Fort-de-France, le 14 février 2006
Monsieur le Président,
Vous arrivez dans notre pays trois semaines après la
décision du Président de la République, Jacques
Chirac, de saisir le Conseil Constitutionnel en vue de
l'abrogation de l'article 4 de la loi de la honte qui
soulignait le rôle positif de la colonisation
outre-mer.
L'abrogation est effective, dans notre pays, les
esprits se sont apaisés.
L'abrogation est effective avec en prime la date du 10
mai retenue pour se « souvenir des esclaves et
commémorer l'abolition de l'esclavage".
La mobilisation de nos populations a donc porté ses
fruits. C'est pour suivre l'exemple de celles et ceux
qui ont choisi de ne pas accepter l'inacceptable que
nous, organisations syndicales, vous interpellons sur
la situation de RFO et singulièrement sur celle de la
station Martinique.
Si l'article 4 de la loi de la honte a été abrogé,
elle n'a en rien changé l'esprit colonial qui a
toujours guidé les dirigeants successifs de notre
société.
Esprit colonial, quand les budgets ne nous permettent
pas d'offrir à nos populations une radio et une
télévision respectueuses de notre culture, de notre
langue, de notre réalité.
Esprit colonial, quand notre langue est quasi absente
de nos antepnes, où elle apparaît dans un jeu
méprisant de ou «wè'y ou pa wè'y»!
Jamais des moyens n'ont été donnés pour offrir aux
Martiniquais un joumal et des émissions en créole de
qualité.
Dans notre pays où une famille sur quatre est touchée
par le problème de la toxicomanie, quelle est la place
réservée à notre jeunesse dans nos programmes?
Esprit colonial, quand les archives radio et télé de
RFO, une partie non négligeable de notre mémoire, ne
sont pas préservées, stockées depuis des années dans
un container exposé aux caprices du temps.
Nous ne voulons plus nous taire, nous avons lu Aimé
Césaire qui nous interpelle « Quand cesseras-tu d'être
le jouet sombre au carnaval des autres» ?
Esprit colonial, quand pour résoudre le problème
français des minorités visibles, France Ô est inventée
pour éviter la visibilité des français d'ailleurs sur
les chaînes nationales françaises.
Esprit colonial, quand pour financer la télévision du
ghetto, France 0, les budgets des stations d'outre-mer
sont ponctionnés, ceci au détriment de la production
locale.
Esprit colonial, quand la mobilité, cet autre leurre,
ne concerne que les déplacements du Nord vers le Sud.
La France dans sa grande générosité, a rassemblé ses
anciennes colonies dans des « DOM-TOM» . Mais les
femmes et hommes de ces « DOM-TOM» à RFO, ne peuvent
se rencontrer, échanger, dans le cadre de la mobilité
réservée en priorité à la « Métropole».
Esprit colonial, quand dans nos pays où le chômage
avoisine les 30% la précarité touche tant de nosjeunes
collègues à RFO ?
Des collègues qui à cause de la couleur de leur peau
et de leur accent n'ont d'autres choix que de
travailler au pays.
Nous avons bien compris qu'avec Audrey PULVAR, le
quota de couleur sur les chaînes publiques est
atteint.
Pour quelques doux rêveurs, l'intégration dans France
Télévisions était porteuse d'espoir.
Force est de constater qu'un an plus tard, le groupe
nous considère comme un boulet à traîner. « Les
danseuses de la France» ne sont pas loin!
Monsieur le Président, au moment où vous vous apprêtez
à aller serrer la main d'Aimé Césaire, le nègre
fondamental, gardien de notre dignité, de notre
résistance, (et pour cela interdit de nos antennes
jusqu'à l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand),
nous vous souhaitons la bienvenue et vous invitons à
regarder notre pays tel qu'il est.
Un pays fort de femmes et d'hommes qui ont bâti une
Martinique libérée de l'esclavage depuis seulement 158
ans. Dans un brassage culturel nourri de tolérance,
ces femmes et hommes de Martinique ne quémandent pas
quelques sous de la France. Debout, la population de
Martinique exige le respect.
Respect de son identité, respect de sa culture,
respect de son histoire. Télé et Radio Martinique ne
peuvent s'inscrire que dans cette exigence.
Monsieur le Président, vous comprendrez donc que nos
organisations syndicales seront vigilantes quant aux
réponses que vous apporterez lors de ce premier voyage
en terre martiniquaise.
Signataires
Lisa David SNJ/CGT
Linda Gauthier Nodin SNJ
Géraud Ambroisine SNFORT
Laurent Eugénie SGJFO
Femand Murté CFDT
Max Rémy SNRT/CGT