Le Devoir
Perspectives, samedi 30 mars 2002, p. B3
Des milliers d'enfants africains condamnés à l'esclavage pour cueillir le cacao: Le chocolat de la honte
Pour Pâques, les consommateurs sont appelés à choisir le chocolat équitable
Paré, Isabelle
Pour certains enfants, le chocolat a un goût amer. Alors qu'on s'apprête à gaver nos bambins de lapins et d'oeufs chocolatés, des milliers d'enfants d'Afrique de l'Ouest sont l'objet d'un trafic d'esclaves destiné à assurer une main-d'oeuvre bon marché aux producteurs de cacao. Un trafic ignoble que les consommateurs de chocolat, à l'approche de Pâques, sont appelés à condamner en recherchant l'étiquette "chocolat équitable".
Selon l'UNICEF, plus de 200 000 enfants d'Afrique de l'Ouest serviraient d'esclaves dans divers secteurs de l'agriculture, notamment dans les plantations de cacao. Très souvent enlevés ou trompés par des trafiquants, ces enfants, âgés de 9 à 16 ans, sont emmenés dans des pays voisins pour y travailler dans de petites fermes dans des conditions inhumaines. Ils y sont souvent malmenés ou battus.
"Les trafiquants d'enfants les vendent pour 45 $ aux exploitants des fermes de cacaoyers et les enfants ne sont pas payés tant qu'ils n'ont pas remboursé cette dette aux producteurs. Leurs conditions de travail sont déplorables, leur nourriture, inadéquate. Ils sont enfermés la nuit pour éviter les fuites et certains sont battus", affirme Martine Bernier, chargée de programme en Afrique de l'Ouest pour L'Aide à l'enfance, l'organisme qui fait campagne pour s'assurer que les droits des enfants soient respectés par l'industrie chocolatière.
Dans un centre de transition créé par L'Aide à l'enfance au Mali, où 200 enfants victimes de trafic ont été rapatriés, certains ont même dit avoir été fouettés, alors que d'autres qui cherchaient à s'évader ont eu les pieds tailladés avec des lames de rasoir.
Source difficile à identifier
À l'heure actuelle, les pays d'Afrique de l'Ouest, notamment le Mali et la Côte-d'Ivoire, produisent 70 % du cacao vendu dans le monde. Les produits sont toutefois souvent vendus en vrac à divers importateurs, puis aux manufacturiers de chocolat, sans que leur provenance soit indiquée.
"On peut supposer que chaque tablette de chocolat contient du cacao vendu en vrac provenant de pays comme la Côte-d'Ivoire, dont les fermes ont recours au trafic forcé d'enfants. Rien ne permet actuellement d'identifier clairement la source du cacao utilisé dans les produits du chocolat", affirme Mme Bernier.
Selon cette spécialiste, c'est la chute de moitié du prix du cacao sur le marché mondial qui a favorisé, ces dernières années, l'éclosion de ce trafic humain.
Il y a quatre ans, deux sénateurs américains ont fait campagne pour forcer l'industrie chocolatière de leur pays à bannir le cacao relié au trafic et à l'esclavage d'enfants. Pour éviter une loi trop sévère, l'industrie s'est alors engagée à s'autoréglementer en appliquant, d'ici 2005, un protocole sur le cacao qui prévoit l'étiquetage obligatoire de la provenance de ces produits.
Protocole en vue
Pour l'instant, des groupes comme L'Aide à l'enfance continuent de faire campagne pour que le Canada et d'autres pays participent à la mise en oeuvre du protocole sur le cacao et pour que les fabricants de chocolat s'assurent que le cacao est produit tout en respectant les droits des enfants.
Le commun des mortels, dont le pouvoir d'achat a une grande influence sur les décisions des fabricants, est appelé à faire pression en choisissant des produits plus chers portant l'étiquette "chocolat équitable". Ce logo certifie que le cacao et le sucre qui ont servi à la préparation du chocolat n'ont pas été récoltés par des enfants ou des adultes soumis à des conditions d'esclavage.
"Notre but n'est pas de dire aux gens de ne pas acheter de chocolat et de faire tomber l'économie de ces pays, mais simplement d'utiliser le pouvoir des consommateurs pour que les fabricants de chocolat prennent leur responsabilité corporative", insiste Mme Bernier.
Une seule compagnie indépendante, la compagnie Transfair, s'assure à l'heure actuelle de la certification du commerce équitable pour des produits comme le chocolat, le thé, le café et le sucre au Canada. Selon Martine Bernier, d'autres protocoles, notamment celui mis en oeuvre pour encadrer le commerce des diamants en Afrique, a reçu un appui important du Canada et ont permis par le passé de changer les conditions de travail dans les mines et de mettre fin à l'exploitation des enfants.
Illustration(s) :
Alors qu'on s'apprête à gaver nos bambins de lapins et d'oeufs chocolatés, des milliers d'enfants d'Afrique de l'Ouest sont l'objet d'un trafic d'esclaves destiné à assurer une main-d'oeuvre bon marché aux producteurs de cacao.