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 Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours

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AuteurMessage
mihou
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mihou


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Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 28/05/2005

Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours Empty
24102006
MessageUne histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours

Objet : Howard Zinn
Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours
La synthèse d’Howard Zinn

THIERRY DISCEPOLO
ÉDITEUR de l'ouvrage (Agone).
Ce texte est une version écourtée des conférences de présentation données par
l'éditeur à la sortie de l'ouvrage.


ous les livres ont leur petite histoire, qui n’intéresse le plus souvent que
ceux qui les ont fait. Mais la petite histoire de ce livre d’histoire est un peu
plus longue déjà. Et certains de ses éléments nous ont paru mériter la
publicité.
L’histoire de ce livre en France est d’abord celle de son absence. Édité en
1980 aux États-Unis, il a fait l’objet en 22 ans de 5 rééditions. Le titre
existe en version courte (seulement le xxe siècle) ; et en version lue par Matt
Damon, jeune star du cinéma américain. Vendu à plus de 950 000 exemplaires aux
États-Unis (et 65 000 en Angleterre), ce livre est traduit depuis 20 ans en
espagnol, en russe et en japonais ; les éditions turques, arabes, roumaines et
grecques sont en cours ; l’Italie et l’Allemagne boudent semble-t-il plus encore
que la France.
Sa parution, en 1980 donc, a aussitôt fait l’objet d’une recension de deux
pages dans Le Monde diplomatique. Et puis le livre a attendu 20 ans que les
éditions Agone soient assez solides pour envisager la traduction et l’édition
d’une somme de 812 pages – qui a mobilisé une équipe de six personnes. Une chose
est certaine, l’acquisition des droits de ce livre auprès de l’éditeur américain
ne s’est pas faite dans une ambiance de concurrence.
Pourquoi une si longue négligence ? Les États-Unis sont-ils un pays qui compte
pour si peu dans l’histoire politique et sociale, économique et commerciale,
intellectuelle et artistique du monde contemporain ?
Personne n’a dit aussi bien que Pierre Nora, directeur de la collection «
Bibliothèque des histoires » chez Gallimard, les raisons pour lesquelles
l’édition française répugne à publier de tels ouvrages – il s’agissait alors de
L’Âge des extrêmes, d’Éric Hobsbawm, mais rien n’a changé depuis : « Tous les
éditeurs, bon gré mal gré, sont bien obligés de tenir compte de la conjoncture
intellectuelle et idéologique dans laquelle s’inscrit leur production. Or, il y
a de sérieuses raisons de penser qu’un tel livre apparaîtra dans un
environnement intellectuel et historique peu favorable. D’où le manque
d’enthousiasme à parier sur ses chances. La France ayant été le pays le plus
longtemps et le plus profondément stalinisé, la décompression, du même coup, a
accentué l’hostilité à tout ce qui, de près ou de loin, peut rappeler cet âge du
philosoviétisme ou procommunisme de naguère, y compris le marxisme le plus
ouvert. Cet attachement, même distancié, à la cause révolutionnaire [conclut
Nora], Éric Hobsbawm le cultive certainement comme un point d’orgueil, une
fidélité de fierté, une réaction à l’air du temps ; mais en France et en ce
moment, il passe mal. »
Conjoncture intellectuelle et idéologique des plus défavorable en effet. Mais
disons-le autrement : celle de l’amalgame entre recul de la critique marxiste du
capitalisme et effondrement de l’Union soviétique. Un amalgame bien utile au
nouvel ordre néolibéral pour invalider toute croyance en la possibilité d’une
organisation sociale qui se fonde sur le bonheur du plus grand nombre décidé par
eux-mêmes plutôt que sur la liberté individuelle de faire des profits et de
s’accomplir dans la seule consommation.
C’est la raison pour laquelle, justement, dans notre pays où la parole
publique la mieux autorisée et la plus bavarde semble celle de renégats
communistes, maoïstes ou trotskistes, il nous a paru particulièrement urgent de
donner à lire l’attachement de Howard Zinn à une cause révolutionnaire qu’il «
cultive comme un point d’orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l’air
du temps ». Une attitude d’autant plus singulière qu’elle débarque d’un pays qui
ne nous a plus trop habitués à de telles exportations.
