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 Esclavage : les ports français se souviennent.

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mihou
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mihou


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11052006
MessageEsclavage : les ports français se souviennent.

Esclavage : les ports français se souviennent.
NANTES, BORDEAUX, LA ROCHELLE, LE HAVRE FACE À LA PREMIÈRE COMMÉMORATION DE L’ABOLITION.


- Les Echos 05/05/06 : J. Claude Hazera

Aujourd’hui, dans les ports français qui bâtirent une partie de leur fortune sur la traite des esclaves, vivent des Noirs. A l’échelle nationale, ces communautés ont fini par obtenir du président de la République qu’on « honore le souvenir des esclaves et commémore l’abolition de l’esclavage » le 10 mai, pour la première fois cette année. Elles font aussi pression depuis plus ou moins longtemps et avec plus ou moins d’intensité sur les maires pour que les villes les plus directement concernées se penchent officiellement sur cette grosse tache qui marque leur histoire. Logique.

Certains Antillais y sont particulièrement attentifs en tant que descendants d’esclaves. Toujours logique. « Certains Africains, eux, ne savent pas très bien s’ils ne sont pas descendants de négriers », précise Denis Tillinac. En effet, quand les navires européens arrivaient sur les côtes d’Afrique pour échanger leurs marchandises « de traite », étoffes, fusils anglais, alcools, métaux, quincaillerie, contre la cargaison humaine qu’ils iraient vendre aux Antilles ou à la Réunion avant de revenir en France chargés de sucre ou autres denrées tropicales, ils troquaient avec des « fournisseurs » locaux.

Le quatuor de la traite

Si l’écrivain et éditeur Tillinac est savant sur ce thème, c’est parce qu’il doit remettre le 10 mai au maire de Bordeaux le rapport de la commission qui travaille sous sa présidence depuis plusieurs mois. Tillinac n’est pas bordelais, mais il a d’autres références. Il a été étudiant dans cette ville où il se faisait même traiter de « négrier » par un copain sénégalais, preuve que la mémoire n’a jamais été totalement enfouie. Et puis il aime l’Afrique, c’est bien connu, et il aime Chirac « qui était député de son village, ami de son père ». Alors quand Hugues Martin, le successeur d’Alain Juppé à la mairie, a eu besoin d’une personnalité pour diriger cette commission, il a accepté.

Si l’on s’en tient aux quatre villes qui formèrent, d’après l’historien Eric Saugera, le « quatuor majeur de la traite française », c’est Nantes, premier port négrier et de loin, qui, logiquement, commença la première à fouiller son passé sous la pression d’une association dirigée par un Martiniquais, Octave Cestor, aujourd’hui adjoint au maire à l’occasion du passage de la ville à gauche en 1989. Point fort symbolique : une exposition, « Les Anneaux de la mémoire », qui fut visitée par 400.000 personnes en 1994.

La réaction fut plus tardive à Bordeaux, où pourtant la proportion de population noire est, dit-on, particulièrement importante aujourd’hui à cause notamment des relations privilégiées de la ville avec l’Afrique pendant toute la période coloniale. Coup de semonce : les 3,7 % raflés au premier tour des dernières municipales par la liste de Karfa Diallo, Français originaire du Sénégal et activiste en chef de cette revendication mémorielle dans la ville.

A La Rochelle, où la proportion de Noirs dans la population semble très inférieure, c’est l’ancien maire Michel Crépeau, radical de gauche, qui a pris assez tôt, dit-on aujourd’hui, l’initiative de mettre en lumière cet aspect du passé de la ville dans le musée du Nouveau Monde, un des plus visités. Au Havre, où la pression commence seulement à monter, la mairie, dirigée par Antoine Rufenacht (UMP), a préféré pour le moment s’intéresser à l’histoire de l’immigration qui va bientôt donner lieu à l’ouverture d’un musée à Paris (voir « Les Echos week-end » du 27 janvier).

