Est-ce à dire… (Me Bâ nous coupe la parole)
Me K.B. : J’arrive. Permettez-moi de continuer. Je tiens à terminer ce point d’histoire. Le reste sera plus facile à comprendre, vous verrez. Où en étais-je ? Ah ! Voilà. Savez-vous ce que Ouattara a dit en décembre 2001 à Abidjan aux maires RDR qui venaient d’être fraîchement élus et qu’il recevait à son domicile en présence de tous les médias du pays ? Retenez votre souffle. Il leur a dit ceci ; je ne vais pas retrancher un seul mot : “Nous n’attendrons pas 5 ans pour aller aux élections. Après tout, dans certains pays, il y a des coups d’Etat et les gens s’accomodent bien de ces personnes pendant une certaine période. Nous avons des monarchies dans le monde et les gens acceptent bien qu’une personne non élue représente le peuple dans sa totalité. Pourquoi devrions-nous attendre 5 ans pour que vous ayiez ce à quoi vous avez droit et surtout ce que les populations réclament ? Nous avons certaines relations extérieures. Nous avons commencé à les actionner. J’aimerais vous dire aussi que nous avions convenu avec le maire Adama que nous aurons des réunions périodiques pour qu’ensemble, nous puissions développer assez rapidement une stratégie pour la conquête du pouvoir”.
En prime, quelques semaines après, son journal a publié à sa Une la carte de la Côte d’Ivoire divisée en deux avec exactement la partition opérée par les terroristes appuyés par la France. Je tiens ce journal à votre disposition.
Plus que de longs discours, ces quelques exemples, je l’espère, attestent de l’implication de la France dans cette crise qui est d’abord la sienne.
Je vous conseille vivement la lecture d’un remarquable ouvrage : “La Côte d’Ivoire : de la déstabilisation à la Refondation” (L’Harmattan), le seul ouvrage abordant sous l’angle économique les crises ivoiriennes de ces dernières années. Il a été écrit, non par des Ivoiriens, ou autres Africains, mais par deux Français : François-Régis Mathieu et Marie-France Jarret, qui expliquent les gros enjeux et annoncent les mesures projetées par Gbagbo et ses amis depuis leurs longues années d’opposition. Les Africains dignes et de bonne foi gagneraient à se procurer cet ouvrage et à le lire au lieu d’ajouter leur grain de sel dans un débat auquel ils ne comprennent que dalle. Ils comprendront l’activisme de certaines officines et de prétendues organisations domestiques, entretenues et chouchoutées par des réseaux et des cercles bien identifiés. Moi-même je termine un travail qui, je le pense, aidera à mieux connaître les motivations et les techniques de travail de certains haut-parleurs qui pullulent dans nos pays.
l A vous entendre, on tombe des nues et se surprend même à avoir soudain une toute autre appréciation du drame ivoirien et même de la vraie personnalité de Gbagbo, un homme que vous connaissez bien, semble-t-il ?
Me K.B. :Vous savez, quand la puissante machine à désinformer des médias occidentaux a fini de faire son travail, il est extrêmement difficile, voire carrément suicidaire, de rétablir la vérité. C’est surtout valable pour les médias français, presse et audiovisuel réunis, qui sont passés de la manipulation, de l’agit-prop et du maquillage de cela et n’est pas au bout de ses peines. Pour la France, l’enjeu est trop sérieux, pour s’embarrasser de scrupules. Gbagbo est dangereux et son exemple risque de faire tache d’huile et de fil en aiguille, c’est l’empire français qui risque de s’écrouler. Tous ceux qui ne veulent pas de cela ont été associés à la lutte anti-Gbagbo qui demeure en ce début de millénaire, le dernier impénitent (l’expression est du général Moussa Traoré).