« Une autre histoire » aurait pu donc être le titre de ce livre. Un livre qui
rassemble d’ailleurs à peu près tout ce qui fait la ligne éditoriale d’Agone,
notamment dans ce travail d’éducation populaire qui doit plus à la contre
information qu’à la vulgarisation. Car Zinn ne livre pas seulement une synthèse
de la connaissance historique disponible sur le pays qui prend le plus de place
dans le quotidien de bien des gens qui s’en priveraient volontiers… On trouve
déjà sur le marché une telle production savante et semi-savante. Mais il s’agit
là des versions officielles d’une histoire des dominants par leurs clercs –
telles que déclinée par un universitaire de presse comme Nicole Bacharan
(attachée au Monde et à France Inter), avec son Good morning America : ceux qui
ont inventé l'Amérique (paru en 2001) –, qui installent le lit sur lequel peut
croître et se développer la production d’une vieille ganache réactionnaire comme
Jean-Francois Revel – son L’Obsession anti-américaine : son
fonctionnement, ses causes, ses inconséquences vient de paraître, aussitôt loué
par le quotidien du soir Le Monde.
Plutôt donc qu’une actualisation de ces histoires du point de vue du pouvoir,
Zinn en propose comme le contre-modèle, l’antidote qui nous permet de nous
soigner de l’histoire écrite par les dominants pour désespérer les dominés de
tout changement.
Au moment de chercher comment illustrer en quelques phrases cette chose, «
l’histoire écrite par les dominants », n’étant en rien historien des États-Unis
ni de quelqu’autre territoire ou période que ce soit, je me suis trouvé bien
embêté. Mais on peut toujours faire confiance en la brutalité bestiale de
quelque journaliste pour nous fournir régulièrement des illustrations comme sur
un plateau. Ainsi Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, expliquait-il le 11
septembre dernier à un interlocuteur africain que la destruction du World Trade
Center était « un événement historique » tandis que le génocide rwandais n’était
qu’une « guerre civile africaine ». Autrement dit, que le premier concernait
l’histoire du monde et pas le second ; que l’un est une leçon d’histoire et
l’autre un détail de l’histoire. Au moins, c’est clair. Déclinaison d’un réflexe
du sujétion totale au puissant que le même patron de presse avait ramassé le
lendemain des attentats dans la formule : « Nous sommes
tous américains. » Autrement dit, la douleur des dominants ne nous concerne pas
au même titre que celle de dominés. On ne porte que le deuil des maîtres et
seule la mort des maîtres est inscrite dans les chroniques. Voilà comment
l’histoire avance en oubliant le plus grand nombre.
On voit bien toute la difficulté de raconter cette histoire des oubliés de
l’histoire. Et notamment dans l’usage des sources, celles que, justement, Zinn
invoque : sources non officielles, ignorées ou sous-utilisées, telles que récits
d’esclaves, confessions de prisonniers, correspondance de soldats, journaux de
femmes, biographies et autobiographies, auditions publiques et autres documents
de la tradition orale. (Ce qui n’empêche pas Zinn d’utiliser également des
pièces majeures telles que les Pentagon Papers, rédaction de l’histoire du
Vietnam par le département de la Défense, document confidentiel de 7 000 pages
qui fut rendu public par deux employés scandalisés par leur expérience directe
de la guerre et horrifiés par ce que l’Amérique faisait subir au peuple
vietnamien. Ils photocopièrent le document en juin 1971 avant d’en envoyer copie
à quelques membres du Congrès et au New York Times. Ce fut, vous l’imaginez, un
tollé général.)
Zinn ne tient pour histoire que l’histoire du plus grand nombre. Il prend acte
du fait que seule la mémoire des défaites (souvent) et des victoires (rares) des
dominés nous enseignent correctement le monde tel qu’il va. Au contraire de la
mémoire des États, qui n’est qu’une mémoire déformée selon les exigences
idéologiques (ou les modes publicitaires), version aplatie d’un présent toujours
renouvelé qui nie l’impact du passé sur le présent et le futur, Zinn propose de
rendre à l’histoire son potentiel de subversion, forçant le lecteur à tirer les
leçons du passé. Pour croire qu’un autre monde est possible, ça aide bien de
savoir que d’autres en ont rêvé avant, et que leur échec n’a rien d’inéluctable
mais, au contraire, qu'il fut l’objet d’une mobilisation de tous les instants
par ceux qui avaient des intérêts rien moins que théoriques à ce que rien ne
change : des questions d’argent, de pouvoir, de confort dans un ordre social
soutenu par les lois, la manipulation de l’opinion et
la force physique.
