Polémique
Dieudonné, l'homme qui accuse les juifs

L'humoriste poursuit un but politique. En suscitant ainsi la haine des Noirs envers ceux qu'il appelle les « sionistes », il tente de fédérer une communauté noire qui est encore très dispersée, mais dont le ressentiment monte face à une République qui ne tient pas ses promesses. Enquête sur une méthode.

Marie-Sandrine Sgherri

Le 11 décembre 2004 , Dieudonné, invité par Thierry Ardisson, prend la défense de la chaîne de télé Al-Manar, chaîne qui, précise Ardisson, accuse les Israéliens d'avoir inoculé le sida en Afrique. A la question : qu'en penses-tu ?, Dieudonné répond: « Le sida est une invention pour anéantir le peuple noir d'Afrique. Ce serait pas mal de faire une étude sur les origines de cette maladie. Non, je ne le pense pas, mais je m'interroge. Il faudrait une commission d'enquête. »

Cette sortie délirante de l'« humoriste » passe pourtant inaperçue. Dix jours auparavant, Dieudonné a joué ce fameux sketch dans l'émission de Marc-Olivier Fogiel. Chacun s'étripe alors sur le point de savoir s'il a crié « Isra'Heil » ou Israël, et personne ne relève que Dieudonné vient de semer le plus effroyable des doutes sur la plus invraisemblable des accusations. Il est vrai qu'il n'a pas formellement accusé les juifs ni même Israël. Il s'est « interrogé »...

Tout le système Dieudonné est là : il cultive l'ambiguïté, attise la haine, mais laisse à ses interlocuteurs le soin de compléter ses sous-entendus. Résultat : ses procès pour antisémitisme se sont soldés par des relaxes. Pourtant, l'ensemble de ses déclarations donne le vertige. C'est un pilonnage en règle qui vise toujours la même cible.

Selon lui, le sionisme « est un projet colonial raciste qui applique un programme d'épuration ethnique » (1). Il ne perd pas une occasion de dire qu'Israël a toujours soutenu le régime d'apartheid en Afrique du Sud, avant de carrément accuser les juifs d'avoir eu le monopole de la traite négrière.

Pourtant, à l'époque où est rédigé le Code noir qui réglemente l'esclavage dans les possessions françaises, les juifs n'ont qu'une existence clandestine en France et sont loin de pouvoir obtenir le monopole de quoi que ce soit ! Mais, pour les partisans de Dieudonné, la démonstration est achevée : ceux qui se disent victimes sont en réalité des bourreaux.

De tels propos ne sont pas l'effet du hasard. Dieudonné poursuit une stratégie que décrit Eric Marty, professeur à Paris-VII : « Point n°1 : dénier la qualité de victimes aux juifs en leur attribuant les signes de leurs propres bourreaux. Point n°2 : faire des juifs les artisans du martyre noir et de l'esclavage. Point n° 3 : se donner soi-même comme victime nègre », ce que fait Dieudonné en dénonçant le « lynchage » dont il est victime.

Cette stratégie, Dieudonné ne l'a pas inventée. Marty rappelle comment en 2001, lors de la conférence de Durban, le mythe du juif esclavagiste a fait son apparition sur la scène mondiale, tandis que des manifestants hurlaient « Kill the jews ! ». Cet antisémitisme traverse le discours des mouvements radicaux noirs américains, tels les Black Panthers ou Nation of Islam, dont le chef est Louis Farrakhan. Une journaliste, Anne-Sophie Mercier, publie une enquête, « La vérité sur Dieudonné » (Plon). Elle a établit que Dieudonné a rencontré le représentant en France de Louis Farrakhan.

Changer d'ennemi. Elle établit surtout que Dieudonné poursuit un but politique. En attisant la haine entre Noirs et juifs, il tente de fédérer une communauté noire qui est très dispersée, mais dont le ressentiment monte face à une République qui ne tient pas ses promesses. Dieudonné prospère sur les atermoiements des politiques qui votent en 2001 la loi Taubira, faisant de la traite négrière un crime contre l'humanité, puis, quatre ans plus tard, reconnaissent les bienfaits de la colonisation. Il a beau jeu de souligner que les premières victimes du racisme sont les Noirs et les Maghrébins, pas les juifs. Succès garanti. Avant de prendre ses distances, Jamel Debbouze affirmait, au Zénith,en décembre 2004 : « Il a les couilles de dire ce qu'on pense. » La formule rappelle quelque chose. Dans les années 80, Le Pen était celui qui « dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Dieudonné, qui se présentait en 1997 aux législatives à Dreux pour faire barrage au FN, estime en 2005 qu'« il y a plus de diversité au Front national qu'au CRIF. Il y a des gens de toutes les religions, de toutes les couleurs ». « Dieudo » a décidément changé d'ennemi.
Les cibles

B.H.L

« BHL a mis au point une industrie de la souffrance, pour faire un max de fric. Plus ils en ont, plus ils en veulent. »

Patrick Bruel

« Bruel, vous savez Maurice [Benguigui] , celui qui a changé de nom. ». Dieudonné utilise le procédé classique de l'extrême droite qui consiste à « démasquer » les juifs.

Malek Boutih

« Pantin de Julien Dray. »

Harlem Désir

« A peine bon à laver la voiture de Julien Dray. »

Thierry Ardisson

« Ardisson s'est couché devant les juifs. »

Marc-Olivier Fogiel

Dieudonné manifeste tous les dimanches pour le faire interdire d'antenne.
1. « Dieudonné, entretien à coeur ouvert avec Olivier Mukuna » (EPO édition).

© le point 03/11/05 - N°1729 - Page 69 - 684 mots