Une corporation n'est pas une entreprise
Roux, Paul
Au moment où passe le documentaire The Corporation, il me paraît opportun de rappeler que le terme corporation se dit correctement en français d'un " ensemble de personnes exerçant le même métier ou la même profession ". En ce sens, corporation est un quasi-synonyme d'ordre professionnel.
La Corporation professionnelle des ingénieurs.
En revanche, corporation est un anglicisme au sens de compagnie, entreprise, société, municipalité ou organisme public.
De la même façon, l'adjectif corporatif se dit correctement de " ce qui est relatif à une corporation ".
Un groupement corporatif, un esprit corporatif.
Mais corporatif est un anglicisme au sens de " ce qui est relatif à une compagnie, à une société commerciale ". Dans ce cas, on traduira corporate, non pas par corporatif, mais, selon le contexte, par de la compagnie, d'entreprise, de l'entreprise, de la société ou par général.
Les loges louées à des compagnies au Centre Bell, par exemple, ne sont pas des loges corporatives. Loges suffit dans ce cas. Si l'on tient absolument à ajouter une précision, on pourra parler de loges d'entreprise. Un client corporatif est tout simplement une compagnie, une entreprise ou une société. Un agenda corporatif est un plan d'activités (d'entreprise). Un avocat corporatif est un avocat en droit des sociétés. Un conseiller corporatif est un conseiller d'entreprise. Quant à la planification corporative, c'est une planification générale.
Les partenariats public-privé
Lorsque la présidente du Conseil du Trésor a présenté son plan de réorganisation de l'État la semaine dernière, elle a parlé, entre autres choses, de partenariat public-privé. Il s'agit d'un calque de public-private partnership. Il sera difficile de s'opposer à cette locution en raison de sa brièveté, mais on dirait plus justement partenariat entre le secteur public et le secteur privé ou partenariat entre le public et le privé. Ceux qui opteront pour partenariats public-privé doivent savoir qu'il ne faut pas mettre public-privé au pluriel. Les lecteurs qui veulent en connaître davantage sur le sujet pourront consulter l'entrée partenariat public-privé dans le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office (www.granddictionnaire.com).
On notera, au passage, que Monique Jérôme-Forget n'a pas employé l'affreux réingénierie, lui préférant modernisation. De toutes les solutions de rechange possibles, la ministre a choisi la plus positive. Modernisation laisse entendre, en effet, que l'État québécois, dans sa forme actuelle, est dépassé. Je laisse aux chroniqueurs politiques le plaisir de débattre de la question. En tant que chroniqueur de langue, je me bornerai à souligner que les termes reconfiguration, réorganisation, restructuration ou révision auraient été plus neutres, mais évidemment moins accrocheurs.
Deuxième ou Seconde Guerre?
Question: J'aimerais que vous me disiez siParis Match, que je lis à l'occasion, utilise correctement l'expressionSeconde Guerre mondiale. À mon avis,Seconde Guerre mondialeest un calque de l'anglaisSecond World War. En deuxième lieu, quand j'ai fait mon cours classique, on m'a appris qu'on ne pouvait utilisersecondque lorsqu'on était certain qu'il n'y aurait pas detroisième. Or, comment pourrait-on être certain qu'il n'y aura pas de troisième guerre mondiale? Surtout pas dans le contexte actuel, n'est-ce pas? Alors qu'en est-il?
- Guy Pinard
Il est vrai que second et deuxième ne sont pas parfaitement synonymes. Le premier ne s'emploie en principe que lorsqu'il n'y a que deux éléments.
La seconde demie d'un match de football.
La deuxième période d'un match de hockey.
Mais il est vrai que cette distinction est de moins en moins respectée.
Pour ce qui est de Seconde Guerre mondiale, ce n'est pas un calque de l'anglais. On trouve cette dénomination dans des ouvrages plus fiables que le Paris Match, comme le Petit Robert et le Petit Larousse. La logique veut qu'on parle de la seconde puisqu'il y a eu deux guerres mondiales. Mais cette logique, j'en conviens, est une logique optimiste. Trop? Espérons que non.
