Retour vers le passé : Portrait de l’extrême droite au Québec
Faire le portrait de l’extrême droite québécoise n’est pas une tâche facile. Souvent marginale et peu médiatisée, on ne voit qu’une infime partie de ses activités, tant son expression publique reste limitée. Contrairement à la situation prévalant dans bon nombre de pays occidentaux, l’extrême droite québécoise a peu de relais officiels clairement identifiables dans les institutions politiques, culturelles et économiques. Finalement, ce courant se décompose en une myriade de chapelles et de groupuscules souvent opposés les uns aux autres sur des points de détails.
Nous tenterons de mettre à jour ces différences en subdivisant l’extrême droite en deux courants de fond (national-catholique et national-révolutionnaire), que nous traiterons successivement. Bien entendu, des individus et des groupes servent de passerelles entre les différentes mouvance. Nous évoquerons leur importance en temps et lieux.
Les ultra-nationalistes catholiques
Liés de près aux éléments les plus réactionnaires de l’église catholique, ce courant est présent depuis très longtemps au Québec. Ses principaux porte-parole ont en commun un rejet de la modernité et de ses valeurs. Leur nostalgie du Canada Français d’avant la « Révolution tranquille » les amène à combattre pour un monde ordonné par l’autorité divine, où chacunE retrouverait sa place d’antan. Foncièrement patriarcal, homophobe et inégalitaire, le courant national-catholique a perdu beaucoup de plumes au cours des dernières années. Constatant le cul-de-sac dans lequel ils s’embourbent, plusieurs groupes décident à l’automne 2001 de mettre sur pied un nouveau parti politique : le Parti Démocratie Chrétienne du Québec. Ses membres viennent des rangs du Centre d’information nationale Robert-Rumilly (CINRR), de la Campagne Québec-Vie et de la Société des missionnaires laïcs (SML). Avant de parler de ce parti politique provincial, présentons brièvement quelques-uns de ses membres fondateurs.
Le Centre d’information nationale Robert-Rumilly
Créé en 1990, le CINRR regroupe les éléments les plus militants des fascistes catholiques. Son nom rappelle la mémoire de Robert Rumilly, un historien ultra-nationaliste d’origine française arrivé au Québec dans les années 1930 (1). Le programme du CINRR place clairement ce groupe à l’extrême droite de l’échiquier politique : « L’État a la mission spi- rituelle de défendre et de promouvoir les caractères chrétiens, occidentaux et français de la nation et aussi de lutter contre le mondialisme qui, sous couvert d’antiracisme, de pacifisme et de tolérance, vise l’uniformisation planétaire, la mort des nations et la fin de la mission spirituelle de l’Occident » (2). Plusieurs de ses membres (dont le chanoine Achille Larouche, le père spirituel du CINRR) ont notamment participé à diverses campagnes contre la laïcisation du système éducatif à travers le Regroupement provincial des parents catholiques et le Regroupement scolaire confessionnel. Revendiquant plus de 500 membres à travers le Québec (un chiffre sans doute exagéré), le CINRR s’est dissout à l’intérieur du Parti Démocratie Chrétienne à sa création. Ses principaux dirigeants forment maintenant l’ossature de cette formation politique.
La Campagne Québec-Vie
Certains membres du CINRR, tel le diplomate à la retraite Gilles Grondin (3), se sont investis dans la lutte contre l’avortement à travers la Campagne Québec-Vie (CQV). Après 13 ans à la tête de ce lobby anti-choix, Grondin a cédé sa place en mars 2002 à un ex-étudiant en médecine de l’Université Laval domicilié à Brossard, Luc Gagnon. Dès son arrivée à la tête de CQV, Gagnon s’est fixé comme objectif d’intensifier le lobbying en direction des députés provinciaux et fédéraux pour les amener à s’impliquer dans la cause qu’il défend (notamment par une participation au caucus pro-vie déjà existant à Ottawa).
