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 Dieu et les lois de l'univers

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mihou
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mihou


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08052006
MessageDieu et les lois de l'univers

Dieu et les lois de l'univers

A l'heure du péril des fondamentalismes, le prix Nobel Georges Charpak et le physicien Roland Omnès partent en croisade dans « Soyez savants, devenez prophètes » (Odile Jacob), un livre plaidoyer pour la connaissance. Extraits

Hervé Ponchelet

Avec son complice Henri Broch, grand pourfendeur de para-sciences, Georges Charpak, prix Nobel de physique, avait fait un tabac - près de 300 000 exemplaires ! - en publiant « Devenez sorciers, devenez savants ». Un livre de « démontage » du paranormal, des miracles et des tours de fakir en tout genre.

Associé cette fois au physicien Roland Omnès, avec « Soyez savants, devenez prophètes », il part en croisade pour « faire partager ce sentiment, si proche du sacré, qu'éprouvent ceux qui approchent les lois de la nature ». Ce faisant, les deux scientifiques se retrouvent « sur les terres disputées par la philosophie et la religion ». Mais leur conviction est faite. « Par un paradoxe inattendu, affirment-ils, le butin transcendant rapporté par la science offre plus de grandeur à la méditation qu'aucune tradition. »

A l'heure où d'aucuns voudraient confiner la science dans une démarche utilitariste, à vous de juger, grâce à ces larges extraits du chapitre « Science et religions » de ce livre, en librairie depuis le 27 avril - Hervé Ponchelet

Extraits

Une religion peut-elle évoluer ? Il suffit d'ouvrir un traité, comme celui d'Eliade (1), pour constater qu'il en fut bien ainsi au cours des âges. La question véritablement pertinente est cependant différente. Elle porte sur une évolution de la pensée religieuse qui l'accorde à ce que la science connaît. En somme, harmoniser ce que l'on croit avec ce que l'on sait.

La question s'est d'abord posée au christianisme, parce que la science se développait dans des terres chrétiennes. Il y eut des hauts et des bas, des luttes, des rejets de part et d'autre. Il semble que le protestantisme - bien que jamais dans son entier - ait été le premier à évoluer. L'adaptation commença en Allemagne, au début du XIXe siècle, pour conduire à ce qu'on appelle un protestantisme libéral. Celui-ci, convaincu du caractère vital des leçons d'amour du Christ, s'efforçait de dégager l'essentiel de ce message des strates accumulées par l'Histoire.

L'Eglise catholique évolua plus lentement, mais elle a maintenant pris la mesure des révélations de la science. Il suffit pour s'en convaincre de comparer ses positions historiques à cent cinquante ans de distance. Quand, en 1854, le pape Pie IX, farouche adversaire des nouveautés, proclamait le dogme de l'immaculée Conception de Marie puis, en 1870, celui de l'infaillibilité pontificale, aujourd'hui, en revanche, Jean-Paul II a révisé les conclusions du procès de Galilée et demandé aux juifs pardon pour des siècles de persécution. Quant à l'évolution des espèces, y compris l'espèce humaine, elle est maintenant reconnue comme un fait. Le chemin parcouru est donc immense.

Il est vrai que le christianisme a ses fondamentalistes qui s'accrochent farouchement à la lettre ou aux traditions. Leur doctrine est particulièrement simple dans certains courants du protestantisme : tout ce qui est écrit dans la Bible est vrai de manière absolue, sans que le moindre doute soit tolérable. On se demande à vrai dire d'où leur vient cette certitude : où cela est-il écrit dans la Bible ? Saint Paul (dans la deuxième épître à Timothée) disait seulement que toute écriture est inspirée de Dieu et utile afin d'enseigner, convaincre, redresser et éduquer dans la justice. Saint Pierre (dans sa deuxième épître) affirmait pour sa part que des hommes furent "poussés par le Saint-Esprit à parler de la part de Dieu". Des théologiens nous ont confirmé qu'il n'est dit nulle part dans la Bible qu'elle était absolument vraie, la Torah ne fait jamais état que d'inspirations, divines certes, mais seulement d'inspirations.

Nous ne nous lancerons donc pas dans la critique facile qui déduit des dimensions de la "mer de bronze" (un bassin du temple de Jérusalem destiné aux ablutions rituelles) que le nombre pi serait égal à 3 : cela montre seulement qu'il y a dans la Bible des approximations humaines, en accord avec l'époque où les textes ont été écrits. L'inspiration du texte biblique n'a donc rien d'une dictée mot à mot ; parce qu'elle est inspiration, elle suppose que l'homme exerce son intelligence pour comprendre et "éduquer dans la justice".

