Traduction « avec un léger dégoût » par CSP.
Diffusion autorisée et même encouragée
Merci de mentionner les source.
Document garanti contre tout virus sauf, peut-être, celui de la révolte.
Document non garanti contre les fautes de frappe, de français ou de goût.
Le Président George W. Bush ira-t-il jusqu’à la guerre pour empêcher l’Iran d’avoir la bombe ?
The New Yorker, 17 avril 2006 - (Publié le 8 avril 2006).
L’administration Bush, tout en soutenant la voie diplomatique pour empêcher l’Iran de posséder l’arme nucléaire, a renforcé les opérations clandestines à l’intérieur de l’Iran et a intensifié les préparatifs pour une éventuelle attaque massive aérienne. Des fonctionnaires des services de renseignement de l’armée, en poste ou à la retraite, ont dit que les groupes de planification de l’armée de l’air sont en train de dresser des listes de cibles et que des équipes de troupes de combat américains ont été clandestinement infiltrés en Iran afin de collecter des données sur les cibles et d’établir des contacts avec les groupes ethniques minoritaires anti-gouvernementaux. Ces fonctionnaires disent que le président Bush est déterminé à empêcher le régime Iranien de lancer un programme d’enrichissement de l’uranium prévu dans les mois qui viennent.
Les services de renseignement américains et européens, ainsi que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) sont d’accord pour dire que l’Iran est décidé à se doter des capacités de fabriquer des armes nucléaires. Mais les opinions différent largement sur la durée que prendrait un tel programme et sur la meilleure manière de l’empêcher, par des sanctions diplomatiques ou une action militaire. L’Iran persiste à dire que les recherches n’ont pas d’objectif militaire, qu’il respectera le Traité de Non-Prolifération Nucléaire, et qu’il ne sera ni arrêté ni retardé.
Il y a de plus en plus de personnes au sein de l’armée américaine, et de la communauté internationale, qui pensent que l’objectif réel de Bush dans cette confrontation nucléaire est celui de provoquer un changement de régime. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a questionné la réalité de l’Holocauste et a déclaré qu’Israël devait être « rayé de la carte ». Selon un ancien haut fonctionnaire des services de renseignement, Bush et d’autres à la Maison Blanche le considèrent comme un Hitler potentiel. « c’est le nom qu’ils emploient. Ils disent : est-ce que l’Iran possédera l’arme stratégique et menacera de déclencher une nouvelle guerre mondiale ? »
Un conseiller auprès du gouvernement, qui a d’étroites relations avec la direction civile du Pentagone, a dit que Bush était « totalement convaincu que l’Iran aura la bombe » si personne ne les arrête. Il a dit que le Président croit qu’il devra faire « ce qu’aucun Démocrate ou Républicain, s’il était élu, n’aura le courage de faire plus tard, » et « qu’il laissera en héritage le sauvetage de l’Iran ».
Un ancien fonctionnaire du ministère de la Défense, qui gère encore certains dossiers délicats pour l’administration Bush, m’a dit que les plans militaires étaient basés sur la conviction « qu’une campagne soutenue de bombardements humilierait la direction religieuse et provoquerait un soulèvement et le renversement du gouvernement. » Il ajouta, « j’ai été choqué d’entendre ces propos et je me suis demandé ce que qu’ils avaient fumé ».
