, Kritchevski semblait démontrer que les essais sur animaux pouvaient avoir une application dans l'explication des maladies coronaires, que l'hypothèse "lipidique" était une explication valable de la nouvelle pathologie, et que, en diminuant l'apport de graisses animales dans leur alimentation, les Américains allaient pouvoir se prémunir contre les accidents cardiaques.
Au cours des années qui ont suivi, un grand nombre d'études de la population prouvèrent que le modèle animal utilisé - en particulier celui qui faisait appel à des animaux consommateurs de végétaux - n'était pas une approche convenable pour les problèmes dus aux maladies cardiaques chez les humains omnivores, mais...
Les articles de Kritchevsky attirèrent pourtant immédiatement l'attention, car ils donnaient raison à une autre théorie, celle qui militait contre la consommation de viande et de produits laitiers. C'était l'hypothèse "lipidique" : à savoir que les graisses saturées et le cholestérol d'origine animale provoquaient une élévation de la teneur en cholestérol du sang, et favorisaient le dépôt de cholestérol et de composés graisseux sous forme de plaques dans les artères.
A en juger à la fois d'après les données statistiques et les recettes des livres de cuisine du début du siècle, le régime des Américains en 1900 était riche, avec au moins 30 à 40 % des calories provenant des matières grasses, surtout d'origine laitière sous la forme de beurre, de crème, de lait entier et aussi d'oeufs. Les assaisonnements des salades comprenaient du jaune d'oeuf et de la crème, avec occasionnellement de l'huile d'olive. On se servait du suif et du saindoux pour la cuisson des aliments. Des plats riches, comme le fromage de tête et le "scrapple", amenaient des graisses supplémentaires dans un régime déjà très riche à une époque où on ne connaissait ni cancer, ni maladies de coeur. Les substituts du beurre ne représentaient qu'une faible proportion du régime des Américains et ces margarines étaient fabriquées à base de beurre de noix de coco, de suif et de saindoux, toutes denrées "naturelles" riches en acides gras saturés.
La technologie permettant de "solidifier" l'huile pour en faire de la margarine fut découverte par le chimiste français Sabatier, Prix Nobel 1912. Il trouva qu'un catalyseur à base de nickel permettait l'hydrogénation (addition d'hydrogène sur une liaison non saturée pour la rendre saturée) de l'éthylène en éthane. Par la suite, le chimiste anglais Norman développa la première application de l'hydrogénation des huiles alimentaires et déposa un brevet. En 1909, Procter et Gamble achetèrent les droits pour les Etats-Unis d'un brevet anglais transformant en corps solides les huiles liquides à la température d'une pièce. Le procédé était utilisé à la fois sur l'huile de coton et sur le saindoux pour leur donner de meilleures propriétés physiques et fabriquer les "shortenings", graisses qui ne fondaient pas aussi facilement les jours de canicule.
Un article du Journal de l'Association des Chimistes Américains des Huiles ( 6) montre que la consommation de graisses animales par les Américains est passée de 104 grammes par jour en 1909 à 97 grammes par jour en 1972, pendant que celle de l'huile végétale passait d'un petit 21 grammes à presque 60 grammes journellement.. La consommation totale per capita avait augmenté durant cette période, mais cette augmentation était due à l'augmentation de consommation des graisses poly-insaturées d'huiles végétales, avec 50% de cette augmentation provenant d'huiles végétales en l'état et 41% provenant de la margarine fabriquée à base d'huiles végétales hydrogénées.
La modification des habitudes alimentaires des Américains faisait le bonheur de l'industrie des oléagineux. Dans "La Vie sur le Mississipi", Marc Twain rapporte la conversation entre un fournisseur d'huile de coton de la Nouvelle-Orléans et un commis voyageur de margarine de Cincinnati : "Nous transformons le tout dans notre usine de la Nouvelle-Orléans... Nous faisons un commerce sensationnel ! " Le type de Cincinnati raconte que ses usines produisent des milliers de tonnes d'oléo-margarine, un produit d'imitation que "vous ne pouvez pas distinguer du beurre". Il jubile à la pensée de dominer ce marché. " Vous allez bientôt voir le jour, très bientôt, où vous n'allez plus trouver un gramme de beurre pour vous en régaler dans aucun hôtel des vallées du Mississipi et de l'Ohio, ailleurs que dans les très grandes villes... Et il nous est possible de vendre notre si bon marché que tout le pays va devoir l'utiliser... Le beurre, de toutes façons, ne fait pas le poids, il n'y a aucun risque de concurrence. Le beurre a eu son époque, et maintenant il va dans le mur. Il y a plus d'argent à faire avec la margarine. Vous ne pouvez pas imaginer le pognon que nous faisons".
Lun 15 Mai - 12:27 par Tite Prout