On trouve également des islamistes irakiens ayant opéré à l'étranger, tel Abou Rachid, du mouvement wahhabite Tawid wal Djihad (Unité et Guerre sainte), qui se vante d'avoir personnellement décapité l'américain Nick Berg. Ancien membre de la garde Saddam, expulsé pour son appartenance à un mouvement islamiste, il a tenté de rejoindre l'Afghanistan pour apporter son soutien aux Taliban . Arrivé trop tard, lors du débarquement coalisé en Afghanistan, il est aujourd'hui l'un des « émirs » de Falluja. La mouvance talibane est représentée en Irak par l'Armée des compagnons du Prophète, qui s'est notamment fait connaître par ses menaces de mort à l'encontre de la dirigeante féministe Yannar Mohammed, en raison de son opposition publique à la charia. On ne peut évidemment pas oublier l'organisation du Jordanien Abou Moussab Zarkaoui, considéré comme l'homme al-Qaeda (La Base) en Irak, et auteur de nombreux attentats visant notamment les chrétiens d'Irak. Ce mouvement, incontestablement le plus médiatique et le plus hi-tech à l'échelle internationale, se singularise par sa totale adaptation aux spécificités du capitalisme global et son discours transnational, hostile aux nationalismes arabes et favorable à la constitution d'une vaste umma (communauté) musulmane fondée à la fois sur la charia et le capitalisme le plus avancé. Al-Qaeda est un pur produit de la globalisation capitaliste .
Contrairement aux baasistes, qui n'ont pour eux qu'un immense stock d'armes, mais apparemment de faibles ressources extérieures, les islamistes disposent d'une véritable manne, fournie par les réseaux financiers de l'Islamisme, alliant organisations non-gouvernementales et banques islamiques . Les états islamiques, que ce soit la pétromonarchie saoudienne - qui n'a pas la moindre intention de laisser revenir l'Irak sur la scène internationale du pétrole - ou l'Iran, qui contrairement à l'idée reçue ne finance pas que les mouvements chiites, font partie des généreux mécènes de la résistance. Certains mouvements disposent également de bases arrière en Iran, simple monnaie de la pièce puisque la quasi-totalité des organisations de l'opposition iranienne disposent de camps en Irak. C'est notamment le cas de l'une des plus importantes, le Suprême conseil de la révolution islamique en Irak, qui fait partie du gouvernement provisoire et vient d'intégrer sa milice de plusieurs milliers d'hommes à l'armée régulière de l'Irak.
En effet, tout comme les baasistes, les islamistes n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier. Certains partis ont choisi la voie gouvernementale, comme d'autres ont opté pour la résistance. Même Moqtada al-Sadr', qui est présenté comme le leader de la résistance chiite - il est l'héritier d'une longue lignée de religieux célèbres - se sert de son mouvement armé essentiellement comme d'un marchepied vers le pouvoir politique, puisqu'il a annoncé à plusieurs reprises la transformation de son Armée du Mahdi en parti politique et sa participation aux élections organisées en 2005. Cela ne doit pas suspendre, dans une région où les partis politiques disposent tous d'organisations militaires. Quelle que soit la méthode qu'ils ont choisie, les mouvements liés à l'Islam politique partagent un programme commun, à quelques nuances près : la mise de place d'un régime fondé sur l'Islam, régi par la charia et instituant l'apartheid sexuel. En outre, ils partagent la même aversion pour les athées et les laïques, les croyants d'autres religions, les féministes, les syndicalistes et les communistes, qu'ils vouent aux gémonies à longueur de colonnes dans leurs journaux. Au mois de juillet, le poète Mohammad Abdul Rahim, qui avait rejoint les rangs du Parti communiste-ouvrier et militait ouvertement contre l'islam politique dans ville de Kut, a été assassiné. Son corps a été retrouvé près de la frontière iranienne, sur la piste empruntée par les troupes du Suprême conseil de la révolution islamique. Ce parti gouvernemental, dont les militants avaient menacé de mort le poète, dénie toute implication.