Les justifications en faveur d’un changement de régime furent énoncées au début du mois de mars par Patrick Clawson, un expert sur l’Iran et directeur adjoint de la recherche du Washington Institute for Near East Policy, et qui est un partisan de Bush. « Tant que l’Iran sera une république islamique, il aura un programme d’armes nucléaires, au moins clandestin », déclara Clawson devant la Commission des Affaires Etrangères du Sénat US, le 2 mars. « La question essentielle est donc la suivant : combien de temps durera l’actuel régime iranien ? »
Lorsque j’ai parlé avec Clawson, il a souligné que « cette administration déploie beaucoup d’efforts dans la voie diplomatique. » Cependant, ajouta-t-il, l’Iran n’a pas d’autre choix que de céder aux exigences américaines ou de subir une attaque militaire. Clawson a dit qu’il craignait qu’Ahmadinejad « ne perçoive l’Occident comme une bande de faibles qui finiront par céder. Nous devons être prêts à affronter l’Iran si la crise s’accentue. » Clawson a dit qu’il préférerait le recours au sabotage et autres actions clandestines, telles que « l’accident industriel ». Mais, a-t-il dit, il serait prudent d’être préparé à une guerre à plus grande échelle, « étant donné le comportent des Iraniens. Ce n’est pas comme si on planifiait l’invasion du Québec. »
Un planificateur militaire m’a dit que les critiques de la Maison Blanche à l’égard de l’Iran et le rythme soutenu de planification des activités clandestines constituaient une campagne de « pression » sur l’Iran. « Il faut être prêt à y aller, et nous verrons comment ils réagiront, » a dit l’officier. « Il faut être réellement menaçant pour faire reculer Ahmadinejad. » Il ajouta : « les gens pensent que Bush est obsédé par Saddam Hussein depuis le 11 septembre, » mais « à mon avis, s’il fallait nommer un pays qui a toujours été sa préoccupation depuis le début, c’est l’Iran. » (Lorsque j’ai demandé un commentaire, la Maison Blanche a répondu qu’elle ne ferait pas de commentaire sur les plans militaires mais ajouta « Comme l’a indiqué le Président, nous recherchons une solution diplomatique. » ; le Département de la Défense a déclaré aussi que le dossier Iranien était traité par des « voies diplomatiques » et refusa de fournir plus de précisions ; la CIA a dit que ce compte-rendu contenait des « inexactitudes » mais a refusé de préciser lesquelles.)
« Il s’agit de bien plus que d’une question de nucléaire, » m’a déclaré un diplomate de haut rang à Vienne. « ça, c’est juste un point de ralliement et il n’est pas trop tard pour le résoudre. Mais l’administration Bush croit qu’elle ne peut pas le résoudre avant de contrôler les coeurs et les esprits en Iran. Le véritable enjeu est qui contrôlera le Moyen-Orient et son pétrole dans les dix prochaines années. »
Un conseiller de haut rang auprès du Pentagone sur la guerre contre le terrorisme a exprimé une opinion similaire. « Cette administration pense que la seule manière de résoudre ce problème est de changer les structures du pouvoir en Iran, ce qui signifie la guerre, » a-t-il dit. Le danger, a-t-il dit, est que « cela renforce en Iran l’idée que la seule manière de défendre le pays est de posséder l’arme nucléaire. » Un conflit militaire qui déstabiliserait la région pourrait aussi accroître le risque terroriste. « si le Hezbollah entre en scène, a dit le conseiller, en référence au groupe terroriste considéré comme le plus efficace au monde, et qui est devenu un parti politique libanais très proche de l’Iran, « Al Qaeda arrivera dans son sillage. »
Au cours des dernières semaines, le Président a discrètement entamé des conversations sur les plans pour l’Iran avec certains sénateurs et députés influents, dont au moins un Démocrate. Un membre important du « House Appropriations Committee », qui n’a pas participé aux réunions mais en a discuté avec ses collègues, m’a dit qu’il n’y a pas eu de « comptes-rendus formels, » parce que « ils sont réticents à informer la minorité. Ils interviennent au Sénat, mais d’une manière sélective. »
Cette personne m’a dit que personne dans ces réunions « ne s’oppose réellement » à l’idée d’une guerre. « Les personnes qu’ils consultent sont les mêmes que celles qui ont mené l’attaque contre l’Irak. Au pire, quelques questions sont soulevées : comment allez-vous frapper simultanément tous les sites ? comment allez-vous frapper en profondeur ? (L’Iran est en train de construire des sites souterrains.) Il n’y a aucune pression de la part du Congrès » pour éviter une action militaire, ajouta-t-il. « La seule pression politique vient des types qui veulent en découdre. » Parlant du Président Bush, cette personne m’a déclaré que « le plus préoccupant dans tout ça, c’est que ce type est habité par une vision messianique. »
Certaines opérations, apparemment destinées à intimider l’Iran, sont déjà en cours. Cette personne m’a déclaré que des avions tactiques de la Marine, opérant à partir de navires mouillés dans la mer Arabique, effectuent depuis l’été dernier des manoeuvres de simulation de bombardement nucléaire - des manoeuvres d’ascension rapide connues comme des bombardements « par-dessus l’épaule » - à portée du rayon d’action des radars côtiers iraniens.