Tout comme le Parti Démocratie Chrétienne, CQV entretient d’étroites relations avec Ghislain Lebel, élu en 1993 dans le comté de Chambly sous la bannière du Bloc Québécois (4). Connu pour ses positions pour le moins « conservatrices » (lire racistes, homophobes et patriarcales), Lebel a notamment appuyé la démarche entreprise en 2001 par Mathieu Bock-Côté et Guillaume Ducharme au sein de la Commission Jeunesse du Bloc Québécois visant à réhabiliter le nationalisme ethnique. Luc Gagnon, dans un article publié dans le bulletin de CQV, appui également le Manifeste de la pensée nationale rédigé par Ducharme et Bock-Côté: « les jeunes bloquistes veulent ancrer leur combat dans le terreau de leur ancêtres et dans la mémoire nationale (…) Cet enracinement dans le pays réel québécois est développé dans Le Manifeste de la pensée nationale où les jeunes bloquistes ne craignent pas de se réclamer de Lionel Groulx, en amont de Charles Maurras et de Maurice Barrès et en aval de Yves Michaud et de Serge Cantin. Ils assument l’intégrité de l’héritage national canadien-français contre ceux qui voudraient faire de nous, les jeunes Canadiens français, des orphelins ». Pour Luc Gagnon, tout comme pour le reste de l’extrême droite catholique, la survie de la nation passe par l’arrêt de l’immigration et l’interdiction de l’avortement: « À l’heure où le Québec demande à Ottawa 35 000 immigrants alors qu’il avorte 35 000 enfants par année, on ne peut qu’être songeur quand à l’avenir de ce petit peuple français d’Amérique ».
L’autre objectif de Gagnon est d’influencer l’opinion publique pour contrer la progression de ce qu’il appelle la « culture de la mort » (avortement, homosexualité, idées de gauche, etc.) au sein de la société québécoise. Pour y arriver, il tente de briser l’étau de son courant, quitte à regrouper des libertariens et d’autres catholiques épris de tradition. Le résultat de ces efforts a été le lancement en novembre 2003 d’une nouvelle revue de « résistance conservatrice », Égards. Cette publication réunis quelques pamphlétaires et essayistes autour d’un projet commun : donner une voie aux intellectuels réactionnaires pour hâter le retour d’un « lumineux moyen-âge » au Canada français. On retrouve dans les pages d’Égards le romancier Maurice G. Dantec, bien connu pour ses sympathies fascistes, aux côtés de Jean-Luc Migué, un économiste ultra-libéral proche du Fraser Institute, et de Gary Caldwell, un « éminent » sociologue qui s’est présenté aux élections fédérales de 2004 sous la bannière du Parti Conservateur.
La Société catholique des missionnaires laïcs
Les débuts de la Société catholique des missionnaires laïcs remontent aux années ’70. Le groupe a été fondé par un ex-éducateur, membre de l’Ordre franciscain séculier, le frère Jean Dominique Talbot. Il s’installe sur l’Ile d’Orleans à la maison mère de l’Association des chevaliers de Saint-François d’Assise. Talbot y forme de jeunes catholiques et les dirige vers la prêtrise et l’évangélisation. En 1995, l’Association déménage ses pénates à Sainte-Anne-de-La-Pocatière et devient en 1998 la Société catholique des missionnaires laïcs (SCML). Depuis plus de 10 ans, la SCML produit une tonne de propagande violemment homophobe et sexiste où la restauration de la primauté de Dieu sur la société est sans cesse invoquée. Talbot a fait des émules. L’un d’eux, Martin Aubut, dirige une maison de production audiovisuelle (Sans Détour) en plus d’être l’auteur d’un livre au titre apocalyptique qui carbure à la théorie du complot. Dans Dénonciation troublantes et inédites , Aubut révèle « les manoeuvres maçonniques déployées pour détruire la chrétienté en France et au Québec par, entre autres, la laïcisation de l’enseignement, le rock’n’roll, le contrôle financier du nouvel ordre mondial et la diffusion du poison spirituel du Nouvel Age ». Le livre de Martin Aubut figure dans la liste d’ouvrages recommandés par Campagne Québec-Vie. Aubut est également le directeur de la revue de la SCML, Un phare dans la nuit, la-quelle vise un public jeune et francophone un peu partout à travers le monde.
Le Parti Démocratie Chrétienne du Québec
C’est suite à un colloque organisé par la Société catholique des missionnaires laïcs que des militantEs natio-nal-catholiques décident de fonder une nouvelle formation politique, en mesure de mobiliser les partisans de l’ordre et de la tradition. C’est ainsi que va naître le Parti démocratie chrétienne du Québec (PDCQ), dirigé par un membre influent du CINRR, Gilles Noël. Professeur de physique au CEGEP du Vieux-Montréal, Noël a une certaine expérience politique. En 1998, il se présente comme candidat indépendant dans la circonscription de Verdun. Lors des élections provinciales d’avril 2003, le PDCQ va présenter 25 candidatures et recueillir 3226 voix, une moyenne de 129 par candidat. Ce maigre résultat (aucune candidature ne franchit la barre des 1%) s’explique entre autre par le refus de la hiérarchie catholique d’appuyer le nouveau parti, mais aussi par l’absence de candidat vedette. Deux noms se dégagent tout de même du lot : Paul Biron et Gérard Gauthier. Biron est sans doute le plus connu des deux. Membre fondateur du Mouvement de libération nationale du Québec, militant pro-vie notoire, Biron est le frère du politicien nationaliste Rorigue Biron. Quand à Gauthier, il a milité aux côtés d’Adrien Arcand dans le Parti de l’unité nationale du Canada (PUNC) (5) avant de rejoindre le Centre d’information nationale créé par Robert Rumilly au cours des années ’50. Tout deux comptent parmi les vieux débris du fascisme made in Québec pour qui le PDCQ sert d’ultime caisse de résonance. Le principal cheval de bataille du Parti démocratie chrétienne est la défense inconditionnelle du caractère catholique de la nation canadienne-française. Ses modèles sont ceux du passé : le culte voué à Lionel Groulx et l’admiration pour l’Ordre de Jacques-Cartier (6) font du PDCQ une créature archaïque, condamnée à mourir avec les restes de la société traditionnelle.