La meilleure façon d'évaluer la résistance irakienne étant sa pratique, il est intéressant de constater son action, notamment dans les zones passées sous son contrôle. A Cité Sadr, la ville qui porte le nom de famille de Moqtada al-Sadr', les habitants ont fait part des méthodes de terreur employées par les 1500 miliciens de l'armée du Mahdi à l'égard de la population locale . Il faut noter qu'à Nassiriyah, ce sont les ouvriers de l'usine d'aluminium qui ont chassé les troupes de Moqtada al-Sadr' qui tentaient d'occuper l'entreprise pour la transformer en bastion militaire, comme l'a signalé la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak . A Bassorah, les différents partis islamistes, qu'ils soient dans la résistance ou au gouvernement, ont instauré un « émirat » dans lequel on ne rencontre presque plus de femmes dans les rues, ou la vente d'alcool et les boîtes de nuits sont prohibées - ailleurs, ils ont été jusqu'à interdire les pique-nique. A Mossoul, ce sont les femmes travaillant dans le milieu médical ou universitaire, qui sont victimes d'assassinats par balles, éventuellement assorties de décapitations. La montée en puissance de la résistance s'est traduite immédiatement par l'instauration de fait d'un apartheid sexuel et a rendu la vie des femmes irakiennes plus dangereuse, plus insupportable encore.
c) A gauche de la résistance ?
On pourrait volontiers imaginer que la résistance irakienne ne soit pas composée exclusivement de baasistes et d'islamistes, et même y rechercher une fraction de gauche, progressiste et laïque. Il est possible que celle-ci existe, mais dans ce cas, elle ne brille pas par son sens de la communication. L'une des nombreuses singularités de la situation irakienne tient dans la participation du Parti communiste d'Irak au gouvernement, avec l'aval des forces occupantes et aux côtés des partis religieux. Il y incarne même, d'une certaine manière, la caution démocratique et joue un rôle non négligeable dans la réorganisation de l'industrie, puisqu'il contrôle une puissante centrale syndicale, la Fédération irakienne des syndicats (IFTU). La tutelle d'un parti gouvernemental n'est d'ailleurs pas toujours bien ressentie par la base syndicale. Cette collaboration a produit une scission nommée Parti communiste d'Irak (cadres), se positionnant fermement comme le flanc gauche de la résistance. S'il critique le rôle des dirigeants religieux, auxquels il reproche de chercher simplement le maintien de leur pouvoir, il n'en prône pas moins l'unité de la résistance, c'est-à-dire l'alliance avec les islamistes et les baasistes, sur fond commun de patriotisme . La question du programme social de la résistance est éludée au profit de la lutte contre l'impérialisme américain.
Le Parti communiste lui-même, jadis le plus puissant du Moyen-Orient, a perdu une partie de ses membres au profit du Parti communiste-ouvrier, dont la double opposition à l'occupation et à l'islamisme, attire un nombre croissant de militant-es. Ce dernier ne participe pas, pour l'instant, à la résistance et dénonce son caractère nationaliste et religieux. Toutefois, il organise, dans les quartiers où il est implanté - principalement des camps de réfugiés et des immeubles squattés - des groupes armés chargés de protéger la population contre le gangstérisme et l'islamisme. L'un de ses dirigeants, Khasro Saya, déclare : « Notre conception de la résistance armée est totalement différente de celles des islamistes et des baasistes qui opèrent actuellement en Irak. Nous nous considérons d'ores et déjà comme un parti armé et, en même temps que d'autres formes de lutte, nous développons nos capacités militaires et nous essayons d'armer les masses et leurs organisations selon une stratégie militaire. Nous luttons de manière à inverser la balance du pouvoir militaire, afin d'expulser les troupes d'occupation, diminuer l'influence de l'Islam politique sur la vie des gens, développer le pouvoir des masses et leur permettre, avec leurs représentant-es, de contrôler leurs propres affaires, aussi bien au niveau des quartiers, des villes, des régions, que du pays entier » . Partisan de l'armement du prolétariat, ce parti refuse énergiquement le recours au terrorisme, dont il dénonce régulièrement le caractère barbare.