Le mois dernier, dans un document fourni lors d’une conférence sur la sécurité au Moyen Orient qui s’est tenue à Berlin, le Colonel Sam Gardiner, un analyste militaire qui a été formateur à l’Ecole Militaire Nationale avant de prendre sa retraite en 1987 de l’Armée de l’Air, a fourni une évaluation des moyens nécessaires pour détruire le programme nucléaire iranien. Travaillant à partir de photos satellites des sites connus, Gardiner a estimé qu’au moins quatre cents cibles devaient être détruites. Il ajouta :
« Je ne crois pas qu’un planificateur de l’armée américaine s’arrêterait là. L’Iran a probablement deux usines chimiques. Nous les attaquerons. Nous voudrons frapper les rampes de missiles balistiques de moyenne portée qui ont récemment été déplacées et rapprochées de l’Irak. Il y a quatorze bases aériennes qui abritent des avions... Nous voudrons nous débarrasser de cette menace. Nous voudrons frapper tout qui ce qui pourrait menacer le transport maritime dans le Golfe. Ce qui signifie frapper les sites de missiles et les sous-marins Iraniens à propulsion diesel... Certains sites seront peut-être trop difficiles à détruire avec des armes conventionnelles, même celles dotées d’un fort pouvoir de pénétration. Les Etats-Unis devront faire appel aux unités des Forces Spéciales. »
Un des plans initiaux des militaires, tel qu’il fut présenté à la Maison Blanche par le Pentagone il y a quelques mois, préconisait le recours à des armes tactiques nucléaires « briseurs de bunkers », telles le B61-11, contre les sites nucléaires souterrains. Une des cibles en Iran est l’usine de centrifugeuses, à Natanz, à environ 300 km au sud de Téhéran. Natanz, qui n’est plus sous la surveillance de l’AIEA, aurait une capacité de stockage souterraine pour cinquante mille centrifugeuses, et des laboratoires et ateliers à environ 20 mètres sous terre (75 pieds). Un tel nombre de centrifugeuses fournirait suffisemment d’uranium pour fabriquer environ 20 têtes nucléaires par an. (l’Iran a reconnu avoir initialement caché à l’AIEA l’existence d’un programme d’enrichissement d’uranium, mais affirme qu’aucune de ses activités ne viole le Traité de Non Prolifération.) La destruction de Natanz constituerait un échec majeur pour les ambitions nucléaires de l’Iran, mais les armes conventionnelles américaines ne pourraient pas garantir la destruction d’un site situé sous une couche de 20 mètres de terre et de roche, surtout s’il a été renforcé avec du béton.
Il existe un précédent datant de l’époque de la Guerre Froide en matière de bunker souterrain. Au début des années 80, les services de renseignement US ont repéré que le gouvernement soviétique avait entamé la construction d’un gigantesque complexe souterrain à l’extérieur de Moscou. Les analystes conclurent que le site était destiné à « garantir la continuité du gouvernement » - la survie de la direction politique et militaire en cas de guerre nucléaire. (Il existe des sites similaires en Virginie et Pennsylvanie, pour la direction américaine.) Le site soviétique existe toujours, et la plupart des informations détenues par les Etats-Unis sur ce site sont classées top-secret. « Ce qui nous a mis la puce à l’oreille, ce sont les puits de ventilation, dont certains avaient été maquillés. » m’a raconté un ancien haut fonctionnaire des services de renseignement. A l’époque, on était arrivé à la conclusion que « seuls les armes nucléaires » pouvaient détruire le bunker. Il ajouta que les analystes des services de renseignement pensent que les Russes ont aidé les Iraniens à construire leur propre site souterrain. « Nous constatons des similitudes, » particulièrement dans les puits de ventilation, a-t-il dit.
Un ancien haut fonctionnaire du Département de la Défense m’a dit que, selon lui, un bombardement limité suffirait à « entrer là dedans et provoquer suffisamment de dégâts pour ralentir le programme nucléaire - c’est faisable. » L’ancien fonctionnaire a dit que « les Iraniens n’ont pas d’amis, et nous pouvons leur rappeler, si nécessaire, que nous reviendrons frapper leurs infrastructures. Les Etats-Unis devraient se comporter comme s’ils étaient prêts à agir. » ajouta-t-il. « Nous n’avons pas besoin de détruire toutes leurs défenses anti-aériennes. Nos bombardiers furtifs et missiles sont très efficaces, et nous pouvons détruire au fur et à mesure qu’ils réparent. On peut aussi faire des choses au sol, mais c’est compliqué et très dangereux - comme mettre des produits très désagréables dans leurs puits de ventilation pour les endormir. »