Évitez ce qui est populaire !
13 mars 2006
Bernard Mooney , Journal Les Affaires
L'Alberta et les sables bitumineux sont un exemple à considérer
"Alberta is very hot." Ce verdict enthousiaste est celui d'une analyste, qui réagissait au dépôt du prospectus provisoire de la fiducie Alberta Focused Income & Growth Fund.
Comme l'explique mon collègue Daniel Renaud en page 56, cette émission vise à recueillir des fonds pour profiter du boom économique de l'Alberta.
En fait, la mission d'Alberta Focused est d'investir dans des entreprises (y compris des fiducies de revenu) qui font affaire principalement dans la province de l'Alberta ou qui ont une ou plusieurs filiales établies là-bas ou axées sur cette province.
Le prospectus de l'émission décrit les points forts de l'Alberta, notamment sa position de force dans l'industrie pétrolière et l'état impeccable de ses finances publiques.
Dans un article d'une publication anglophone décrivant cette émission, on cite un professeur d'économie qui prétend qu'investir dans l'économie albertaine est un "coup sûr" ("safe bet"). "Vous pariez que l'économie va croître et je crois que c'est un coup sûr", explique ce professeur.
Voilà une autre preuve que bien des professeurs d'économie et des économistes ne connaissent rien à la Bourse !
En fait, lorsqu'on vous présente un placement en vous disant que c'est un coup sûr, une lumière rouge devrait automatiquement s'allumer et vous mettre en garde. Ces coups sûrs sont trop souvent des attrapes, car ce sont souvent des placements dans des modes qui s'avèreront désastreuses. En Bourse, la popularité n'est pas gage de succès, bien au contraire !
Il n'y a pas de rapport direct et évident entre la prospérité d'un pays et le fait d'investir dans ce pays. Par exemple, en 2005, la croissance économique de la Chine a été parmi les meilleures du monde. Or, son marché boursier a été parmi les pires. Ce qui a également été vrai pour les États-Unis.
Une grande partie de la prospérité albertaine est circonstancielle. Elle repose sur l'explosion des prix pétroliers (comme c'est le cas également avec les sables bitumineux, aussi très populaires). Or, ce phénomène est cyclique, même si on tente de nous faire croire le contraire.
Je suis loin d'être convaincu que l'Alberta vivrait une aussi grande prospérité, si le prix du pétrole se retrouvait à 20 $ US le baril.
L'autre problème est le prix. Que l'Alberta soit dans une situation économique prospère n'a rien d'une nouveauté. C'est de l'information connue et digérée par tous les intervenants du marché. Ce qui signifie que cette situation a une forte chance de se refléter dans les cours des titres visés.
Autrement dit, si investir en Bourse était aussi facile que de dire : "cette société fait affaires en Alberta, c'est donc un achat", ne croyez-vous pas que les investisseurs avertis le verraient et sauteraient sur l'occasion ?
En fait, ils sauteraient sur cette occasion, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. C'est la nature des marchés et, en général, ces derniers sont relativement efficaces.
Cela est encore plus vrai, lorsqu'on parle de thème populaire. Si l'industrie des valeurs mobilières offre ce genre de produit aux investisseurs, c'est uniquement parce qu'il est facile à vendre. Les gens achètent des thèmes qui résonnent, c'est-à-dire qui sont répétés encore et encore dans les médias. On y accroche une structure à l'apparence sécuritaire (comme celle de la fiducie de revenu, elle aussi fort populaire) et hop, on peut en vendre pour des millions de dollars.
Que le produit, à long terme, donne des rendements médiocres (ou s'avère un désastre total, comme c'est souvent le cas) ne préoccupe nullement ces promoteurs. Ils auront fait leur argent.
Par exemple, les courtiers obtiennent une commission de 5 % à la vente des parts. Ce qui signifie que sur les 10 $ payés par l'épargnant, il restera 9,50 $ à investir réellement.
Le promoteur reçoit des frais de gestion annuels de 1,1 % de la valeur liquidative, alors que la fiducie paiera des frais de service de 0,4 % de la valeur liquidative aux courtiers.
Ce qui veut dire que les investisseurs paieront, outre les 5 % initiaux (qui sont bien sûr invisibles à leurs yeux), 1,5 % chaque année pour avoir les services des gestionnaires. Sans être exorbitants, ces frais sont relativement élevés. Surtout qu'il est difficile de savoir s'ils pourront générer des rendements supérieurs, à long terme.
Curieusement, le moment le plus propice pour créer un tel fonds serait en plein creux cyclique des prix pétroliers.
Au milieu de la déprime, le potentiel serait maximal, alors que les risques seraient limités. Exactement l'image inverse du contexte actuel.
Dure bataille pour Research In Motion
Research In Motion a enfin réglé son litige avec NTP, à propos de brevets.
Le créateur du fameux BlackBerry paiera 612 M$ US pour avoir la paix.
Quelques heures après avoir annoncé cette entente hors cour, la direction de RIM a averti que les résultats de son quatrième trimestre clos le 28 février seraient inférieurs aux prévisions.
Il est clair que la menace d'une injonction aux États-Unis a nui à la vente de son service. Reste à savoir si le dommage est temporaire et réversible.
En fait, la bataille avec NTP n'a été qu'une période de réchauffement, une sorte de camp d'entraînement pour ce qui attend RIM dans les prochaines années.
La société s'est bâti un beau château avec son BlackBerry, marché très lucratif et en forte croissance. Ce château sera assailli comme jamais par des compétiteurs qui veulent profiter de ce marché.
RIM affrontera donc des géants, comme Microsoft, Nokia, Motorola, et probablement d'autres moins évidents (comme Sony et Apple Computer). Cette bataille sera beaucoup plus difficile à gagner...