Quand le malheur des uns fait... le malheur des autres
Fruits amers de la « banane dollar » équatorienne
Le 22 mars, l’état d’urgence a été décrété en Equateur, qui vit au rythme d’importantes manifestations contre le traité de libre-échange commercial envisagé avec les Etats-Unis. Dans les bananeraies, où ils sont exploités sans merci, les Equatoriens connaissent déjà les effets de la mondialisation. Sa généralisation n’améliorera pas forcément leur sort, et provoquera en même temps des dégâts du côté européen – en particulier dans les départements d’outre-mer français.
Par Philippe Revelli
Journaliste. Dernier ouvrage paru : Une légère différence, préface d’Albert Jacquard, texte d’Eric Gouwy, éditions Alternatives, Paris, 2004.
Entre Santo Domingo et Machala, sur les terres fertiles situées au pied des Andes équatoriennes, les bananeraies s’étirent des deux côtés de la route. Des panneaux portant le nom de l’hacienda – Maria Elisa, La Julia, Norma Gisela – et la guérite d’un garde armé marquent l’entrée des plantations. Parfois, volant en rase-mottes, surgit une avionnette qui laisse dans son sillage un nuage blanc de pesticides...
Avec une moyenne de 4,3 millions de tonnes de bananes vendues par an au cours des cinq dernières années, l’Equateur se classe au premier rang des pays exportateurs de ce fruit, pourvoyant à lui seul 25 % du marché mondial. Cent quatre-vingt mille hectares de plantations, deux cent cinquante mille emplois (14 % de la population active si l’on prend en compte les emplois induits). A la différence de la situation qui règne dans les autres pays producteurs de « bananes dollars » (1), où les trois grandes multinationales qui dominent le secteur (Dole, Chiquita Brands et Del Monte) possèdent leurs propres cultures, les fruits équatoriens proviennent essentiellement de quelque six mille producteurs nationaux.
Numéro un mondial de l’agro-industrie, Dole a passé contrat avec un grand nombre d’entre eux et assure approximativement le quart des exportations de bananes du pays (2). Moins cependant que la compagnie Bananera Noboa, qui commercialise ses fruits sous la marque Bonita, et exporte près de la moitié des bananes équatoriennes. Propriété de M. Alvaro Noboa, une des plus grosses fortunes d’Amérique latine et candidat à la prochaine élection présidentielle, la compagnie est la bête noire des petits et moyens producteurs : « Ce sont des bandits ! », affirme M. Gustavo Pesantez, président de l’Association des producteurs de bananes de Los Ríos (Aproban) : « pour nous contraindre à leur vendre nos fruits, ils ont intenté des procès à neuf cents d’entre nous et menacent de nous prendre nos terres. »
En procès lui aussi avec Bananera Noboa, M. Enrique Feijoo, (...)
LE MONDE DIPLOMATIQUE | mai 2006 | Pages 16 et 17
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/REVELLI/13417