Dix-neuf historiens contre les lois "antidémocratiques"
NOUVELOBS.COM | 13.12.05 | 16:58
Des articles de la loi Gayssot, de la loi pour la reconnaissance de
l'esclavage comme crime et de celle sur la colonisation sont jugés
anti-démocratiques.
D ix-neuf historiens de premier plan demandent la "Liberté pour
l'histoire!". Dans un texte rendu public lundi 12 décembre, dix-neuf
historiens de premier plan se sont prononcés pour l'abrogation de
plusieurs articles de loi, selon eux "indignes d'un régime
démocratique", concernant des "événements du passé".
Ils ont fait référence à des articles contenus dans les lois du 13
juillet 1990 (ndlr: dite loi Gayssot, tendant à réprimer tout acte
raciste, antisémite ou xénophobe, article 9 sur le négationnisme),
du 29 janvier 2001 (ndlr: relative à la reconnaissance du génocide
arménien de 1915), du 21 mai 2001 (ndlr: tendant à la reconnaissance
de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité)
et du 23 février 2005.
Le polémique article 4 de cette dernière loi (en faveur des Français
rapatriés) stipule que "les programmes scolaires reconnaissent en
particulier le rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord".
Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker,
Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard,
Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude
Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre
Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock ont signé
ce texte.
"Esclave de l'actualité"
"Emus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes
dans l'appréciation des événements du passé et par les procédures
judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à
rappeler les principes suivants", ont-ils écrit.
Selon eux, "l'histoire n'est pas une religion. L'historien n'accepte
aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous.
Il peut être dérangeant. L'histoire n'est pas la morale. L'historien
n'a pas pour rôle d'exalter ou de condamner, il explique. L'histoire
n'est pas l'esclave de l'actualité. L'historien ne plaque pas sur le
passé des schémas idéologiques contemporains et n'introduit pas dans
les événements d'autrefois la sensibilité d'aujourd'hui".
"L'histoire n'est pas la mémoire, ont-ils poursuivi.
L'historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs
des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux
objets, aux traces, et établit les faits. L'histoire tient compte de
la mémoire, elle ne s'y réduit pas. L'histoire n'est pas un objet
juridique".
Politique de l'Etat et politique de l'histoire
Ils ont encore précisé : "dans un Etat libre, il n'appartient ni au
Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité
historique. La politique de l'Etat, même animée des meilleures
intentions, n'est pas la politique de l'histoire".
"C'est en violation de ces principes que des articles de lois
successives - notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001,
du 21 mai 2001, du 23 février 2005 ont restreint la liberté de
l'historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu'il doit
chercher et ce qu'il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et
posé des limites. Nous demandons l'abrogation de ces dispositions
législatives indignes d'un régime démocratique", ont-ils conclu.
Source :
http://permanent.nouvelobs.com/politique/20051213.OBS8690.html