Une nouvelle génération?
Malgré ce que l’on pourrait croire, le courant national-catholique suscite de nouvelles vocations. Ici et là, des groupuscules apparaissent. C’est notamment le cas des Penseurs patriotes (Saint-Jérôme), du Front nationaliste chrétien (Rock Forrest), de Long-Sault (Lévis) et de la Librairie Saint-Louis (Montréal).
Les Penseurs Patriotes sont un petit groupe de jeunes catholiques ultra-nationalistes des Laurentides, issus des rangs de l’Armée de Marie (7). Leur projet politique s’articule autour des thèmes suivants : « un Québec souverain, Français de langue et Chrétien catholique. Nous nous opposons à toutes les formes d’idéologies communiste, marxiste et franc-maçonniques (...), à toute séparation de l’église et de l’État ». Les Penseurs Patriotes réclament également un moratoire sur l’immigration. Au cours de l’année 2002, l’organisation a créé des liens avec un autre groupe ultra-nationaliste fascisant, les Jeunes Patriotes du Québec. Cette alliance semble avoir été de courte durée, les Jeunes Patriotes étant rapidement amalgamés au MLNQ (nous y reviendrons). Le « président » des Penseurs patriotes, Michel du Cap, annonce en décembre 2003 que le groupe se sépare pour fonder une « communauté de réflexion » au nom évocateur : La Phalange (
. Michel Du Cap poursuit son implication au sein de l’exécutif du Parti Québécois dans le comté de Prévost, à titre de représentant des jeunes.
« Dieu, famille, patrie » : tel est le leitmotiv du Front nationaliste chrétien, un groupe d’extrême droite des cantons de l’est. Leur plate-forme politique est un mélange de mesures populistes et de politiques réactionnaires. La survie de la nation et des valeurs traditionnelles est au coeur de leur projet de société. Plus articulés que les Penseurs patriotes, le FNC n’est pourtant pas à une contradiction près. Se présentant comme « antiracistes » et « anti-sexistes », ses membres réclament pourtant à grand cris un moratoire sur l’immigration et le retour des femmes au foyer, leur place naturelle! Le FNC a une proximité idéologique avec d’autres éléments du réseau national-catholique, notamment en France avec la Garde Franque, une organisation de jeunes catholiques intégristes proche du Front National. On retrouve d’autres représentants de cette mouvance au Québec, dont le bulletin Long-Sault et la Librairie Saint-Louis. Ces deux petits groupes suivent le sillon tracé par les intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X, une congrégation catholique qui a rompu avec le Vatican il y a une trentaine d’année parce qu’elle trouvait l’église officielle trop « moderne » et « marxiste ». Long-Sault est publié à Lévis, l’un des chef-lieu de la Fraternité au Québec, par un jeune dévot anti-communiste, Philippe Roy. Le bulletin compte également un vieux routier de l’extrême droite parmi ses collaborateurs. Jean-Claude Dupuis est actif dans le milieu national-catholique depuis 1992. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Jeune Nation au début des années ’90. Cette publication a été pendant 6 ans le fer de lance intellectuel de la « nouvelle droite » (9) au Québec. Le site web de Long Sault est hébergé sur un serveur de Montréal qui sert de repère à la Librairie Saint-Louis, dirigée par Ivan Kraljic. Spécialisée dans la vente par correspondance de livres publiés par diverses maisons d’édition catholiques intégristes d’Europe et d’Amérique, la Librairie Saint-Louis sert de relais québécois pour la pensée contre-révolutionnaire d’ici et d’ailleurs. Son adresse postale est la même que celle de la Fraternité Saint-Pie X sur la rue Dante, en plein coeur de la Petite Italie.
Lun 8 Mai - 19:11 par Tite Prout