« Malaise mémoriel »

Le bon équilibre n’est évidemment pas facile à trouver pour les maires entre une minorité « mal dans sa peau » et une majorité de la population qui, deux cents ans après, « au mieux s’en fout, au pire risque d’être agacée », comme le résume Tillinac avant d’ajouter, pour insister sur le nombre d’années et de générations qui nous séparent des évènements : « si on me disait qu’un de mes ancêtres a été un grand gangster au XVIIIe siècle cela m’amuserait plutôt ».

Pour autant Tillinac ne nie pas du tout la nécessité de cette psychanalyse du passé. Il évoque, en particulier pour les Antillais, « une vraie difficulté de vivre » qui mérite qu’on fasse quelque chose. A Nantes, Octave Cestor lui fait écho en disant que sa motivation c’est d’« aider ses compatriotes à se libérer mentalement de cette oppression ». Au Havre, Marc Migraine, conseilleur municipal UDF, arrive à la même intuition par d’autres voies. Lui organise le 11 mai - la date est un hasard - une conférence-débat sur le thème « Etre noir et français » qu’il a eu envie de monter après la crise des banlieues. Il a le sentiment que le « public est le même, que les sujets se rejoignent et qu’une insuffisante réflexion sur l’histoire suscite les rancoeurs ».

Si on est d’accord sur l’intérêt de faire quelque chose, reste à savoir quoi. S’agit-il d’informer sur un passé occulté ou de manifester une « repentance ». A force de repentances, la France vit dans un vrai « malaise mémoriel », estime Tillinac. Oui, mais si on s’en tient à la connaissance, que ne sait-on pas et qu’il faudrait encore fouiller ? L’existence et le principe du « commerce triangulaire », beaucoup de Français en ont entendu parler à l’école. Pour ce qui concerne Bordeaux, Tillinac, dont la commission a, entre autres, passé en revue l’état des connaissances existantes, conteste l’idée qu’on ne saurait pas.

A l’appui de sa thèse, on peut renvoyer au livre d’Eric Saugera qui fait référence. On y trouve, en annexe, la liste, exhaustive semble-t-il, de toutes les expéditions négrières bordelaises avec le nom du bateau, celui des armateurs et celui du capitaine ! Qui veut savoir peut savoir. Il n’en est sans doute pas de même dans des ports où l’armement pour la traite a été moins notoire. Au Havre, Marc Migraine estime que ce n’est pas une évidence. Elle ne l’est sans doute pas non plus à Honfleur, Saint-Malo ou dans d’autres ports français où l’on a, à un moment ou un autre, armé à la traite.

Que découvre-t-on en se plongeant ou en se replongeant dans les livres sur le sujet ? Le caractère non seulement officiel mais officiellement encouragé de cette activité pendant des décennies. Après une première période où on a tenté d’exploiter les possessions françaises aux Antilles avec des « engagés » français sous contrat de trois ans, le développement des grandes cultures et notamment de celle de la canne à sucre ont rendu « indispensable » l’apport massif d’une main-d’oeuvre servile (là où la canne ne s’est pas développée, par exemple dans l’archipel des Saintes, il n’y a pratiquement pas eu d’esclaves).

L’Etat édicte en 1685 l’épouvantable « Code noir » qui fonde juridiquement la traite et l’esclavage dans les colonies. De plus, il encourage par des primes - âprement discutées - les armateurs à approvisionner les colons. Il mettra même un temps certain à réprimer sérieusement l’activité des négriers quand elle aura cessé d’être officielle. Il faudra attendre 1848 pour que l’esclavage soit définitivement et officiellement aboli partout.

Au titre des curiosités, on conseillera aussi dans le livre de Saugera la lecture du chapitre sur les Noirs en Guyenne. S’ils étaient destinés avant tout aux colonies, certains Noirs ou mulâtres arrivèrent quand même à Bordeaux : domestiques que des capitaines avaient acquis pour leur propre usage ou que des colons ramenaient à l’occasion de leur séjour en France, esclaves envoyés en « formation », cuisiniers par exemple, ou encore enfants destinés à amuser les dames quand il ne s’agissait pas des descendants des colons ou des capitaines. Bien que relativement peu nombreux, ces Noirs gênaient manifestement.

