La balance du pouvoir
Roux, Paul
Je vous écris au sujet de la balance du pouvoir. Cette expression, peu élégante, ne me semble pas très française. N'y aurait-il pas moyen de la remplacer par quelque chose qui respecte davantage le génie de la langue?
Simon Audy, Chelsea (Québec)
La locution balance du pouvoir n'est pas totalement inconnue en France, où elle décrit l'" équilibre des forces ".
Un livre sur la balance du pouvoir entre médecins et patients.
L'apparition d'un supercalculateur a changé la balance du pouvoir.
Chez nous, cette expression décrit la " situation dans laquelle un tiers parti peut faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre ". Détenir la balance du pouvoir, selon le Dictionnaire québécois français, c'est " détenir la clé du pouvoir; être en position d'arbitre; occuper une position stratégique; disposer d'une minorité de blocage ". Ainsi, on pourrait dire que le Bloc peut faire basculer l'équilibre du pouvoir (ou des forces) à la Chambre des communes.
On peut donc employer d'autres expressions. Mais je doute que les journalistes renoncent à la balance du pouvoir, imagée, commode et fort répandue.
Premier ministre désigné
" Comme vos confrères anglophones, nous reproche un lecteur, vous utilisez l'expression premier ministre désigné. "
L'emploi de l'adjectif désigné est tout à fait juste pour décrire un personnage public qui a été choisi pour occuper une fonction mais qui n'a pas encore été investi. Il ne faut pas voir ici un calque de l'anglais. L'anglicisme aurait plutôt consisté à employer élu (elect).
Stephen Harper est le premier ministre désigné (et non élu).
Égaler ou égaliser?
Voici la phrase:
" Quelques instants plus tard, Jan Bulis égalait la marque. "
J'ai l'impression que le verbeégalerest confondu avecégaliser. C'est une faute courante qui vaudrait la peine d'être expliquée.
D'autre part, le motmarqueest-il adéquat?
Aurel Ramat
Les verbes égaler et égaliser ne sont pas synonymes. Égaler signifie " être égal à ". Égaliser signifie " rendre égal ". On l'emploie avec justesse pour désigner le " fait d'obtenir le même nombre de buts ou de points que l'adversaire ".
Quelques instants plus tard, Jan Bulis égalisait la marque. Il égalait du même coup l'exploit réalisé par Brian Savage en 1998.
Quant au terme marque, il désigne correctement le " décompte des points au cours d'une partie, d'un match ". Marque est synonyme de score, mot emprunté à l'anglais à la fin du XIXe siècle et aujourd'hui passé dans l'usage.
Sans avertissement
La semaine dernière, j'ai écrit que la locution sans avertissement était vraisemblablement un calque de without warning. En français, ajoutais-je, on dirait mieux subitement, à l'improviste.
" Pourquoi un calque de l'anglais est-il automatiquement jugé comme une intrusion néfaste dans notre langue? demande Françoise Labelle. La construction sans avertissement n'est pas fautive; pourquoi alors vouloir à tout prix la remplacer par un autre terme, sous le seul prétexte que les anglophones l'utilisent et qu'il ne faut pas, au grand jamais, les copier? Je comprends qu'on le fasse quand le calque n'est pas correct du point de vue structural (par exemple faire du sens). Mais que peut-on reprocher à sans avertissement? Est-ce qu'on ne fait pas montre, parfois, de trop de purisme? "
Ce sont là de bonnes questions. En soi, il n'y a rien de condamnable à emprunter des tournures, des sens ou des images à d'autres langues. Toutes les langues le font. Mais ces emprunts ne sont pas sans risque. Ainsi dans notre langue, un avertissement est un " appel à l'attention, à la prudence ". On ne traduirait pas, par exemple, they arrived without warning par ils sont arrivés sans avertissement. On dirait mieux ils sont arrivés à l'improviste (ou sans prévenir).
Lancer sans avertissement veut dire " lancer sans faire appel à la vigilance du gardien de but ". Ça n'a aucun sens en français.
Petits pièges
Voici les pièges de la semaine dernière:
1) Ils ont lancé des campagnes publicitaires multimédia.
2) Tu pars en voyage. Profite-en bien!-
Employé comme adjectif, multimédia s'accorde en nombre.-
Devant en, il faut mettre un s aux impératifs qui se terminent par e à la deuxième personne du singulier.
Il aurait donc fallu écrire:
1) Ils ont lancé des campagnes publicitaires multimédias.
2) Tu pars en voyage. Profites-en bien!
Les phrases suivantes comprennent au moins une faute. Quelles sont-elles?
1) Il opère son commerce depuis 10 ans, sur Saint-Denis.
2) Les jumeaux de ma voisine sont identiques.
Les réponses dimanche prochain.
Paul Roux est l'auteur duLexique des difficultés du français dans les médias.
Il anime le blogue desAmoureux du français, du lundi au vendredi, à cyberpresse.ca/amoureux.