Le diplomate européen a dit qu’il était douteux que l’Iran, connaissant son passé, ait réellement dit toute la vérité, mais « à notre connaissance, l’Iran n’est pas encore capable de faire fonctionner les centrifugeuses » au point d’enrichir une quantité significative d’uranium. Une des raisons qui milite en faveur d’une voie diplomatique, a-t-il dit, est principalement le pragmatisme des Iraniens. « Le régime agit en fonction de ses intérêts, » a-t-il dit. Les dirigeants iraniens « adoptent une ligne dure sur la question nucléaire et veulent relever le défi américain, » et ils croient que « plus ils seront inflexibles et plus l’Occident risquera de céder. ». Mais, a-t-il dit, « Selon notre expérience de l’Iran, ils donneront l’impression d’être super confiants jusqu’au moment où ils reculeront. »
Le diplomate a poursuivi, « il ne faut jamais récompenser un mauvais comportement, et ce n’est pas le moment de faire des concessions. Il nous faut trouver le moyen de ramener le régime à la raison. Ca va être serré, mais je crois que si nous présentons un front uni dans notre opposition et que le prix à payer » - les sanctions - « sera suffisamment élevé, ils finiront peut-être par reculer. Il est encore trop tôt pour abandonner la voie de l’ONU. » Il a ajouté, « si la diplomatie ne donne rien, il n’y aura pas de « solution » militaire. Il y aura peut-être une option militaire, mais les conséquences pourraient être catastrophiques. »
Tony Blair, le Premier Ministre britannique, était l’allié le plus fidèle de George Bush pendant les préparatifs de l’invasion de l’Irak en 2003. Mais lui et son parti ont été secoués par une série de scandales financiers, et sa côte de popularité est au plus bas. Jack Straw, le ministre des affaires étrangères, a déclaré l’année dernière qu’un action militaire contre l’Iran était « inconcevable ». Blair avait été moins catégorique, en déclarant publiquement qu’il ne fallait écarter aucune option.
D’autres officiels européens ont exprimé le même scepticisme sur l’efficacité d’un bombardement par les américains. « L’économie iranienne est en mauvaise santé, et Ahmadinejad est, politiquement, en mauvaise posture, » m’a dit l’officiel du renseignement européen. « Il sortira renforcé par une attaque américaine. On peut le faire, mais le résultat sera encore pire. » Une attaque américaine, a-t-il dit, aliénerait les iraniens ordinaires, y compris ceux qui seraient favorables aux Etats-Unis. « L’Iran n’est plus à l’age de pierre, et les jeunes ont accès aux films et livres US, et ils les adorent, » a-t-il dit. « S’il y avait une offensive de charme contre l’Iran, les mollahs se retrouveraient à terme en difficulté. »
Un autre officiel européen m’a dit qu’il était conscient que beaucoup de gens à Washington voulaient voir de l’action. « C’est toujours les mêmes, » a-t-il dit, avec un haussement d’épaules résigné. « Il y a une croyance selon laquelle la voie diplomatie est condamnée à l’échec. Le temps est compté. »
Un allié essentiel et une voix importante dans ce débat est Israël, dont les dirigeants lancent depuis des années des avertissements contre toute tentative de l’Iran de lancer un programme d’enrichissement, ce qui constituerait un point de non retour. Plusieurs officiels m’ont dit que la Maison Blanche voulait éviter une attaque israélienne contre un pays musulman, ce qui pourrait provoquer des réactions à travers toute la région, et que ceci expliquait en partie la décision d’entamer l’étude des plans d’intervention en cours. Lors d’un discours prononcé à Cleveland, le 20 mars, le Président Bush décrivit l’hostilité d’Ahmadinejad envers Israël comme une « menace sérieuse. C’est une menace contre la paix mondiale. » [comme Bush ? question banale du traducteur] Il ajouta, « J’ai déjà été très clair, je serai très clair à nouveau, nous emploierons la force militaire pour protéger notre allié Israël. »Toute attaque américaine, m’a dit Richard Armitage, devrait prendre en compte les questions suivantes : « que se passera-t-il dans les autres pays islamiques ? quelles sont les capacités de l’Iran de nous frapper globalement - c’est-à-dire par le terrorisme ? Est-ce que la Syrie et le Liban renforceront leurs pressions sur Israël ? Quel impact aura l’attaque sur notre image dans le monde, déjà mal en point ? Et que signifiera-t-elle pour la Russie, la Chine et le Conseil de Sécurité de l’ONU ? »