Comment se fait-il que la résistance irakienne soit globalement située à l'extrême-droite, au point de satelliser certaines fractions de la gauche (et de fasciner une frange de l'extrême-gauche) ? On peut apporter de nombreuses réponses, non-exclusives, à cette question. Il faut tout d'abord remarquer que l'entrée en Irak des troupes coalisées a suscité une réaction mitigée de la part de la population irakienne, plutôt favorable au Kurdistan - autonome depuis 1991 sous la tutelle de partis nationalistes proaméricains - et méfiante dans le reste du pays, où l'horreur des années d'embargo entrait en balance avec le renversement du régime fasciste. Le déclenchement quasi-immédiat de la lutte armée est donc plus le fait d'un volontarisme que d'un véritable ancrage dans la société irakienne - même s'il est indéniable que les mouvements de résistance disposent d'une certaine assise sociale, y compris parmi les plus pauvres. C'est le comportement odieux de l'armée d'occupation, en même temps que la généralisation du chômage, qui a progressivement remplacé cette méfiance par de l'hostilité. Les contrôles systématiques, les violences et les vexations, les attaques injustifiées, les bombardements, sont évidemment ressenties comme des agressions. Les révélations sur les détentions arbitraires et les tortures dans la prison d'Abu-Ghraib ont joué un effet important. Mais leur médiatisation a passé sous silence le pire : certaines femmes violées en prison ont ensuite été assassinées par leurs proches pour « laver l'honneur de la famille », ainsi que l'a révélé l'Organisation pour la liberté des femmes en Irak, qui accueille dans des foyers semi-clandestins des femmes menacées de cette peine .
Les islamistes, avec leurs réseaux internationaux, ont su prendre le leadership de la résistance. Le revirement religieux de Saddam Hussein depuis 1991, a favorisé leur implantation et surtout, le rapprochement avec les combattants d'élite issus du démantèlement de l'armée et du parti Baas. Cette position leur permet de satelliser progressivement tout mouvement qui s'engage dans la lutte armée sans véritable programme social. Leur programme ultraréactionnaire en matière sociale, leur ferme volonté d'instaurer l'apartheid sexuel et la charia, sont associées à une pratique libérale - exprimée par leurs réseaux financiers internationaux - qui leur tient lieu de seule pensée économique et qui révèle clairement leur nature sociale capitaliste, sous les apparences les plus archaïques - selon un modèle expérimenté en Iran.
Le mouvement ouvrier, le mouvement des femmes, ne bénéficie pas des largesses d'établissements financiers et d'états, ni d'envois d'armes et de combattant-es. Il ne peut compter que sur lui-même, et sur la solidarité internationale, pour se développer, s'organiser à la base, sous la forme des conseils ouvriers et de conseils de quartier, contre l'occupation et contre la réaction. La résistance, dans l'état actuel des choses, ne lui propose rien d'autre qu'un régime islamique, éventuellement mâtiné de baasisme, dont les actuels « émirats », avec la pratique de la charia, les violences exercées contre les femmes, les exécutions sommaires et le racisme donnent déjà un aperçu de ce que pourrait devenir l'Irak demain. Après avoir massivement dit non à la guerre en Irak, nous ne pouvons laisser ce sinistre scénario s'installer sans chercher, par notre solidarité internationaliste, à soutenir les forces sociales et féministes qui s'y opposent sur le terrain.
Nicolas DESSAUX
Extrait de Courant Alternatif, oct. 2004, mensuel édité par l'Organisation communiste libertaire.
By Phebus at 10/08/2004 - 08:36 | Allies | Alliés | International Groups | Groupes internationaux | International Solidarity | Solidarité Internationale | International Struggles | Luttes internationales | Francais | 1770 reads
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