Charles Onana: l’histoire occultée de la France libre
Charles Onana: l’histoire occultée de la France libre
source:grioo.com
Depuis soixante ans, des historiens et les manuels scolaires minimisent ou ignorent purement et simplement le rôle et le poids décisifs de l’Afrique et des Africains dans la Résistance française et la Libération de la France. Pourtant, sans l’Afrique et sans les Africains, la France Libre du général de Gaulle n’aurait été qu’un rêve sans lendemain.
Par Charles Onana
Note de Grioo.com: Charles Onana est l’auteur de "La France et ses tirailleurs" publié aux Editions Duboiris. Journaliste d’investigation auteur de livres consacrés au Rwanda et à Paul Kagama, sur Jean-Bedel Bokassa, il revient ici, au moment du soixantième anniversaire de la fin de la guerre, sur le rôle que les africains ont joué pendant le conflit.
Revenons sur quelques faits pour comprendre pourquoi l’Afrique a pesé lourd, très lourd, dans la Résistance gaulliste et enfin dans la Libération du territoire français en août 1944.
Dès le début des hostilités et surtout après la débâcle de l’armée française, personne en France ne croit au miracle d’un retournement de situation. Seul de Gaulle et quelques officiers pensent réellement que la France peut encore sauver l’honneur devant l’armée d’Adolphe Hitler. Ce qui fonde et justifie l’espoir du général de Gaulle, c’est le poids de l’Empire et des colonies. Il est convaincu que ce n’est que par-là que viendra le salut de la France. Dans son appel du 18 juin 1940 à la radio britannique British Broadcasting Corporation (BBC), son message est sans ambiguïté :
« L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Rien n’est perdu pour la France <…> car la France n’est pas seule ! Elle a un vaste empire derrière elle. La guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis…Quoiqu’il arrive, la flamme de la résistance française de doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ».
S’il parle plus généralement de l’empire dans cet appel, l’idée qu’il en a est toutefois très précise. Il la révèle ainsi dans ses mémoires : « L’Afrique noire présentait de toutes autres possibilités. Aux premiers jours de la France libre, les manifestations qui se déroulaient à Dakar, Saint-Louis, Ouagadougou, Abidjan, Conakry, Lomé, Douala, Brazzaville, Tananarive, et les messages qui m’en arrivaient, montraient que, pour ces territoires neufs où dominait l’esprit d’entreprise, la continuation de la guerre paraissait aller de soi. »
De Gaulle ajoute : « Dans les vastes étendues de l’Afrique, la France pouvait, en effet, se refaire une armée et une souveraineté, en attendant que l’entrée en ligne d’alliés nouveaux, à côté des anciens, renversât la balance des forces. » L’Afrique est donc sans conteste son seul espoir.
Pour que cet espoir se matérialise, il lui faut disposer de véritables soutiens en Afrique. Le premier et très efficace soutien viendra donc d’un administrateur colonial originaire de Guyane. Il s’agit de Félix Eboué.
Homme courageux et humaniste dévoué, Eboué s’indigne de la capitulation du maréchal Pétain et décide à ses risques et périls d’aider de Gaulle. Le 16 juillet 1940, de Gaulle lui adresse un télégramme « Je suis informé de votre attitude que j’approuve entièrement. Le devoir consiste à tenir chaque point de l’Empire, pour la France, contre les Allemands et les Italiens».
Le général de Gaulle accueilli par Félix Eboué, gouverneur général de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) sur l’aérodrome de Brazzaville, septembre 1940. éditions ELF, 1946.
Je vous demande de me renseigner sur votre situation pour autant que vous jugerez opportun de le faire. Je suis à votre disposition pour le concours que je pourrais vous apporter. Je vous demande de vous tenir en liaison avec moi. Cordiale sympathie ». Il n’y a donc aucun doute que Félix Eboué est appelé à devenir la pièce maîtresse de la résistance gaulliste en Afrique noire. Dès le 26 août 1940, le Tchad, sous l’autorité de Félix Eboué, crée le premier ralliement à de Gaulle. Le 27 août, c’est au tour du Cameroun de soutenir de Gaulle. Ces deux territoires seront immédiatement suivis du Congo et de l’Oubangui-Chari. Voilà comment de Gaulle va obtenir une véritable assise territoriale pour organiser physiquement la résistance. C’est aussi dans ces territoires, que la France Libre va bénéficier d’importantes ressources économiques pour continuer le combat et nourrir son armée. Le Cameroun va ainsi fournir de l’or et du caoutchouc à travers les mines de Bétaré-Oya et les plantations de l’hévéa de Disangué. Le même Cameroun fournira des produits vivriers destinés à l’exportation et à l’alimentation des soldats.
En quelques mois, ce pays va devenir le poumon économique de la France Libre.