La religion juive est si proche de la chrétienne sur ce thème que l'on peut être bref. Sa tradition semble n'avoir aucune difficulté sérieuse à ce propos, du moins d'ordre métaphysique. [...] Certains ont voulu faire d'Einstein un fidèle de la religion juive, bien qu'il n'ait jamais lui-même exprimé rien de tel. Ses déclarations offrent au contraire les plus belles références qui soient au sens du sacré comme nous l'entendons. Quelques extraits de son livre "Comment je vois le monde" le montrent, et d'abord celui-ci lorsqu'il parle des "génies religieux de tous les temps" en remarquant qu'ils se sont tous "distingués par leur religiosité face au cosmos". Ainsi atteint-on, selon lui, "la religion à son ultime degré, bien que rarement accessible dans sa pureté totale". Il précise : "J'appelle cela religiosité cosmique et il ne m'est pas facile d'en parler, car il s'agit d'une notion nouvelle et qu'aucun concept d'un dieu anthropomorphe n'y correspond [...] Pour moi, le rôle le plus important de l'art et de la science consiste à susciter ce sentiment et le maintenir éveillé chez ceux qui lui sont réceptifs. [...] Indubitablement, ce sentiment se compare à celui qui anima les esprits religieux créateurs dans tous les temps."

C'est pourquoi, selon lui, la religiosité du savant "consiste à s'étonner, à s'extasier devant l'harmonie des lois de la nature où se dévoile une intelligence tellement supérieure qu'au regard d'elle toutes les pensées humaines avec toute leur ingéniosité ne peuvent que révéler leur néant dérisoire".

Le cas de l'islam semble à première vue moins simple que celui du judaïsme et du christianisme, dans la mesure où le Coran résulte en principe d'une dictée divine. Les contraintes conceptuelles qu'il impose sont plutôt lâches, en revanche, si l'on en juge par l'admirable renaissance artistique, intellectuelle et scientifique qui suivit l'expansion de la religion musulmane. Du VIIIe au XIe siècle, et beaucoup plus tard en certains endroits, la civilisation de l'Islam brillait de mille feux alors que l'Europe était encore habillée "de fer et de bure" et enfermée dans des dogmes étroits. Astronomes, mathématiciens, physiciens, médecins, naturalistes et philosophes arabes, perses ou égyptiens ravivaient les cendres de l'Antiquité grecque pour en attiser la flamme.

Les exemples de ces penseurs de haute volée sont nombreux, nous n'en citerons qu'un, parce qu'il est relativement peu connu et, à nos yeux, admirable. Alhazen, car c'est de lui qu'il s'agit, naquit en 965 à Bassora, à l'embouchure de l'Euphrate, dans l'Irak actuel, et il mourut au Caire en 1039. Il écrivit un traité d'optique qui fut traduit en latin au XIIIe siècle et inspira, longtemps après, Kepler et Descartes. [...] Il inventa en particulier la chambre noire. C'est une caméra dépourvue de système optique, composée simplement d'une boîte noire percée d'un trou. Alhazen se servit de cet appareil rustique pour établir que la lumière se propage en ligne droite. Il réfuta aussi, par l'expérience, une théorie d'Aristote qui avait subsisté pendant treize siècles et que personne n'avait contestée jusqu'alors. Elle supposait que l'oeil est la cause de sa propre vision en attirant à lui la lumière issue des objets. Alhazen démontra la fausseté de l'hypothèse en établissant que les objets réfléchissent au contraire la lumière extérieure avant que celle-ci ne vienne frapper l'oeil. [...]

C'était un personnage de roman. On raconte que, fasciné par les crues du Nil, il avait conçu un fabuleux projet de barrage pour les rendre plus régulières et avait réussi à convaincre le calife de lui confier l'entreprise. Il reçut pour cela argent et main-d'oeuvre (ce qui en fait le précurseur des scientifiques modernes, adeptes de projets pharaoniques). Mais Alhazen constata assez vite que son projet était utopique. Peu soucieux de payer son échec de sa vie, il feignit tout simplement la folie et trouva refuge au Caire.

A voir la richesse du mouvement des idées dans le Moyen Age arabe, on se demande pourquoi la source des génies comme Alhazen s'est tarie, et pourquoi la pensée scientifique s'est étiolée depuis dans le monde musulman. Ajoutons néanmoins qu'il existe toujours de grands savants de cette lignée, nous pensons en particulier à un défunt ami et collègue pakistanais, Abdus Salam. Il fut un des inventeurs du modèle standard des particules et fonda l'Institut international de Trieste, destiné à accueillir et former des scientifiques venus du tiers-monde. Il se disait et se voulait musulman, mais ils restent rares, les hommes de cette grandeur, plus rares que dans d'autres civilisations, ce qui pose la question de cette raréfaction.

