Le grand fiasco des fleurons québécois et vous
13 février 2006
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
Toute une semaine pour plusieurs fleurons québécois ! Domtar (Tor., DTC, 6 $) a annoncé qu'elle avait subi une perte de 348 M$ au quatrième trimestre de 2005 et de 388 M$ pour l'année au complet.
BCE (Tor., BCE, 27,31 $) a annoncé ses plus récentes décisions dans le cadre de sa restructuration, y compris la création d'une fiducie de revenu et une réduction de 3 000 à 4 000 de son nombre de postes.
De son côté, Bombardier (Tor., BBD.SVB, 3,04 $) a annoncé qu'elle n'allait pas de l'avant avec son programme de la Série C, sa nouvelle génération d'avions régionaux.
Il s'agit là de nouvelles touchant trois sociétés québécoises qui ont déjà été considérées comme des incontournables. La preuve : vous en avez probablement dans votre portefeuille.
Des pertes de 35 milliards de dollars
Un petit calcul rapide m'a permis d'évaluer que, depuis cinq ans, ces trois sociétés ont perdu un total de 35 milliards de dollars (G$) en valeur boursière. C'est beaucoup. Il ne s'agit de trois parmi de nombreuses entreprises qui ont séduit les investisseurs québécois pendant de nombreuses années. J'aurais pu y ajouter des titres qui n'ont rien donné pendant 20 ans et d'autres fiascos bien connus.
Leur désastreuse performance ne peut s'expliquer par le contexte. Pas plus que la perte de valeur ne peut s'expliquer facilement en invoquant les habituels excuses du genre "c'est la faute à la bulle techno". On ne peut même pas faire de reproches à l'économie, car elle est prospère à souhait. On peut même se demander ce que ce serait si on était en récession !
Trois sociétés, trois secteurs, trois problématiques différentes. Les résultats sont toutefois les mêmes : les investisseurs ont essuyé des pertes énormes.
Par-delà les circonstances particulières de ces entreprises, et dans une perspective plus fondamentale, il est crucial que l'investisseur se demande pour quelle raison et de quelle manière il a acheté ces titres.
Warren Buffett, à qui l'on a demandé récemment quelle avait été la décision la plus importante de sa vie, a eu une réponse étonnante, a priori. Alors qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'il cite une décision d'affaires, il a répondu simplement que la plus importante décision d'une personne est le choix d'un conjoint.
Sur le coup, j'ai été déçu. Je m'attendais à une réponse du genre : "Lorsque j'ai fait l'acquisition de XYZ." Mais après réflexion, j'ai réalisé que la réponse de M. Buffett était profondément sage. Car j'ai constaté de nombreux parallèles entre cette décision personnelle (avec qui passerais-je ma vie ?) et la décision d'acheter ou non tel titre boursier...
Bien trop de gens ne choisissent pas leur partenaire : ils laissent plutôt la biologie faire le travail, avec les problèmes et les risques que cela comporte. La plus importante décision de leur vie aura donc été prise par leurs hormones !
C'est ainsi que l'attirance physique (beauté, sexe et compagnie) fait foi de tout. Avec l'âge, on réalise que c'est stupide, car ce genre d'attirance a tendance à disparaître assez rapidement. Reste ensuite le caractère de votre partenaire, et sa santé psychologique. Ouf...
Or, de nombreux investisseurs choisissent leurs titres boursiers avec la même impulsivité. Ils laissent leurs hormones contrôler leurs décisions. Cela signifie qu'ils achètent des titres populaires, les fameux "fleurons" (terme que je hais profondément). Ils les achètent, évidemment, pour de solides raisons du genre : "Le titre monte en Bourse... ça doit être bon" ou "On en parle en bien dans le journal, ça doit être bon"; "George, mon voisin avec le gros char, en a acheté; ça doit être bon"; "Crime ! le titre grimpe et grimpe; je risque de rater une occasion, si je n'en achète pas tout de suite", etc.
La Bourse n'est pas un concours de popularité. Ainsi, ces fleurons déchus avaient été présentés par les médias comme des sociétés solides et incontournables. Les médias ont une partie de responsabilité, pas de doute là-dessus. Ils devraient faire preuve d'une plus grande vigilance et d'un plus grand devoir de réserve avant d'encenser dirigeants et entreprises (souvent pour les mauvaises raisons).
Évitez la complaisance
Mais la plus grande responsabilité appartient à l'investisseur qui doit bien faire ses devoirs et faire preuve de sens critique (oups ! c'est quoi ça ?). Il faut s'abstenir de juger sur la foi des simples grands titres, qu'ils soient dans les communiqués, les journaux ou dans les magazines.
Ce sont les résultats financiers, étudiés et décortiqués dans le contexte de la réalité économique, qui font foi de la réussite d'une entreprise.
Malgré les nombreux désastres, on voit encore cette tendance à la complaisance chez les lecteurs. Certains nous fustigent pour avoir écrit une petite ligne relativement négative concernant leur titre préféré. C'est une attitude puérile. Car au lieu de rechercher de l'information qui confirme leur jugement, ces investisseurs devraient, systématiquement, rechercher de l'information qui le contredit.
C'est grâce au choc des idées contradictoires que la vérité a des chances de germer.