Polémique : le Coran et la violence
« C'est un appel pathétique à la mansuétude »
Ghaleb Bencheikh El-Hocine*
De prime abord, je m'incline avec humilité et affliction devant les victimes des attentats new-yorkais. Ce sont des actes que je condamne sans réserve. Aucune cause, si noble soit-elle, n'autorise une telle barbarie. Et on ne doit se prévaloir d'aucun idéal religieux pour tuer des innocents.
Toutefois, par souci de probité intellectuelle, je dois admettre qu'il y a dans le Coran des passages qui, tout comme dans la Bible, disent « tuez l'infidèle ». Il est possible qu'un voyou manipulateur y lise « tuez l'Amérique ». Aux hiérarques musulmans, dont je déplore la frilosité qui frise la lâcheté, d'en appeler à une exégèse qui aille dans le sens de la promotion de la dignité humaine et de la fraternité universelle. Ces passages violents du Coran sont toutefois éclipsés par pléthore d'autres passages qui, tel le verset 31-33 de la sourate 41, disent : « La bonne action et la mauvaise ne sauraient aller de pair. Repousse le mal par le bien... »
Je dirai qu'un trentième du Coran, est de type prescriptif. Son écriture s'est échelonnée dans un contexte historique très hostile et guerrier. Afin de ne pas se borner à une lecture littéraliste telle que la pratiquent les pourfendeurs du Livre et les extrémistes fanatiques, il faut disposer d'un outillage intellectuel, qui permet de relativiser ces quelques phrases, qui ne sont en rien une innovation coranique. Encore une fois, aux exégètes musulmans d'assumer leur responsabilité. Ils doivent affirmer que ces passages coraniques sont temporels et circonscrits.
Prenons ainsi la sourate 18, verset 29 : « Nous avons préparé pour les coupables un feu dont les flammes les envelopperont. S'ils crient au secours, nous les secourrons avec une eau comme du bronze en fusion pour leur brûler la face. » Ce verset est destiné à frapper l'imaginaire des Bédouins en leur livrant cette description allégorique de la Géhenne.
Ces quelques passages violents nous posent problème. Car ils sont instrumentalisés par un Ben Laden et ses fanatiques ignares et incultes, qui omettent volontairement de lire la suite. Les passages de type talionesque sont systématiquement suivis d'appels à la miséricorde et au pardon. Je citerai pour exemple « Dieu qui aime et pardonne », ou « Dieu suscitera un peuple qu'Il aimera et qui L'aimera », « Dis-leur si vous aimez Dieu, suivez-moi. Il vous aimera et vous pardonnera vos fautes ».
Comment ces extrémistes peuvent-ils justifier leur ignominie par leur dévotion ? Le Coran ne dit-il pas (sourate 2, verset 177) « La piété ne consiste nullement à tourner votre face du côté de l'Orient et de l'Occident. La piété véritable est de croire en Dieu au jour dernier [...], de donner de son bien pour l'amour de Dieu, aux proches, aux orphelins, aux pauvres... » ? Le Coran ne justifie pas les châtiments infligés aux « Infidèles ». Je mets au défi quiconque de trouver dans le Coran l'épithète « sainte » accolée à « guerre ». Je rappelle que djihad signifie uniquement effort, effort sur soi et effort envers les autres dans un but d'élévation spirituelle. Il est vrai que cet effort a été déployé souvent dans des actions militaires et a été théorisé comme tel, notamment lors des croisades.
Le Coran est un chant d'amour oblatif, un appel pathétique à la mansuétude et la magnanimité, continuateur des préceptes nobles et moraux de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pour les musulmans, aimer Dieu doit se traduire par des actes concrets auprès des hommes, récipiendaires de l'effusion sainte émanant de Lui. Le musulman que je suis aime impérativement l'autre, car il est écrit (sourate 49, verset 13) « O vous, les gens, nous vous avons créés d'un homme et d'une femme, et nous vous avons constitués en peuples et tribus afin que vous vous reconnaissiez les uns les autres ». Nous, les musulmans, particulièrement arabes, souffrons aujourd'hui, car les criminels sont de notre côté. Nous souffrons aussi de l'idiotie, de l'ineptie qui émanent de la flopée d'analystes, stratèges et autres observateurs avisés. Le Coran, Verbe de Dieu qui s'est fait Livre, est un appel à l'amour et à la compassion, une invitation au mystère. Nous en appelons simplement à un débat serein dans la probité et la rigueur. « Ne désespérez pas de la Miséricorde de Dieu », est-il encore écrit
*Ghaleb Bencheikh, 41 ans, est physicien, docteur ès sciences. Il est l'auteur d' « Alors, c'est quoi l'islam ? » (à paraître le 25 octobre aux Presses de la Renaissance).
© le point 05/10/01 - N°1516 - Page 78 - 754 mots
Lun 8 Mai - 11:55 par mihou