Les gens ignorent tout de Gbagbo, de son itinéraire, de sa personnalité intrinsèque et donc de sa mission historique de piloter le processus de la renaissance africaine par la révolution. On oublie de noter que ce leader charismatique, africaniste convaincu et patriote au-dessus de tout soupçon, capitalise 30 années d’actions concrètes sous le sceau du socialisme. Elevé à la dure, il a tout enduré pour avoir été le premier à s’opposer à l’icône Houphouet-Boigny et son régime, sans jamais se décourager, sans avoir fait une seule concession et en supportant stoïquement les rigueurs de la vie de galère au militant convaincu. Les gens font comme si Gbagbo est arrivé au pouvoir par génération spontanée alors que la victoire d’octobre 2000 est l’aboutissement d’une longue et douloureuse marche et surtout le signe précurseur que rien ne sera jamais plus comme avant pour nous tous, les voisins de la Côte d’Ivoire principalement et la puissance tutélaire. En réalité, en octobre 2000, c’est une nouvelle page qui s’ouvrait après 50 ans de règne sans partage du PDCI-RDA. Le pays est exsangue. Le café, le cacao dont il est le premier producteur, ne sont pas bien rémunérés. Le CFA a perdu de sa valeur, la richesse nationale ne profite qu’aux milieux d’affaires étrangers, le tableau économique fait pitié à voir, tous les clignotants sont au rouge et le manomètre marque danger.
Quand Laurent Gbagbo entrait en fonction, la Côte d’Ivoire était vraiment sur la corde raide. Pour couronner le tout, elle était pratiquement en quarantaine, boycottée par les partenaires bilatéraux et multilatéraux, sevrée de soutiens extérieurs depuis 1998 (du fait des pratiques et de la politique désastreuse de Konan Bédié puis du général Guéi). C’est alors que le miracle va se produire. Il a un nom : la Refondation, et un visage : le FPI, les “socialistes archaïques” comme les appellent en se gaussant les milieux ringardas de la droite française. On ne donne pas cher de leur peau et les experts de l’Hexagone ne parient pas un centième d’euro sur leur longévité au pouvoir. Gbagbo échappe à deux putschs organisés par qui on sait mais il n’en a cure. Il tient à sortir son pays de l’ornière et à lui redonner le lustre qu’il n’aurait jamais dû perdre.
Le sérieux et le courage avec lesquels Gbagbo et son équipe, obligés de compter avec le seul budget sécurisé (c’est-à-dire sans apport extérieur aucun), s’attellent à éradiquer la pauvreté et à lutter contre la corruption impressionnent la Banque Mondiale. Elle décide en janvier 2000 une reprise totale et sans condition de la coopération avec la Côte d’Ivoire.
Suivent immédiatement après l’Union Européenne, le FMI, la BAD, le Club de Paris qui renouent tous avec le pays avant mai 2002.
Le retour de la confiance coïncide avec l’entrée du pays dans la Banque islamique et le vote d’un budget d’assainissement pour permettre la relance de son économie avec, à la clé, une pluie de milliards jamais enregistrée, même après la dévaluation de 1994 et des prévisions de croissance qui se passent de commentaires s’agissant du PIB, et de la sortie du cycle de l’ajustement structurel dès 2004.
C’est dans ce contexte que les forces du mal ont décidé de frapper le 19 septembre 2002, d’autant plus que l’on s’acheminait tout droit vers la rectification des privatisation-bradage du gouvernement Ouattara et que ces socialistes ivoiriens se révélaient comme des durs à cuire.
l C’est dans ce contexte que serait donc intervenue la mutinerie du 19 septembre 2002 qui apparaît ainsi comme une frappe chirurgicale ?
