Quelques bonnes nouvelles
- 16 avril 2006 - par BÉCHIR BEN YAHMED
La défaite électorale de Silvio Berlusconi en Italie fait partie des bonnes nouvelles auxquelles il me plaît de consacrer cette livraison de « Ce que je crois ».
Mais je ne traiterai ci-dessous que des nouvelles qui dépassent, par leur rayonnement ou leurs conséquences, le pays dont elles proviennent.
Les Italiens ne sont pas encore, malheureusement pour eux, complètement débarrassés de Berlusconi. Les Européens non plus, d’ailleurs. Mais, avec le pouvoir, il aura perdu une bonne partie de sa capacité de nuisance.
1. L’accession au sommet de l’État, dans une des grandes démocraties européennes, d’un parvenu de la politique et de l’argent, plus affairiste qu’homme d’affaires, récidiviste de la corruption, xénophobe, islamophobe et même, tout simplement, raciste, m’avait paru, comme à la plupart d’entre vous sans doute, scandaleuse.
Et la manière dont cette « grande gueule » a exercé un pouvoir, qu’il a plus acheté que conquis, n’a fait que nous conforter dans la conviction que politique et business ne font pas bon ménage.
Mais cet homme, qui a su s’enrichir en (trop) peu d’années, a-t-il au moins, comme détenteur du pouvoir exécutif de son pays, mené une bonne politique économique ? L’Italie et les Italiens vivent-ils mieux en 2006 grâce à lui ? Même pas : en cinq ans de gouvernement, tout en continuant, lui, à s’enrichir, Berlusconi a appauvri son pays, et en a fait « l’homme malade » de l’Europe (voir page 28).
Hors d’Italie, qui le regrettera ? Quelques hommes seulement, au premier rang desquels un très puissant : George W. Bush, dont Berlusconi s’est montré le vassal zélé, et même flagorneur.
À mille jours de son propre départ, l’avez-vous remarqué, le président américain « sème » ses amis l’un après l’autre : il y a deux ans, un autre de ses affidés, José María Aznar, a perdu le pouvoir en Espagne ; au début de cette année, c’est l’ami Ariel Sharon qui a été terrassé et, en ce mois d’avril, Silvio Berlusconi a perdu les élections.
Ne reste, et pour peu de mois seulement, que Tony Blair : le Premier ministre britannique devrait en effet quitter la scène d’ici à un an…
George W. Bush porterait-il malheur à qui le soutient ?
2. La deuxième bonne nouvelle nous vient d’Afrique : elle est double.
À la fin du XXe siècle, il y a une petite douzaine d’années, plusieurs pays africains, du nord comme du sud du Sahara, plongeaient l’un après l’autre dans la crise.
Au moment même où l’Afrique du Sud exorcisait l’odieux apartheid et où sa population noire (85 % de l’ensemble) en secouait le joug, une bonne douzaine de pays africains - le Rwanda, le Burundi, le Zaïre (devenu depuis RDC), le Congo, l’Angola, la Centrafrique, le Liberia, la Sierra Leone, le Niger, le Mozambique, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Soudan - voyaient leur État se fissurer, ou même se disloquer, et leur économie cesser de fonctionner normalement : près de 200 millions d’Africains - un sur quatre - se sont alors trouvés sur le bas-côté de la route du progrès.
En ce début de XXIe siècle, les mêmes, l’un après l’autre, sortent de la crise, reviennent lentement à la vie, retrouvent la paix et tentent même, plus ou moins sérieusement, de prendre la voie démocratique.
Un seul pays en Afrique, la Guinée, sous le joug d’un autocrate dont le règne n’en finit pas de finir, est au seuil de l’épreuve et peut d’un jour à l’autre basculer dans la crise institutionnelle.
On espère pour ses habitants, qui n’ont connu que la dictature depuis près d’un demi-siècle, que leur pays saura éviter la crise et que leur cauchemar prendra fin, en même temps que l’interminable agonie de l’actuel détenteur (nominal) du pouvoir.