La synthèse que constitue cette histoire populaire s’appuie sur les recherches
hétérodoxes accomplis depuis les années 1970 sur l’esclavage, sur la période
révolutionnaire, sur la formation du capitalisme d’État, sur l’expansion
territoriale – que l’on connaît sous le nom poétique de « conquête de l’Ouest »
mais qu’il convient de voir comme la première étape de l’impérialisme américain.
Une synthèse qui exprime clairement le point de vue – habituellement occulté –
de l’opprimé, que l’histoire officielle traite en figurant : l’Indien, le Noir,
le Chicano, le Portoricain, le simple soldat, le prisonnier politique, le
gréviste, le sans-travail et la femme.
Et puisqu’il ne s’agit que de faire l’histoire du plus grand nombre, Zinn
tisse principalement son récit du portrait des mouvements populaires et de leur
mode d’action : grèves paysannes et ouvrières, boycottage par des locataires et
des consommateurs, formes multiples de désobéissance civile (notamment dans
l’armée), organisations de base, alternative au bipartisme
démocrate-républicain, luttes syndicales, actions communautaires, etc.
Voyons comment Zinn s’y prend pour inverser cette image d’une histoire tissées
de figures héroïques et de hauts faits d’armes, de scènes édifiantes et de
personnalités exemplaires.
Pour la plupart d’entre-nous, parmi les événements les plus lyriques de
l’histoire américaine en ses débuts de constitution territoriale figure sans
doute le drame héroïque de la chute de Fort Alamo… À propos de cette période,
Zinn raconte comment, en 1836, après un soulèvement organisé avec le soutien des
États-Unis, le Texas se sépare du Mexique avant d’être intégré à l’Union ;
comment l’envoi d’un détachement sur la frontière sud du Texas provoque, au
printemps 1846, l’incident militaire qui déclenche la guerre de conquête tant
souhaitée par les élites américaines, leur permettant d’annexer la moitié du
Mexique et d’acheter le Nouveau-Mexique et la Californie – ce qui autorisa la
conclusion : « Nous ne prenons rien par conquête, Dieu merci. » Mais pas de Fort
Alamo dans cette histoire-là…
Soit dit en passant, les amateurs de western vont être déçus, la chose tant
représentée à l’écran ne semble pas même avoir existé… Sur la période et le
territoire concerné, Zinn n’expose qu’une lutte des classes entre fermiers et
propriétaires terriens sous le titre « L’autre guerre civile ». Non que des
shérifs n’aient jamais exercés « au nom de la loi », pistolets à la ceinture ;
et que des indiens aient scalpés de pauvres colons ; et que la cavalerie ; etc.
Mais tout cela n’est que la partie pittoresque pour l’accaparement d’un
territoire suivant le même ordre depuis l’indépendance : celui de l’augmentation
des richesses des plus riches.
De la même manière, pour la période moderne, les passionnés de guerre des
gangs resteront sur leur faim : le mot même de « mafia » est absent du livre.
Non que toute organisation occulte gérant sur une base raciale ou ethnique les
jeux, la prostitution, les trafics, le raquet, etc. aient jamais existé, mais,
encore une fois, il ne s’agit que de la surface du processus d’intégration
violente des derniers arrivants dans un pays où le formalisme de la loi a
toujours inscrit l’injustice sociale dans le quotidien du plus grand nombre.
Non que l’histoire que raconte Zinn ne soit pas haute en couleurs ! Elle se
déroule au contraire dans le bruit et la fureur. D’autres couleurs toutefois.
Moins de cartes postales.
