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http://www.rfi.fr/actufr/articles/075/article_42547.asp
La France face à ses musulmans : « un vide politique dangereux »
Encourager les jeunes à participer à la vie politique de la France : un moyen d'éviter le «clientélisme religieux», selon le rapport de l'ONG International crisis group.
Encourager les jeunes à participer à la vie politique de la France : un moyen d'éviter le «clientélisme religieux», selon le rapport de l'ONG International crisis group.
Le dernier rapport de l’International crisis group (ICG) -une organisation non-gouvernementale indépendante-, intitulé «La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation», est le premier d’une série consacrée à l'islamisme en Europe. La mission de l’ICG est, globalement, de concevoir des analyses de terrain et de proposer un plaidoyer de haut niveau pour prévoir et résoudre des conflits : en l’occurrence, l’ICG a porté ses interrogations sur les racines des violences qui ont secoué l'hexagone. Le rapport retrace l’échec des diverses tentatives d’organisation politique des populations issues de l’immigration musulmane, et met en avant l’absence de relais politiques laïques efficaces.
Crise des banlieues, arrestations en vague d’islamistes, crispations identitaires : de facto, le malaise est là.Y aurait-il un radicalisme islamiste ? Et si oui, comment le résoudre ? Après avoir rempli la première de ses missions, qui est de faire -en toute indépendance- une analyse de terrain, L’International crisis group (ICG) a publié dans un rapport, le constat d’un malaise de la France face à ses musulmans, et a fait une analyse de la situation. A contre-courant des idées reçues, le rapport rejette le caractère religieux des violences qui ont secoué les banlieues. Il met plutôt en avant l’échec de plusieurs tentatives d’organisation politique des populations issues de l’immigration musulmane moyennant quoi « la participation politique des populations issues de l’immigration musulmane est en panne », déclare Robert Malley, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord du Crisis group, et que cela crée, ajoute-il, « un vide politique dangereux (…) surtout au sein de la jeunesse désoeuvrée des banlieues ».
D’un côté le rapport souligne l’échec du mouvement beur dans les années 80, la « neutralisation » des mouvements associatifs de jeunes musulmans proches des Frères musulmans qui tiennent « un discours toujours plus orienté vers les classes moyennes et éduquées », et de l’autre il constate une montée du salafisme jihadiste qui « n’a ni structures, ni prédicateurs nationaux et ne s’inscrit pas dans une stratégie communautariste. (…) Le repli du salafisme se fait donc moins sur la communauté que sur l’individu, au mieux sur la bande, repensée comme un réseau de « purs » structuré autour de la mosquée de quartier et de la boucherie halal, du snack ou de la boutique de téléphonie mobile tenue par les frères salafistes ». A partir de là, conclut le rapport « la radicalisation est une expérience avant tout politique, qui peut trouver une formalisation théologique, mais celle-ci n’intervient qu’a posteriori. Elle sert rarement de déclencheur ».
« être libre, c’est participer : pour que nos voix comptent, fédérons-nous ! »
« Ethnicisation de l’espace urbain » et vide politique de la population ghettoïsée font mauvais ménage, dénonce encore le rapport. Conditions sociales précaires tant au niveau du travail et du logement, discrimination sociale, pratiques répressives dans les cités ou les lycées classés en zone prioritaire d’éducation sont autant de facteurs favorables à « la tentation radicale » et à la « dynamique émeutière ». Patrick Haenni, consultant auprès du Crisis group, considère donc, dans un interview donné au Monde, qu’en conséquence « la réponse doit se positionner dans le champ politique ». Pour éviter le « clientélisme religieux », le rapport de l’ICG prône la nécessité de dynamiser le tissu associatif et de mettre en place des relais politiques laïques efficaces susceptibles de restaurer le lien social. Sur son site, l’ICG dresse une liste de recommandations au gouvernement.
En mettant en avant les carences de la participation à la vie politique, ce rapport (publié en mars 2006) confirme en quelque sorte la légitimité du mouvement spontané initié par un collectif de personnalités du monde du spectacle -baptisé Devoir de réagir- qui scandait haut et fort, en décembre 2005 : « être libre, c’est participer : pour que nos voix comptent, fédérons-nous ! ». Dans le contexte des vagues de violences qui venaient de secouer les banlieues, le collectif incitait les jeunes de banlieue -une population largement issue de l’immigration- à s’inscrire sur les listes électorales : le but était de leur faire entendre que le mécontentement peut s’exprimer dans les urnes, en prenant part à la vie de la Cité, c’est-à-dire par la sanction politique, et donc autrement que par la violence en brûlant des voitures ou par la confrontation brutale avec les forces de police.
par Dominique Raizon