Me K.B. : Vous en êtes encore à parler de mutinerie ? Mais c’est une véritable guerre, un carnage pour effacer un régime ! Où est-ce que vous avez vu une mutinerie dans laquelle en moins d’une demi-heure un ministre d’Etat est égorgé dans son sommeil, deux colonels et une dizaine d’officiers massacrés, plus de 100 gendarmes affreusement abattus dans leur lit ainsi que leurs proches ? Dans quelle mutinerie on utilise des armes lourdes pour pilonner des résidences et des quartiers dont les occupants sont endormis ? Rétrospectivement c’est cette cruauté, c’est cette violence inutile que je ne parviens pas encore à m’expliquer. Avait-on besoin d’une telle barbarie ? C’est exactement comme cela que la France de Mitterand avait procédé en mars 1991 pour faire tomber le général Traoré du Mali, avec à la baguette le parti socialiste et la Fondation France Libertés et avec la complicité involontaire des élèves et étudiants et volontaire des syndicats véreux, d’officiers félons et de criminels à col… démocratique de l’acabit du sinistre Alpha Konaré aux mains tâchées de sang… Dans cette boucherie qu’ils ont eu le cynisme d’appeler révolution malienne, même les malades mentaux errant dans les rues de Bamako avaient été massacrés. Le même procédé a été reconduit à Abidjan avec les assassinats du général Guei et des nombreuses victimes des pseudo-escadrons de la mort, une autre invention des fascistes français. Tout ce beau monde comparaîtra un jour devant le tribunal de l’histoire; je n’en doute pas un instant.
Aujourd’hui, par un paradoxe ironique et inique, c’est cette France-là qui est présentée comme la seule à même de sauver un pays qu’elle a brûlé et voulu plonger dans la guerre civile. Cela me permet de revenir à votre question. En vérité, les gens ne veulent pas pousser l’analyse, sinon il est facile de comprendre. Rappelez-vous, quand les assaillants se sont réfugiés à Bouaké et Korhogo après avoir été refoulés d’Abidjan. Soit dit en passant, on prétend faussement que ce sont les Français qui les ont chassés d’Abidjan : rien n’est plus faux ! La vérité, c’est que ce sont les FANCI elles-mêmes et les gendarmes, l’effet de surprise passé, et les “Zinzin” et “Bahéfoué” (les jeunes du contingent embarqués à leur insu dans le jeu de massacre) qui ont organisé la riposte et libéré la capitale économique après seulement trois heures de combats extrêmement violents.
Rappelez-vous donc, Laurent Gbagbo, alors en visite officielle dans une capitale européenne, avait immédiatement demandé à la France d’appliquer l’accord de non-agression et de défense qui lie les deux Etats ivoirien et français. La France a rejeté la demande au motif que c’était une affaire ivoiro-ivoirienne. Alors même que Paris savait, comme le quotidien Le Monde le révélera quelques semaines après, que le Burkina Faso, le pays de l’atterrant gars, était le principal agresseur et que tout avait été mijoté en France. Qu’a cela ne tienne, Gbagbo a décidé de libérer le Nord occupé par les terroristes. Avec la vitesse de l’éclair, les FANCI que l’on disait moribondes ont récupéré Korhogo et Bouaké. C’est alors que la France, sur le théâtre des opérations, joua au Judas et que les Fanci purent être repoussées. Pendant tout ce temps, De Villepin n’a pas cessé de hurler que la solution n’était pas militaire mais politique. C’est dans ce contexte que la diplomatie sénégalaise, volontaire et de bonne foi, parvint à arracher la signature de l’accord de cessez-le-feu. Lequel accord n’a profité qu’aux rebelles, même si l’Etat ivoirien en a profité pour équiper son armée.
Le nom de Alassane Dramane Ouattara est revenu maintes fois dans votre discours. Cette importante personnalité a quand même dirigé le gouvernement ivoirien. Ne pensez-vous pas qu’il est fondamentalement injuste de vouloir l’écarter de la scène et d’entraver ses ambitions ?
Me K.B.: Comme l’a dit Gbagbo, le seul problème de la Côte d’Ivoire est Alassane Ouattara. Il a mille fois raison. Il est vrai qu’il a été le Premier ministre de la Côte d’Ivoire, le premier d’ailleurs, dans l’histoire de ce pays. Mais il est encore plus vrai que la loi ivoirienne n’interdit pas à un étranger d’être ministre (donc Premier ministre) dans le pays. Ce n’est dit nulle par et la Côte d’Ivoire partage cette particularité avec tous nos Etats où des étrangers ont été au gouvernement.