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Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours :: Commentaires

Prenons trois héros martiaux du panthéon américain de la Seconde Guerre
mondiale : MacArthur, Eisenhower et Patton. Ils font leur première apparition
dans l’histoire américaine au printemps et à l’été 1932, alors que « la colère
des vétérans de la Première Guerre mondiale, qui se retrouvent au chômage sans
pouvoir nourrir leurs familles, est à l’origine de la marche de la Bonus Army
sur Washington. Les anciens combattants, brandissant les certificats
gouvernementaux qui leur garantissaient des indemnités (ou bonus), réclament
qu’on les leur verse sur-le-champ tant ils en ont désespérément besoin. Seuls ou
accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants ; au volant de vieilles voitures
épuisées ; en passagers clandestins à bord des trains de marchandises ou en
auto-stop, ils arrivent de partout à Washington. Des mineurs de
Virginie-Occidentale ; des tôliers de Columbus (Géorgie) ; des chômeurs polonais
de Chicago. Une famille – le mari, la femme et leur enfant de trois ans – met
trois mois, passant d’un train de marchandises à l’autre, pour venir de
Californie. Chief Running Wolf, un Mescalero sans travail, arrive du
Nouveau-Mexique en costume traditionnel, avec arc et flèches. Ils sont plus de
vingt mille à camper sur l’autre rive du Potomac, en face du Capitole, dans les
marais de l’Anacostia où, comme l’écrivit John Dos Passos, « les hommes
[couchaient] dans des abris faits de vieux journaux, de boîtes de carton,
d’emballages, de plaques de fer-blanc ou de toiles goudronnées, bref, toutes
sortes de constructions mal fichues, d’abris contre la pluie fabriqués à partir
de ce qu’ils [trouvaient] dans la décharge municipale. » Le décret destiné à
autoriser le paiement des fameuses indemnités est voté par la Chambre puis
rejeté par le Sénat. Certains vétérans, découragés, lèvent le camp. La plupart
restent sur place, les uns occupent des bâtiments officiels, les autres
demeurent dans les marais de l’Anacostia. Finalement, le président Hoover
ordonne à l’armée
de les chasser. Quatre escadrons de cavalerie, quatre compagnies d’infanterie,
une batterie de mitrailleuses et six tanks se regroupent près de la
Maison-Blanche. Le général Douglas MacArthur est chargé de l’opération, secondé
par le major Dwight Eisenhower. Parmi les officiers, un certain George Patton.
Après avoir fait parader ses troupes le long de Pennsylvania Avenue, MacArthur
utilise les gaz lacrymogènes pour expulser les vétérans des vieux bâtiments
qu’ils occupaient avant d’y mettre le feu. L’armée traverse ensuite le pont pour
rejoindre Anacostia. Des milliers d’anciens combattants s’enfuient avec femmes
et enfants pour échapper aux bombes lacrymogènes. Les soldats incendient
quelques baraques ; tout le campement est bientôt la proie des flammes… »
De MacArthur et de Patton, on n’entendra plus parler. Quant à Eisenhower, son
retour est l’occasion d’évoquer le rejet de la demande de grâce pour les époux
Rosenberg ; l’expédition de milliers de soldats au Liban, qu’il lance, en 1958,
pour s’assurer que le gouvernement pro-américain en place ne serait pas renversé
par une révolution et pour conserver une présence armée dans cette région riche
en pétrole. Puis, au printemps 1960, l’autorisation secrète qu’il donne à la CIA
d’armer et d’entraîner des exilés cubains anticastristes au Guatemala en vue
d’une future invasion de l’île – un programme que mena à bien (si l’on peut
dire) par Kennedy…



Dans ce livre, qui offre une vision d’ensemble de la politique intérieure et
étrangère des États-Unis, du débarquement de Christophe Colomb en 1492 aux plus
étranges élections de toute l’histoire du pays et à la dernière intervention
militaire américaine sous la bannière de la « guerre au terrorisme », les
exemples abondent qui éclairent singulièrement les engagements américains de ces
dernières années dans des guerres humanitaires :
— « Les États-Unis se sont opposés, au début du xixe siècle, à la révolution
que les Haïtiens avaient déclenchée contre la France pour obtenir leur
indépendance.
— Les États-Unis ont provoqué une guerre avec le Mexique à l’issue de laquelle
ils se sont emparés de la moitié du territoire mexicain.
— Sous prétexte d’aider Cuba à se débarrasser de la tutelle espagnole, les
États-Unis s’y installent en imposant une base militaire, leurs investissements
financiers et un droit d’intervention dans les affaires intérieures du pays.
(Dans le mouvement, les États-Unis se sont également approprié Hawaii, Porto
Rico et Guam.)