L’Iran, qui produit actuellement près de quatre millions de barils de pétrole par jour, n’aurait pas besoin de couper sa production pour déstabiliser les marchés pétroliers mondiaux. Il pourrait bloquer de détroit d’Ormuz, un passage large d’environ 50 km par où transite le pétrole du Moyen Orient en direction de l’Océan Indien. Néanmoins, un fonctionnaire du ministère de la Défense, à la retraite depuis peu, a minimisé les conséquences stratégiques de telles actions. Il m’a dit que la marine US serait capable d’assurer le passage par des actions d’assistance et de draguage de mines. « il serait impossible de bloquer le passage, » a-t-il dit. Le conseiller du gouvernement proche du Pentagone a lui aussi dit qu’il pensait que le problème du pétrole pouvait être géré, en soulignant que les Etats-Unis avaient suffisamment de réserves stratégiques pour faire fonctionner leur pays pendant soixante jours. Cependant, ceux à qui j’ai parlé dans les milieux d’affaires pétroliers étaient moins optimistes ; un expert a estimé que le prix du baril grimperait instantanément, quelque part entre 90 et 100 dollars le baril, et même plus, selon la durée et l’étendue du conflit. [ précision du traducteur : et en cas de guerre nucléaire (soyons optimistes que diable) le prix du pétrole sera tel que nous conseillons dés à présent à nos lecteurs d’acheter un gros paquet d’actions de compagnies pétrolières et de les revendre dès que les nuages radioactives se seront dissipés.]
Michel Samaha, un politicien chrétien vétéran au Liban et ancien ministre à Beyrouth, m’a dit que la riposte iranienne pourrait se concentrer sur les champs pétroliers exposés en Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, et les Emirats Arabes Unis. « ils seraient exposés, » a-t-il dit, « et ça pourrait être le début d’une véritable djihad de l’Iran contre l’Occident. Ca sera pas beau. »
L’Iran pourrait aussi déclencher une vague d’attaques terroristes en Irak ou ailleurs, avec le soutien du Hezbollah. Le 2 avril, le Washington Post révéla que les plans dressés pour contrer une telle éventualité « consomment beaucoup de temps » dans les services de renseignement US. [bah, pendant qu’ils font ça, ils font pas ch... le reste du monde. Commentaire du traducteur]. « Le meilleur réseau terroriste au monde est resté neutre dans la guerre contre le terrorisme ces dernières années, » a déclaré un conseiller du Pentagone en parlant du Hezbollah. « Ca va les réveiller et nous aurons à nous affronter à l’organisation qui a chassé Israël du Sud Liban. Si nous lançons une action contre l’Iran, le Hezbollah ne restera pas sur les bancs de touche. Si les israéliens ne les neutralisent pas, ils se mobiliseront contre nous. » (lorsque j’ai interrogé le conseiller du gouvernement sur une telle possibilité, il a dit que si le Hezbollah tirait des roquettes sur le nord d’Israël, « Israël et le nouveau gouvernement libanais les élimineront. »)
Le conseiller a ajouté, « si nous y allons, la moitié sud de l’Irak s’embrasera comme une chandelle. » Les américains, les britanniques et les autres forces de la coalition en Irak courraient le risque d’être attaqués par les troupes iraniennes et les milices chiites qui obéissent à l’Iran. (L’Iran, à majorité chiite, a des liens étroits avec les partis chiites en Irak.) Un général quatre étoiles à la retraite m’a dit que, malgré les 8000 soldats britanniques stationnés dans la région, « les Iraniens pourraient prendre Bassora avec dix mollahs et un camion équipé de haut-parleurs. »
« En cas d’attaque, » m’a dit un diplomate de haut rang à Vienne, « Ahmadinejad sera le nouveau Saddam Hussein du monde arabe, mais plus crédible et plus puissant. Il faut mettre son mouchoir dans sa poche et s’asseoir à la table des négociations avec les Iraniens. »
Le diplomate a poursuivi, « il y a des gens à Washington qui seraient mécontents de nous voir trouver une solution. Ils sont toujours à la recherche d’une confrontation et d’un changement de régime. Ils prennent leurs désirs pour des réalités. » Il a ajouté, « C’est maintenant ou jamais. »
Seymour Hersh