Cette évolution dans le bon sens, bonne nouvelle s’il en est, s’accompagne d’une autre évolution heureuse, révélée successivement par les coups d’État en Centrafrique contre le président Ange-Félix Patassé (15 mars 2003), en Mauritanie contre le président Maaouiya Ould Taya en août 2005 et, enfin, par le soulèvement contre le président Idriss Déby Itno au Tchad (voir pages 12-17).
L’élection inattendue de Boni Yayi à la tête du Bénin, tout en constituant un événement d’un tout autre ordre, a, pour moi, la même signification : de toutes leurs forces, les peuples africains aspirent au changement ; ils ne veulent rien de moins que secouer le cocotier, faire partir les dinosaures qui s’accrochent au pouvoir, le transforment en chasse gardée pour eux-mêmes, et leur clan ou leurs proches.
On sent un peu partout un rejet profond des régimes corrompus et inefficaces, incapables d’autre chose que de s’accaparer - vite, car ils ne sont pas sûrs du lendemain - des richesses des pays sur lesquels ils exercent leur pouvoir.
Lorsque surgissent l’occasion et la possibilité de les rejeter, par le vote ou par la force, les peuples les saisissent.
3. Après l’Italie et l’Europe, après l’Afrique, c’est le reste du monde qui nous donne des motifs de nous réjouir : la géopolitique et l’économie mondiales nous livrent en effet, ce mois-ci, de très bons chiffres et nous annoncent d’agréables surprises :
- Sur le plan économique, le nombre des très pauvres - ceux qui disposent de moins de 1 dollar par jour - diminue inexorablement année après année.
En 1993, il y a treize ans, ils étaient 1,2 milliard d’hommes, de femmes et d’enfants, soit 22 % de la population mondiale ; au début de ce siècle, ils n’étaient plus que 17,8 %, et ils seront ramenés à 9 %, soit 620 millions d’êtres humains (pour la plupart, hélas ! en Afrique subsaharienne) d’ici à dix ans.
C’est là une évolution positive de très grande ampleur, sans précédent dans l’Histoire.
- Sur le plan politique, la démocratie progresse irrésistiblement sur tous les continents.
Il y a encore quinze ans, 20 % de la population mondiale seulement vivait sous des régimes démocratiques. Mais, depuis 1990, date de la chute du communisme, un mouvement s’est enclenché à l’échelle mondiale qui a considérablement élargi le cercle : en 2006, près de la moitié de l’humanité (46 %) vit sous un régime démocratique.
Le jour où la Chine se ralliera à la démocratie, ce seront les deux tiers de l’humanité qui auront été englobés par le système démocratique.
En seront encore exclus, hélas ! la moitié (au moins) des pays arabes…
Cette Chine, dont on parle tant et dont on commence à voir les citoyens un peu partout - on prévoit qu’elle enverra en 2015, dans une dizaine d’années, cent millions de touristes par an au reste du monde -, sera-t-elle démocratique avant de devenir, devant les États-Unis, la première économie mondiale ?
Rien n’est moins sûr.
En effet, selon la très sérieuse Economist Intelligence Unit, dès lors qu’on utilise comme instrument de mesure la parité de pouvoir d’achat (PPA)*, la Chine dépassera les États-Unis et deviendra la première économie mondiale dès 2020 : dans quinze ans, autant dire demain (voir graphique ci-contre).
Son président, Hu Jintao, qui sera l’hôte de son homologue américain à Washington dans quelques jours (le 20 avril), sait qu’il faut y penser toujours, ne le dire jamais.
En 2020, de son côté, l’Inde aura dépassé le Japon. Et, comme le montre aussi notre graphique, trois des quatre premières puissances économiques mondiales seront asiatiques et abriteront plus de 40 % de l’humanité.
Pour que ces prévisions se réalisent, il faut, bien sûr, que les quinze prochaines années soient pacifiques, sans accident économique ni surprise majeure.
* Qui élimine de la comparaison les différences de prix des biens d’un pays à l’autre.
http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=LIN16046quelqsellev0