— Les États-Unis ont mené une guerre sans merci aux Philippins En février
1899, les Philippins se soulevèrent contre les États-Unis, qui ont mit trois ans
pour venir à bout de cette révolte, engageant 70 000 soldats et subissant des
milliers de pertes au combat. Howard Zinn rapporte ces propos de janvier 1900
devant le Sénat : « Monsieur le président, la franchise est maintenant de mise.
Les Philippines sont à nous pour toujours. […] Et à quelques encablures des
Philippines se trouvent les inépuisables marchés chinois. Nous ne nous
retirerons pas de cette région. […] Nous ne renoncerons pas à jouer notre rôle
dans la mission civilisatrice à l’égard du monde que Dieu lui-même a confié à
notre race. Le Pacifique est notre océan. […] Vers où devons-nous nous tourner
pour trouver des consommateurs à nos excédents ? La géographie répond à cette
question. La Chine est notre client naturel. […] Les Philippines nous
fournissent une base aux portes de tout l’Orient. Nulle terre en Amérique
ne surpasse en fertilité les plaines et les vallées de Lusón. Le riz, le café,
le sucre, la noix de coco, le chanvre et le tabac… […] Le bois des Philippines
peut fournir le monde entier pour le siècle à venir. L’homme le mieux informé de
l’île m’a dit que sur une soixantaine de kilomètres la chaîne montagneuse de
Cebu était pratiquement une montagne de charbon. J’ai ici une pépite d’or
trouvée telle quelle sur les rives d’une rivière des Philippines… »
Poursuivons.
— Les États-Unis ont « ouvert » le Japon au commerce américain à grand renfort
de navires de guerre et de menaces. Ils ont instauré la politique de la « porte
ouverte » en Chine, de manière à s’assurer de bénéficier des mêmes opportunités
que les autres puissances impérialistes dans l’exploitation des ressources
chinoises.
— Toujours pour maintenir la « porte ouverte », les États-Unis ont envoyé des
troupes à Pékin pour affirmer avec d’autres nations la suprématie occidentale
sur la Chine. Ces troupes étaient sur place depuis bientôt trente ans » quand
les États-Unis s’engageaient dans la Seconde Guerre mondiale.
— Alors qu’ils exigent que le marché chinois soit totalement ouvert au
commerce, les États-Unis insistaient en revanche pour que l’Amérique latine
reste un marché fermé – fermé à tous sauf aux États-Unis, évidemment.
« En bref [conclut Zinn] si la motivation officielle de l’entrée en guerre des
États-Unis [fut jamais] le souci de défendre le principe de non-intervention
dans les affaires d’autrui, l’histoire du pays permettait déjà de douter de leur
compétence en ce domaine » dès avant 1940…
Quelle autre intervention désintéressée trouvons-nous à la suite de
l’indubitable Seconde Guerre mondiale ?
– Ni en Grèce en 1947 pour aider les Britanniques à contrôler une guérilla de
gauche qui se développe contre la dictature de droite qu’ils y ont instaurée.
– Ni en 1950 en Corée dans une guerre qui fit deux millions de morts. Ni en
1953 en Iran, où un coup d’État orchestré par la CIA installe le Chah. Ni en
1954 au Guatemala, où des mercenaires, entraînés par la CIA au Honduras et au
Nicaragua, renversent, avec l’aide de l’aviation américaine, le gouvernement le
plus démocratique que le Guatemala ait jamais connu.
– Ni en 1958 au Liban. Ni en 1961 à Cuba, où plus de mille exilés cubains,
armés et entraînés par la CIA, débarquent dans la Baie des Cochons avec l’espoir
de provoquer une rébellion contre le gouvernement castriste.
– Ni entre 1961 et 1972 au Vietnam, et au Laos et Cambodge puis en Indonésie
et en République dominicaine.
– Ni dans les années 1970 et 1980, dans divers coins du Proche-Orient, au
Chili puis Salvador et au Nicaragua et sur la minuscule île de la Grenade…
J’en passe…
Puis nous voilà en 1991, quand les États-Unis volent au secours de la
souveraineté du Koweït et déclarent la guerre à l’Irak – sans rapport avec le
contrôle d’une partie des ressources pétrolières du Golfe ? Et tout de suite en
1999, avec la première guerre humanitaire officielle des États-Unis : le
bombardement en mars 1999, par l’OTAN, du Kosovo et de la Serbie.