A ce titre, Houphouet a nommé plusieurs Français et Africains ministres dans le gouvernement ivoirien. Je peux citer, entre autres, Millet, ministre des Travaux publics, Raphael Siller à l’Economie et aux Finances (ces deux français, mission terminée, sont rentrés chez eux), le Malien Mohamed Diawara, au Plan, qui n’a jamais pris la nationalité ivoirienne, Sawadogo de la Haute Volta, à l’Agriculture, qui s’est naturalisé à la fin de son service : Mamadou Thiam, notre compatriote, le Guinéen Sidya Touré, directeur de cabinet de Ouattara devenu à la fin de son service Premier ministre chez lui, etc.
Ouattara a occupé un premier poste à Abidjan : Président du comité interministériel. Cette structure, voulue par Houphouet, préfigurait déjà la Primature qui n’existait pas encore. Et savez-vous qui Ouattara a remplacé à ce poste ? L’architecte français de la basilique Notre Dame de Yamoussoukro. Le problème, en droit, est fort simple. Alassane Ouattara a assumé de hautes fonctions en Côte d’Ivoire, mais cela ne l’absout absolument pas de la procédure de naturalisation.C’est quand même difficile à admettre et vous aurez du mal, comme le régime de Gbagbo, à faire accepter cette vérité bien commode mais injuste dans son essence ?
Me K.B.: C’était inévitable (il sourit). Vous allez m’obliger à verser dans le juridisme. Je vais être bref et vous expliquer le plus simplement possible le cas Ouattara.
Vous ne le savez peut-être pas, l’Etat tout Etat, pour fonctionner exerce trois compétences : la compétence territoriale, la compétence fonctionnelle et la compétence personnelle. Cette compétence personnelle s’appuie sur le lien juridique qui unit personnellement l’Etat à un individu. Ce lien a pour nom nationalité. En droit, elle se définit comme le lien juridique et politique qui rattache un individu à un Etat souverain.
La Cour permanente de justice internationale (CPJI), ancêtre de la Cour internationale de Justice, a énoncé, le 7 février 1923, le principe selon lequel l’Etat est seul compétent pour déterminer quels sont ses nationaux dans l’état actuel du droit international (il le répète trois fois). Donc les questions de nationalité sont comprises dans le domaine réservé à la compétence exclusive de l’Etat. C’est le cas pour tous les Etats au monde. Mais pour la France ce ne serait pas le cas pour l’Etat souverain de Côte d’Ivoire. La convention de la Haye du 12 avril 1930 prescrit en son article 1er : “Il appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux”. (il martèle l’article à 3 reprises). Tous les Etats peuvent le faire. Mais la Côte d’Ivoire non. La cour internationale de Justice, le 6 avril 1955 (affaire Nottebohn), a défini la nationalité comme “un lien juridique ayant à sa base un fait social d’attachement, une solidarité effective d’existence d’intérêt, le sentiment joint à une réciprocité de droits et de devoirs”. Ainsi la Côte d’Ivoire s’est dotée d’un arsenal juridique en la matière : un code adopté d’application. Comme vous le savez, il existe 2 systèmes, utilisés séparément ou conjointement par les législations nationales des Etats : Le système de la nationalité du lien de sang (liens de filiation ou de mariage)
* le système de la nationalité du lieu de naissance. La Côte d’Ivoire a choisi le système de la nationalité du lien de sang, comme la plupart des pays où la fraude sur l’état-civil est un sport national.
l Justement, Alassane Ouattara est donc ivoirien
Me K.B. :Laissez-moi poursuivre, je vous prie. Justement, ce système constitue le premier obstacle à la nationalité ivoirienne de Alassane puisqu’il est né à Dimbokro, certes sur le territoire ivoirien donc, mais le pays a choisi, je vous le répète, et ce de manière souveraine, le système de la nationalité du lien de sang.
L’exclusivité que le droit international reconnaît à l’Etat lui confère également la latitude de désigner ses nationaux par voie de naturalisation. C’est pourquoi l’Etat de Côte d’Ivoire a naturalisé des étrangers dont certains frères et sœurs d’Alassane Ouattara qui en avaient fait la demande.