Esclavage et genre : Exploitation totale de la femme noire, l’exemple de Saint-Domingue
19/04/2006
C´est en substance, ce que l´on peut retenir de la lecture de l´intéressante étude de l´historienne afro dominicaine Celsa Albert Batista «Mujer y Esclavitud en Santo Domingo», approche qui vient d´être rééditée dans la capitale de la partie orientale de l´ancienne Hispaniola, par l´Institut des Etudes Africaines Sebastián Lemba et le Centre des Sciences de l´Education.
Synthèse contenue dans une brochure de 134 pages, ce travail présente diverses analyses de caractère historique, anthropologique et sociologique qui met en lumière la condition de la femme d´origine africaine dans cette île durant la période esclavagiste et post-esclavagiste ainsi que leur rôle dans l´ardent et pluridirectionnel métissage enregistré dans la région, après la disparition, au XVIème siècle, des populations autochtones Indiens Arawak, conséquence de la première et rude colonisation espagnole .
L´auteur, Directrice des Affaires Culturelles de son pays, examine, ensuite, la place de la femme d’ascendance africaine, totale ou partielle, dans le processus de la formation de l´identité de la République Dominicaine, á la lumière de cette pesante histoire.
Ouvertement féministe, Celsa s´est attachée à démontrer avec une insistance toute didactique, dans que cette femme venue de la contre côte atlantique a été, dans la grande île, durant la période de sueur et de sang, à la fois une marchandise négociable, une force de travail corvéable et taillable à merci et une formidable machine de reproduction d´esclaves.
Elle prendra, à plusieurs reprises, comme preuves, les textes réglementaires d´époque et quelques statistiques, parmi les plus éloquentes.
Pour l´historienne caribéenne, Professeur à l’Université Catholique de Saint-Domingue, l´installation d´esclaves- femmes devint vitale avec l´expansion de la production sucrière, et son subséquent résultat, l´accroissement de la main d´œuvre mâle. En effet, le pire des cauchemars pour les maîtres esclavagistes, était, durant la première moitié du XVI ème siècle, les noirs célibataires, plus enclins à se rebeller et à fuir les insalubres «barracones».
Variantes Biologiques
La proportion des femmes jeunes, et mêmes très jeunes, dans les cargaisons d´ébène sera donc vivement encouragée.
Le chercheur originaire de la Romana, ville adossée au littoral de la Mer des Antilles, rappellera que les premières africaines introduites à «La Española» provenaient du Portugal et de Séville, pays où elles subissaient un lavage culturel. C´étaient les Nègres Ladinas.
Mais, très vite donc, l´on fit venir directement des côtes de l´Afrique occidentale, les Noires bozales (indigènes). Et, l´on souhaita, selon certaines clauses des licences accordées, qu´un tiers ou la moitié des livraisons soient constituées de femmes.
Ces africaines installées dans la colonie seront réparties dans trois secteurs de la vie économique et sociale : les esclaves de tala (de labeur), affectées dans les plantations de canne à sucre ou dans les fermes ; les jornaleros, vendeuses dans les places publiques et le personnel domestique.
L´exécution de l´ensemble de ces tâches, dans des conditions de contraintes excessives, ne se faisait sans résistance passive ou, parfois même active. Et, les mauvais traitements infligés aux femmes, à la limite de la cruauté, provoquèrent divers actes de vengeance et même des insurrections.
L´on notera que l´un des principaux objectifs des rebelles cimarrones retranchées, était d´exfiltrer les femmes du carcan esclavagiste. Ce fût, notamment, le cas dans le célèbre territoire montagneux de Nigua, en 1522. Selon certaines estimations reprises par Celsa, entre 20 à 25% de familles d´esclaves s´y réfugièrent.
Reproductrice d´esclaves, la femme d´origine africaine a été aussi génitrice d´êtres croisés, qui présenteront, prés d´une vingtaine de variantes biologiques. Ce fait humain irréversible compliquera la gestion raciale de la colonie et sonnera, définitivement, en 1844, le glas dans l´île, de cette forme d´exploitation primitive d´êtres humains.
Parmi les figures féminines afro-dominicaines ayant contribué à cette abolition, l´auteur cite Maria Trinidad Sanchez, Concepción Bona et Doña Conchita.
L’auteure aborde, ensuite, le rôle de la «negra pulula» dans la perpétuation de l´héritage culturel africain dans le territoire jumeau d´Haïti. Elle le situe, pour l´essentiel, dans les pratiques religieuses, évidemment syncrétiques, les habitudes alimentaires et l´artisanat utilitaire.
Comme la conversion au catholicisme constituait, en théorie, un des gages de futur affranchissement de captifs africains vivant sur les territoires appartenant à la très chrétienne Couronne espagnole, les taínas nativas s´empresseront de le faire. Naturellement, elles s´y intégreront, avec toute la charge anthropologique de leurs cultures d´origine. L´on assistera à un processus de superposition religieuse durant lequel l´on mettra en relief, comme dans les rites ewe-fon, yorouba et bantu, des personnages féminins qui exerceront les fonctions de sacerdoce ou de medium des « loas » (esprits)
Les déesses africaines seront, bien volontiers, assimilées aux saintes. C´est ainsi que le panthéon dominicain compte au moins cinq références féminines : Metré Sili, Anaíssa, Rosita Legbá, Candelina Sedifé, Ochún, Changó et Yemallá.
De nombreuses afro-dominicaines assureront aussi, et aujourd´hui encore, avec une grande considération sociale, des soins de type traditionnel, des accouchements et la conduite des retraits de deuil de Cabo de Año, battant même le tambour atabal et coordonnant les fêtes de palos.
Ce sont elles qui perpétueront la fabrication d´objets artisanaux tels que les macutos et la confection, sur fond d´huile de palme, des plats de malanga, de quimbombo et de guandul, la masse de banane pilée mangú.
La très typée mélano-africaine de Saint-Domingue aborde, fatalement, comme dernier chapitre de son étude, la perception de la femme noire dans les relations sociales dans cette moitié de l´île, dont le marquage historique a été très lourd.
Approche d´histoire sociale dont la prise en compte dans le contexte des Caraïbes est importante, cette étude, dont l´intérêt a suscité cette dernière réédition, est une véritable leçon de la supériorité de la vie sur l´exploitation, sous ses formes les plus inacceptables, de la femme par l´homme.
Recension de Simão SOUINDOULA
Historien américaniste
Directeur de Bantulink
Luanda Angola
Afrikara