Demandons-nous encore une fois « si la motivation officielle de l’entrée en
guerre des États-Unis [fut jamais] le souci de défendre » un quelconque principe
moral : « l’histoire du pays permet de douter de leur compétence en ce domaine
»…
Quant à l’histoire intérieure, Zinn développe tout au long des siècles une
variation sur le thème de la division des intérêts des dominés, du développement
des fragmentations sociales dans un pays où les distinctions de classe recoupent
celles des origines nationales, des races et des sexes. Cet usage habile, par le
pouvoir, de l’opposition des dominés, culmine avec le système du bipartisme, qui
s’installe à la tête de l’État fédéral dès l’Indépendance, et la gestion des
conflits par la nature double de l’État fédéral-national, qui prend chaque fois
le partie des plus riches – y compris au mépris de la loi même.
Prenons trois exemples.



Ce modèle de gestion de l’ordre social prend forme dès la période
pré-révolutionnaire et fut appliqué dans la mise en place de la rhétorique
indépendantiste. Quel problèmes se posent alors aux élites américaines : mater
les rébellions populaires ; détourner les paysans en mal de terre d’une alliance
avec les Anglais ; canaliser la résistance aux impôts de la Couronne ; accorder
aux ouvriers spécialisés et aux artisans des concessions économiques et des
libertés politiques qui ne remettent pas en cause les structures de classe.
Ainsi, les terres confisquées aux propriétaires fidèles aux Anglais sont
redistribuées de manière à fournir une double opportunité aux chefs
révolutionnaires. Autrement dit, selon Zinn : « S’enrichir, eux et leurs amis,
et distribuer des lopins aux petits fermiers afin de s’assurer de leur soutien
le plus large au nouveau régime politique. Cette attitude va devenir une des
principales caractéristiques de la nouvelle nation. Une nation si
extraordinairement riche qu’elle pouvait produire la classe dirigeante la plus
fortunée qu’on a jamais vue tout en conservant assez de moyens pour satisfaire
une petite bourgeoisie destinée à servir de digue entre les plus fortunés et les
plus pauvres. »
Zinn « résume ainsi la nature sociale de la Révolution : "Le fait que les
milieux les plus humbles aient participé à la bataille ne doit pas masquer que
cette bataille était globalement une lutte pour les fonctions et le pouvoir
opposant les membres d’une même classe fortunée : les nouveaux contre les
anciens. » Avant comme après, l’homme le plus riche d’Amérique était George
Washington et les conditions de vie des pauvres blancs sont restées quasiment
inchangées.
L’armée d’indépendance elle-même résume cette situation : des fermiers à qui
leurs propriétaires avaient promis l’accession à la propriété, mais qui,
enrôlés, ont découvert que leur solde n’était pas loin de 10 fois inférieure à
celle de officiers ; puis ils ont assisté à l’enrichissement des fournisseurs
officiels de l’armée.
(On voit là les prémisses d’une tradition américaine qui produit les fameux «
barons voleurs », ces rois de la banque et du rail qui ont refondé le
capitalisme au cours du xixe siècle. Zinn fait ainsi le portrait de la banque
Morgan, l’une de celles qui prêtent de l’or à l’État : « Pendant la guerre de
Sécession, Morgan achète à un arsenal militaire 5 000 fusils à 3,5 dollars
pièce, qu’il revend à un général 22 dollars chaque. Ces fusils défectueux
auraient arraché le pouce de tout soldat qui s’en serait servi. Le fait est
signalé dans un obscur rapport du Congrès, mais il se trouve un juge fédéral
pour objecter que cet échange commercial s’appuyait sur un contrat juridiquement
valide. »)
En fait, « le fameux "peuple" dont il est question dans la Constitution
("Nous, le peuple des États-Unis", expression dont [les Américains sont]
redevables au très riche gouverneur Morris) ne comprend ni les Indiens, ni les
Noirs, ni les femmes, ni même les serviteurs sous contrat ».



L’abolition de l’esclavage est une bonne illustration du contrôle d’un progrès
social inévitable.
Zinn résume ainsi la situation : « En 1860, quand le Sud produit un million de
tonnes de coton par an, le nombre des esclaves atteint quatre millions.