Tournures anglaises deêtre
Question: Dans votre réponse du 2 mai, sur ledémembrement, vous écrivez: " Le Vocabulaire juridique définit ce mot comme étant la division... "
J'ai déploré à maintes reprises, auprès de la rédaction deLa Presse, l'usage du verbeêtrecalqué sur les tournures anglaisesto beetas being. Cet anglicisme alourdit des phrases qui n'ont absolument pas besoin du verbeêtresurtout que cette faute est souvent commise en accompagnement d'un verbe qui contient déjà la notion d'être(sembler, se révéler, s'avérer, etc.) ou decommequi introduit un état.
- André Dupuis, rédacteur en chef, Inter-mécanique du bâtiment
Cette remarque est tout à fait judicieuse. Je vous remercie d'avoir souligné mon erreur avec amabilité.
Qu'est-ce qu'un perronisme?
Question: Dans votre chronique du dimanche 2 mai, dans le paragraphe intitulé " Acculer au pied du mur ", vous utilisez le motperronisme. Tout le monde ici se demandait ce que cela pouvait bien vouloir dire, jusqu'à ce quelqu'un fasse le lien entre ce mot et un certain M. Perron qui a déjà travaillé pour le club de hockey Canadien. Il fallait le savoir... Quoi qu'il en soit, les guillemets étaient obligatoires et leur omission nous étonne un tout petit peu! Cela ne nous empêche toutefois pas de nous dire très heureux de l'existence de cette chronique et de vous en remercier.
- Florent Gaudreault
Désolé d'avoir créé un moment de confusion. Mais j'ai fait un tout petit peu exprès, car j'avais l'intention de revenir sur les perronismes. Ce terme vient effectivement d'un ex-entraîneur du Canadien de Montréal, Jean Perron, considéré comme le maître de la déformation (involontaire) des proverbes et locutions. C'est lui qui aurait dit, notamment, " il y a loin de la soupe aux lièvres ", au lieu de " il y a loin de la coupe aux lèvres ". Les bons mots de Perron ont inspiré de nombreux humoristes, qui se sont ingéniés depuis à inventer de faux perronismes, du genre " il ne faut pas chercher de midi à l'an 40 ", " on lui a déroulé un plateau d'argent ", " échanger quatre 30 sous pour quatre piastres ", " ça commence à sentir l'eau chaude ", etc.
Pour ceux que la chose intéresse, on trouve une collection de perronismes tordants dans Les Perronismes, un ouvrage publié par Les Intouchables, ainsi que sur le site www.chez.com/zoneluco/perron1.htm.
Le perronisme de la chronique du 2 mai est attribué à Bernard Geoffrion, qui aurait déclaré, tout d'un trait: " On était accumulés au pied du mur, on travaillait comme des arrache-pied. "
Petits pièges
La semaine dernière, les phrases suivantes contenaient chacune une erreur:
Elle vit dans un monde enchanté, un monde de conte de fée.
Les visiteurs s'y rendent en masse à l'année longue.
- Dans la locution conte de fées, le mot fées doit être au pluriel. Il aurait donc fallu écrire:
Elle vit dans un monde enchanté, un monde de conte de fées.
- La locution à l'année longue est un calque de all year long. On évitera l'anglicisme en disant plutôt à longueur d'année ou toute l'année. Il aurait donc fallu écrire:
Les visiteurs s'y rendent en masse à longueur d'année.
Voici les pièges de cette semaine. Les phrases suivantes contiennent chacune une faute. Quelles sont-elles?
À prime abord, cette solution est attrayante.
Elle est allée sur Nice.
Les réponses la semaine prochaine.
Faites parvenir vos questions à Paul Roux par courriel à proux@lapresse.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal (QC), H2Y 1K9.