Une réponse brutale a été avancée par Ahmed Zewail, prix Nobel de chimie 1999, qui naquit et fut élevé en Egypte avant de devenir titulaire de la prestigieuse chaire Linus Pauling au California Institute of Technology. Il ne pense pas que des limites assignées par la religion aux spéculations de l'esprit soient responsables du sommeil de la science en monde musulman. Le passé suffirait à prouver le contraire. Il en voit la cause dans une influence croissante, au fil des années, de tendances obscurantistes, hostiles par principe à toute quête scientifique et à toute connaissance de cet ordre. [...] Mahathir Mohamad, Premier ministre de Malaisie, affirme quant à lui que le véritable obstacle au développement n'est pas l'islam, mais l'entêtement des oulémas politiques qui réduisent toute connais- sance au seul contenu du Coran et à son interprétation la plus étroite. En somme, le fondamentalisme boucherait toute perspective d'avenir. [...]

Le cadre commun où s'inscrivent en regard la science et la religion ne peut être, de notre point de vue, que celui de la mutation. C'est la perspective sous laquelle toutes deux apparaissent comme des messagères de l'extra- humain. La religion l'appelle "Dieu", la science pour sa part se livre aux profondeurs de l'Univers et des lois. C'est à l'occasion de la question du sens que nous les avons vues se rapprocher, s'opposer, se répondre, pour converger sur la présence du sacré que ressent l'homme conscient de son humanité dans un monde qui l'enveloppe et le dépasse jusqu'à l'infini.

Aujourd'hui, nous savons que la science tend vers le vrai mais que le sens lui échappe ; symétriquement, la profondeur de la religion est dans le sens dont elle est porteuse, alors que sa vêture conceptuelle est en loques. D'une certaine manière, presque tout ce qui est métaphysique religieuse redevient terrain vierge, hormis l'essentiel, le feu dans la cendre, le diamant dans la gangue qu'Einstein avait si bien discerné chez les grands créateurs religieux. C'est l'unité du divin chez Moïse et Mahomet - cette intuition magnifique d'une cohérence insondable de la réalité extra-humaine. C'est l'amour prêché par Jésus ou la compassion de Bouddha. Et surtout, ce sont toutes ces vies d'hommes et de femmes auxquelles s'appliquent les mots "saint" ou "juste" et qui montrent le chemin.

Les religions qui garderont leur sens premier, celui de messagères du divin, devront de toute évidence épurer leurs doctrines pour en dégager l'essentiel. Cela ne pourra se faire sans réaction, les fondamentalismes s'y opposeront par tous les moyens. La prolifération des sectes est tout aussi manifeste. Quand la sagesse induit les grandes religions à réduire dans leur offre la part des croyances néolithiques, les petites entreprises de substitution se multiplient, et cela d'autant plus que les imitations sont faciles à produire.

La sagesse ne règne pas toujours, on voit encore les religions se livrer à la concurrence, chacune s'efforçant d'accroître son emprise ou de la maintenir. Cela a quelque chose d'absurde, tant il est clair qu'aucune n'est en possession d'une vérité absolue. Elles n'opposent le plus souvent les unes aux autres que ce qu'elles ont d'irrecevable, et ces conflits obscurs montrent combien les humains ont peine à distinguer l'ordre de la pensée de celui du sentiment.

Distinguer, aller à l'essentiel, n'est-ce pas le rôle de la philosophie ? Celle-ci a montré parfois qu'elle pouvait distiller le meilleur de la religion, comme chez les platoniciens ou, plus tard, Thomas d'Aquin, Maimonide et Averroès : le chrétien, le juif et le musulman. La philosophie européenne, de Descartes à Kant, avait déjà entrepris l'épuration nécessaire des valeurs chrétiennes dans lesquelles elle était née, et elle est toujours seule à porter la part vivante de l'esprit grec.

Jamais elle n'a été plus nécessaire, maintenant que de notre savoir devrait naître un art plus pur de vivre et d'aimer. Aussi faut-il voir plus loin qu'André Malraux et sa fameuse prophétie : "Le XXIe siècle sera religieux", car cela pourrait signifier le meilleur ou le pire. Le meilleur sans aucun doute, où la grande espérance serait que ce siècle soit vraiment à nouveau philosophique, c'est-à-dire au sens premier : "ami de la sagesse".
1. Mircea Eliade, historien roumain spécialiste de l'histoire des religions et de l'étude des mythes.
© le point 29/04/04 - N°1650 - Page 72 - 2142 mots
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