Constamment en proie aux révoltes et aux conspirations, les États esclavagistes
du Sud avaient développé un réseau d’outils de contrôle qui s’appuyait sur les
lois, les tribunaux, les forces armées et le préjugé raciste des responsables
politiques de la nation. Seuls un soulèvement général des esclaves ou une guerre
généralisée auraient pu abattre un système aussi solidement étayé. Mais un tel
soulèvement risquait de se révéler incontrôlable et de libérer des forces qui
pourraient s’en prendre, au-delà de l’esclavage, au système d’enrichissement
capitaliste le plus efficace du monde. En cas de guerre généralisée, en
revanche, ceux qui la conduiraient pourraient en maîtriser les conséquences.
Aussi est-ce Abraham Lincoln et non John Brown qui affranchit finalement les
esclaves.
En 1859, John Brown fut pendu avec la complicité des autorités fédérales pour
avoir tenté de faire, par un usage somme toute modéré de la violence, ce que
Lincoln ferait quelques années plus tard après un déchaînement de violence
généralisé.
L’abolition de l’esclavage se faisant sur ordre du gouvernement – sous la
formidable pression, il est vrai, des Noirs, libres et esclaves, et des Blancs
abolitionnistes –, elle pouvait être orchestrée de manière à ce que
l’émancipation reste limitée. Cette libération "venue du haut" ne pouvait
dépasser les bornes fixées par les intérêts des groupes dominants. Mais, portée
par la dynamique de la guerre et la rhétorique de la croisade, elle pouvait être
ramenée vers un cadre encore plus sûr. Si l’abolition de l’esclavage entraîna,
en effet, une reconstruction nationale sur les plans économique et politique, ce
ne fut pas une reconstruction radicale mais une reconstruction sécurisante – et
surtout rentable. »



Rapprochons-nous de la période contemporaine.
À la fin du xixe siècle naît au Texas un rassemblement de fermiers qui aboutit
à la formation d’un mouvement populaire qui débouche sur la formation d’un
troisième parti qui… Mais comment cela a-t-il commencé ?
Existait alors un système qui permettait aux fermiers d’emprunter aux
fournisseurs leurs marchandises mais à un tel taux d’endettement que tout
remboursement était souvent impossible – 90 % des fermiers du Sud étaient
endettés. (C’est comme si les États-Unis avaient expérimenté chez eux le système
de la dette du tiers-monde…)
Deux histoires pour illustrer la situation : « Un fermier blanc de Caroline du
Sud achète entre 1887 et 1895 pour 2 681,02 dollars de produits à un
fournisseur. Comme il ne peut lui rembourser que 687,31 dollars, il lui donne
finalement sa terre. Entre 1884 et 1901, Matt Brown, un fermier noir de Black
Hawk (Mississippi), s’approvisionne auprès du magasin Jones, s’endettant de plus
en plus. Pour finir, son nom est mentionné une dernière fois dans le livre de
comptes du fournisseur, en 1905, pour l’achat d’un cercueil. »
En 1886, après une série de révoltes contre ce système, des fermiers blancs se
réunissent pour fonder la première Farmers Alliance. Des centaines de milliers
de fermiers forment des coopératives, achètent du matériel en gros pour obtenir
des prix plus bas, mettent leur coton en commun et le vendent via les
coopératives.
En 1892, des porte-parole de l’Alliance visitent 43 États et s’adressent à
près de 2 millions de familles. Il s’agit déjà alors de la « plus importante
tentative d’organisation menée par un groupe de citoyens américains du xixe
siècle ».
Le mouvement dépasse 400 000 membres ; les expériences se développent : un
système monétaire parallèle, des garanties coopératives agricoles pour assurer
les fermiers contre la perte de leur récolte, etc.
Ce projet ne pouvant être repris par aucun des deux principaux partis, les
Alliances créent le parti du Peuple (ou parti populiste), qui obtient bientôt
des membres au Congrès, un gouverneur en Géorgie et au Texas, etc.
Mais trois problèmes majeurs se présentent : le maintien de la politique aux
mains des caciques habituels (qui ne furent jamais mis en danger) ; la question
raciale (un blocage constant malgré le caractère unique de l’expérience
populiste du rapprochement des races notamment dans le Sud) ; l’alliance
fermiers-travailleurs (qui n’aboutit jamais malgré la prédominance de la
question économique).
