Harry Roselmack, un Noir au journal télévisé le plus populaire de France : Onde de choc nationale
15/03/2006
Dans un pays, une société multiculturelle «normale», une république surtout où les êtres humains sont réputés libres, égaux et de plus invités par devise à la fraternité, le recrutement d’un journaliste noir au journal d’une chaîne privée -fût-elle la plus regardée- aurait pu passer pour une bonne nouvelle sans plus, s’agissant d’un professionnel reconnu et apprécié du paysage audiovisuel et des téléspectateurs. Las. L’intronisation annoncée du premier Noir aux commandes du journal icône d’une France réticente à sa réalité multiethnique est devenu une affaire en soi, l’affaire Harry Roselmack. Et le fait qu’il ne soit appelé qu’en remplacement de l’inamovible présentateur vedette Patrick Poivre D’Avor national, ne diminue pas les passions autour de l’annonce au contraire ! Un irrévérencieux Noir prendrait la place du modèle achevé du journalisme télévisuel français, presque blond, intelligent, dominant ses sujets jusqu’aux fausses interviews, choyé des magazines people que ses sorties conjugales et extra conjugales attirent avec un succès commercial jamais démenti... Un choc national.
C’est la France entière qui s’est saisie de Harry Roselmack si ce n’est d’elle-même, apprenant un peu qu'être noir pourrait ne pas être une disqualification à vie, même si une nomination ne change pas la face de la terre ...
Tout le monde est désormais concerné, mobilisé par cette nomination qui tombe mal en pleine affaire Fofana, noir de banlieue dont l’image bombardée dans toute la presse nationale et internationale depuis bientôt un mois était censée définir le profil type du nègre en France, à défaut du noir français réalité difficile à appréhender par beaucoup...
L’Elysée est dès les premières fuites entré dans le feuilleton Harry. Et le président Chirac en personne est cité par plusieurs médias comme le coup de pouce de cette nomination pour avoir reçu les patrons des chaînes de télévision françaises suite aux insurrections de novembre 2005, en les sommant de faire un effort dans la diversité de leurs choix de personnels visibles. TF1, semble t-il en contact avec le futur transfuge de Canal + depuis quelques temps -au plus tard janvier 2005 selon Le Monde du 07 mars 2006- aurait pris la balle présidentielle au vol.
Une opération de communication bienvenue que l’omniprésent président de l’UMP qui sait tout, est partout, fait tout et occupe tous les médias pour lesquels il est désormais une espèce de consultant, ne pouvait louper. Recevant un club investi dans la promotion de la diversité dans les médias le 17 février 2006, le club Averroès, Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy-Bocsa, ami du patron du groupe auquel appartient TF1, Martin Bouygues, avait annoncé qu’il y aurait un Noir au 20 heures l’été 2006.
Après Chirac donc Sarkozy dans l’effervescence médiatique Roselmack. La chaîne concernée, entreprise privée dont on aurait pu attendre une plus grande liberté et indépendance politique si l’on ne connaissait les particularismes du capitalisme familial et de copains made in France, n’est pas en reste. Les cadres du groupe de communication ont vite entonné l’air de la diversité ethnique et culturelle. Etienne Mougeote le vice PDG s’expliquait sur France soir : « Même s’il n’y avait pas eu le problème des banlieues, la présence à l’antenne des minorités visibles, notamment au 20H faisait débat ». Admirable façon de reconnaître le bien fondé et l’effet des émeutes de banlieues menées par les jeunes français noirs et arabes sur les stratégies de recrutement des fleurons de l’entreprise France !
L’affaire Roselmack ne s’arrêterait pas là, car Harry le Terrible fait des victimes, propulsé Joker du numéro 1 du 20 heures en France au détriment d’une relève qui attendait sagement son heure [on se souvient ce qu’il en coûta à Rachid Arhab d’être typé arabe, de le laisser entendre par son nom, et en plus de se permettre d’être trop compétent au journal de France 2]. L’ex remplaçant attitré de PPDA Thomas Hugues fait les frais directs de cette promotion. Et il le fait entendre sur fond de drame familial et de menace de démission collective car Monsieur l’ancien numéro bis et sa femme Laurence Ferrari, elle aussi joker au journal du soir de Claire Chazal -que les mauvaises langues appellent MéméDA- parlent de quitter l’édifice TF1 ! Un mini séisme dans le paysage audiovisuel, et c’est sans le off !
Ce à quoi le patron de la première chaîne de télévision française, Patrick Le Lay rétorque que «personne n’est propriétaire de son fauteuil» et que Roselmack pourrait apparaître en prime time sur d’autres projets, affaire à suivre.
Quant à l’intéressé qui semble garder son calme et sa sérénité, il prend bien la mesure de l’enjeu en affirmant dans «+ Clair» sur Canal Plus le 11 mars «Je suis conscient de l’aspect historique de ma nomination», la justifiant autant par ses qualités professionnelles que par la demande de diversité ethnique à laquelle font face les médias nationaux.
La communauté noire de France apparaît plutôt enthousiaste car il s’agit d’une nomination au mérite, mais très critique et attentive à ne pas se prendre au jeu d’un affichage unipersonnel quand les problèmes de représentativité politique, économique et la dure réalité des discriminations perdurent au niveau collectif. Par ailleurs, si un Noir au 20 heures pourrait être vu comme un commencement, il y en a déjà une, brillante sur la trois titulaire de son poste. Le test le plus important sera l’incidence sur le traitement médiatique des Caraïbes, de l’Afrique, des questions touchant les Noirs plus généralement de ces nominations. Là les choses pourraient être moins évidentes pour Roselmack qui ne pourra à lui tout seul faire disparaître les préjugés enracinés, les intérêts de Bouygues dans la Françafrique et leur incidence sur la couverture de la situation ivoirienne par exemple, ...
Enfin pour d’aucuns, l’intégration ne serait qu’un projet désuet, et la situation globale des Noirs en France le suggérerait. La création d’espaces communautaires d’expression économique, sociale et culturelle serait une approche plus porteuse ainsi que la réflexion sur les problématiques de renaissance négro-africaine.
Provisoirement, Harry le Terrible fait couler beaucoup d’encre et autant de salive, rien n’exclu de prochains rebondissements de l’affaire ... En tous cas la Martinique combattante et méritante ne se porte pas trop mal, c’est aussi le privilège d’y compter entre autres les Césaire, Fanon, et d’autres marrons anciens et modernes ...
Z.B