Ils gênaient d’abord sur le plan juridique puisque, depuis un édit de 1315, tout esclave entrant sur le territoire français devenait libre ! Le Code noir ne s’appliquait que dans les colonies. Mais la gêne allait plus loin, engendrant tout un dispositif de police heureusement peu respecté qui, pendant un temps, obligeait le colon arrivant à Bordeaux à « déposer » son esclave dans une prison spéciale.

On touche là à un des aspects importants du débat sur l’esclavage et la colonisation. « C’est l’esclavage qui a fait basculer l’image du Noir dans celle du nègre, estime Tillinac. Un complexe de supériorité à leur égard est né du fait qu’ils étaient taillables et corvéables à merci. » Autrement dit, « l’esclavage a nourri le racisme », comme le disait le président de la République en recevant le 30 janvier le Comité pour la mémoire de l’esclavage, et cet effet n’est sans doute pas complètement effacé dans les têtes des Blancs deux siècles après.

Si une grande thérapie de groupe semble donc nécessaire, reste à savoir sur quels objets concrets elle peut s’appuyer. Regardez au musée de la Marine la célèbre vue du port de Bordeaux par Joseph Vernet, à qui Louis XV avait commandé de peindre « tous les ports de France ». Elle fourmille de détails passionnants pour les historiens de la marine. Mais aucun ne se rapporte évidemment à la traite, alors qu’en 1758, date du séjour de Vernet, elle est tout au plus mise en sommeil par la guerre de Sept Ans avec les Anglais. La ville était certainement pleine de complices, mais le « crime contre l’humanité » - qualification de l’esclavage par la France depuis la loi de 2001 - ne s’accomplissait pas là. C’était à des milliers de kilomètres de là qu’on anéantissait des individus au profit d’armateurs français.

Plaques, monuments, mémorial

Alors que faire ? A Nantes, on va aménager quelques salles sur le sujet dans le musée du Château des Ducs de Bretagne ; à La Rochelle, on peut voir quelques peintures, gravures, fers de pieds et autres fouets au musée du Nouveau Monde (une programmation spéciale avec conférences et films y est prévue le 10 mai) ; à Bordeaux, le musée d’Aquitaine propose également quelques rares pièces. Tout cela offre un support minimum, notamment pour les scolaires, cible évidente de ce genre d’actions. A Bordeaux toujours, Karfo Diallo et son association « Diverscité » ont astucieusement relevé le défi en imaginant un circuit touristique un peu particulier. Il passe notamment par le grand théâtre dont une partie du plafond du XVIIIe siècle représente des esclaves noirs, le fort du Hâ destiné à emprisonner ces fameux Noirs indésirables et, surtout, une quantité de rues portant des noms qui furent des noms de négriers.

Faut-il inscrire « négrier » sur toutes ces plaques ? Denis Tillinac balaie l’idée de stigmatiser ainsi des familles dont les descendants ne sont pas responsables de leurs ancêtres et qui comportent certainement des gens très bien. Ainsi André-Daniel Laffon de Ladébat, fils de négrier, est-il connu pour son discours du 25 août 1888 « sur la nécessité et les moyens de détruire l’esclavage dans les colonies ». On s’est également rendu compte à la Rochelle qu’une rue que l’on croyait porter le nom d’un armateur négrier rendait en réalité hommage à l’un de ses descendants qui avait eu un rôle positif pour la ville.

Reste évidemment l’idée des plaques, monuments et autre mémorial. A la Rochelle, le 10 mai, l’actuel maire Maxime Bono va inaugurer une plaque devant le musée du Nouveau Monde. A Nantes, un considérable mémorial va être aménagé sur le quai de la Fosse, là où s’amarraient les bateaux, devant les maisons des armateurs. Les crédits sont votés et l’artiste choisi. A Bordeaux, la question est posée.

Mais si au fond la meilleure idée restait celle qui est déjà appliquée à Nantes ? Chaque année, depuis 1986, on jette des fleurs dans la Loire parce que, explique Octave Cestor avec beaucoup de poésie, « elle est le seul témoin, cette eau qui relie les continents et qui fut le tombeau de milliers d’Africains ». Mais il faudrait peut-être qu’il y ait plus de monde. De toutes les couleurs.
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