Des femmes et de nombreux adultes seront réquisitionnés dans les plantations de café ou de banane pour le compte de la France Libre. Certains colons profiteront d’ailleurs de cette mobilisation pour imposer un rythme de travail infernal aux populations. Le colonel Raymond Dronne, administrateur en poste au Cameroun et commandant d’une compagnie de police dans le territoire durant l’été 1940 admet que: « Le Cameroun était le moins pauvre des pays de l’Afrique Française Libre. C’est celui qui a fourni le maximum d’efforts en matière de production et en matière économique ». En vérité, en dehors du Cameroun, presque tous les pays d’Afrique Centrale (Tchad, Congo, Oubangui-Chari) ont contribué à l’effort de guerre. Brazzaville, l’actuelle capitale du Congo, sera la capitale officielle de la France Libre.
Le Maghreb entre en lice dès 1943 et la France Libre devient la France combattante. Contrairement à ce que laisse souvent entendre certains historiens et même la plupart des manuels d’histoire, ce n’est pas en Europe mais en Afrique que de Gaulle a gagné ses premiers combats prestigieux avec la France libre. La bataille de Koufra remportée le 1er mars 1940, par le colonel Leclerc avec 400 hommes parmi lesquels 300 Africains a fait le tour du monde.
Il va réitérer sa victoire au Fezzan en février 1942. C’est donc sur le sol africain que naîtra le prestige de la France Libre. C’est également en Afrique et particulièrement à Douala au Cameroun que de Gaulle prend, le 10 octobre 1940, son premier bain de foule en tant que chef de la France Libre.
Porté par l’enthousiasme des populations de Douala, galvanisé par les foules africaines, de Gaulle reprend du poil de la bête et retrouve la force dont il a besoin pour combattre les Allemands et les Italiens. Sa rencontre avec les populations a été décisive, disons déterminante pour la suite. Il le reconnaît ainsi dans ses mémoires : « L’émotion enthousiaste que je venais de rencontrer, je la retrouverais toujours, en toutes circonstances, dès lors que la foule serait là. Je dois dire qu’il allait en résulter pour moi-même une perpétuelle suggestion. Le fait d’incarner, pour les compagnons, le destin de notre cause, pour la multitude française, le symbole de son espérance, pour els étrangers la figure d’une France indomptable au milieu des épreuves, allait commander mon comportement et imposer à mon personnage une attitude que je ne pourrais plus changer ».
La personnalité la moins évoquée dans ce formidable mouvement de résistance française en Afrique est incontestablement Félix Eboué. C’est pourtant lui qui a été la véritable cheville ouvrière du prestige de la France Libre.
Lorsque, le 2 octobre 1941, le colonel Harry Cunningham, officier de l’état-major américain débarque à Pointe Noire au Congo, pour évaluer les capacités de la France Libre, il est stupéfait par le travail colossal de Félix Eboué et envoie des rapports élogieux sur son action à Washington. La suite des événements montre que les Africains ont lourdement pesé dans la victoire de la France en août 1944 avec le débarquement allié en Provence. Plusieurs rapports militaires estiment la participation africaine à près de 75 % des effectifs de l’armée du général de Gaulle de 1940 à 1942. Parmi eux, des Maliens, des Ivoiriens, des Burkinabe, des Béninois, des Nigériens, des Mauritaniens, des Sénégalais, des Congolais, des Tchadiens, etc. La France Combattante va élargir les rangs avec des Tunisiens, des Algériens, des Marocains, des Malgaches, des Indochinois, etc.
À l’époque, les recrutements des Africains se faisaient de façon méthodique. Tous ceux qui ont été recrutés dans les rangs de la France Libre l’ont été sur la base de critères précis.
Par exemple, parmi les Sénégalais, l’armée française préférait recruter les Wolofs et les Lebous pour leurs qualités guerrières. Chez les Guinéens, les Soussous étaient les plus sollicités. Pour les Ivoiriens, les Français choisissaient les Baoulés, les Bétés et les Sénéfos. Ils considéraient ces derniers comme de très bons marcheurs. Malgré ces préférences, l’armée française, dans son ensemble, a bénéficié de l’engagement et de la mobilisation de l’Afrique, des Antilles, de Madagascar et de l’Indochine pour vaincre l’occupation nazie. Seulement, depuis 60 ans, les livres d’histoire peinent à le dire, à l’expliquer, à le démontrer.
Il s’agit pourtant d’une page incontestable de l’histoire de secondaire guerre mondiale qui mériterait d’être enseignée à tous les enfants de France et d’Afrique. Une histoire qui gêne encore la République française autant que les Etats africains alors qu’en définitive, elle honore l’humanité toute entière face au racisme et à la barbarie nazie.