Après de sérieux échecs sur ces points, le piège du suffrage électoral se
referme sur les Populistes : rallié au parti démocrate aux élections
présidentielles de 1896, le Populisme finit par se perdre dans les méandres de
la politique démocrate. Si les démocrates l’emportent, le Populisme est absorbé.
Si les démocrates perdent, il se désintègre.
Comme lors de la plupart des périodes électorales américaines, il faut
raffermir le système après des années de contestation et de révolte. Lorsqu’un
mouvement de masse relativement menaçant se développe, le système bipartisan est
prêt à envoyer une de ses colonnes (une fois les démocrates, une fois les
républicains) pour le circonvenir et en extirper toute vitalité. Et, toujours le
même outil pour noyer le ressentiment de classe sous un flot de slogans d’unité
nationale… L’acte suprême de patriotisme restant la guerre, deux ans après
l’élection de McKinley à la présidence, les États-Unis déclarent la guerre à
l’Espagne. En 1897, Theodore Roosevelt avait écrit à un ami : « Entre nous, […]
j’accueillerais avec plaisir n’importe quelle guerre tant il me semble que ce
pays en a besoin. »
Mais si la guerre et le chauvinisme peuvent différer la colère de classe
inspirée par les dures réalités de la vie quotidienne, elles ne peuvent la faire
disparaître complètement. À l’orée du xxe siècle, cette colère éclate de
nouveau. Emma Goldman – militante anarchiste et féministe – s’adresse ainsi à la
foule au cours d’un rassemblement organisé quelques années après la guerre
hispano-américaine : « Comme nos cœurs se soulevaient d’indignation devant ces
cruels Espagnols ! […] Mais lorsque la fumée fut dissipée, que les morts eurent
été enterrés et qu’il revint au peuple de supporter le coût de cette guerre par
la hausse des prix des produits de première nécessité et des loyers –
c’est-à-dire quand nous sommes sortis de notre ivresse patriotique –, il nous
est soudainement apparu que la cause de la guerre hispano-américaine était le
prix du sucre. […] Et que les vies, le sang et l’argent du peuple américain
avaient servi à protéger les intérêts des capitalistes américains. »
Les États-Unis allait bientôt connaître le défi socialiste. Il était temps que
le pays se lancent dans la Première Guerre mondiale…



Finalement, qu’est-ce que dessine ce long parcours historique redessiné par
Zinn ? La permanence de la résistance des petites gens ; l’adaptabilité des
techniques de contrôle social ; l’incertitude et la nécessité du combat dans un
système où les jeux ne sont jamais faits. En fait, quand on rend compte de la
vie du plus grand nombre, l’histoire n’est plus qu’une histoire de révolte, de
résistance, d’avancées libératrices et de répressions. On voit s’opérer
l’affrontement de deux constantes, irréductibles et antagonistes : d’une part,
l’inépuisable capacité de résistance d’hommes et de femmes en apparence
impuissants et résolus de leur sort ; de l’autre, les ressources infinies d’un
système de contrôle, le plus ingénieux système de contrôle de l’histoire du
monde, le capitalisme.
Comprenant cela, la fausse opposition, sur fond de nationalisme, entre pro- et
anti-américanisme, cette opposition qui fait couler tant d’encre de presse
réactionnaire, du Monde au Figaro, prend une tout autre signification. L’«
américanisme » et l’« antiaméricanisme » ne sont plus que, d’un côté,
l’admiration de la mise au pas d’un peuple par le capitalisme d’État et, de
l’autre, le refus de cette gestion et de ses valeurs.
Il est facile de comprendre qu’une telle présentation d’un tel livre sur un
tel propos, il ne sera pas facile de la voir se dérouler dans les lieux
officiels de l’idéologie officielle, qui n’a aucun intérêt à faire savoir que
l’histoire du monde n’a pas toujours été celle du seul monde possible que l’on
nous fait.
Car, si ce livre nous permet d’accomplir une conversion du regard, alors nous
ne mettrons plus que du désespoir dans nos principales institutions (les grands
médias, les partis politiques qui gère l’alternance du capitalisme d’État, les
syndicats de la cogestion patronale) pour réserver ailleurs et autrement nos
efforts
http://www.homme-moderne.org/societe/histoire/hzinn/confzinn.html
 

Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours

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