Daniel Seidemann, un avocat israélien qui se bat contre la
municipalité de Jérusalem sur le front du logement et de la
planification urbaine, dit que dans le passé, il ne supportait pas lui
non plus le parallèle avec l'apartheid sud-africain, mais qu'il a de
plus en plus de mal à rejeter cette notion aujourd'hui. « Au niveau
des tripes, disons que ma réaction première était de penser `Ah non !
Pas nous ! Mon Dieu, pas nous !' Normal, dès lors que l'apartheid
était assis sur une idéologie raciale, qui structurait les réalités
sociales, politiques, économiques. Pour un Juif, reconnaître la
prédominance d'une vision racialiste pour dominer les Palestiniens est
dur à avaler », dit-il. « Mais malheureusement, l'absence d'une
idéologie raciale ne suffit pas à vous protéger, car les réalités qui
ont émergé rappellent clairement, par certains côtés, des aspects du
régime de l'apartheid ».
On peut alors se demander ce qui est arrivé pour que cette comparaison
d'Israël avec l'apartheid puisse être envisagée. Israël est-il victime
des circonstances, et contraint de pratiquer l'oppression par la
nécessité de sa propre survie ? Ou alors, la soif de terres est-elle
un ingrédient si puissant du projet sioniste que la domination en a
été la conséquence inévitable ?
Krausz a travaillé pendant quelques années en Israël, peu après la
naissance de l'Etat. « J'ai compris le conflit, en me rendant compte
que j'essayais de prendre la terre sur laquelle les Palestiniens
vivaient depuis des siècles. J'ai compris que la guerre d'indépendance
de 1948 ne se satisfaisait pas d'une explication manichéenne :
beaucoup d'Arabes sont partis, non pas volontairement, mais parce
qu'on les y a forcés. Comment se seraient-ils comportés s'il n'y avait
pas eu la guerre, je ne sais pas », dit-il.
« Je sais bien qu'à un endroit où il m'est arrivé de forer à la
recherche de pétrole, j'étais sur l'emplacement de ce qui avait été un
village arabe. Etant d'origine sud-africaine, j'avais l'habitude de
rendre visite à des amis et parents, un cousin notamment, qui avaient
créé un kibboutz avec des immigrants d'Afrique du Sud. Je me promenais
ici et là dans cette région, et je trouvai, les uns après les autres,
ces villages arabes abandonnés, dont on avait fait sauter les maisons
à l'explosif ».
Etats de peur
En Israël, au moins jusqu'à la fin des années 1970, la menace que
faisaient peser ses voisins arabes était bien réelle. Mais la peur
jouait elle aussi son rôle dans le comportement des blancs d'Afrique
du Sud, qui observaient avec une horreur croissante, puis avec
terreur, le déclin impérialiste sur le continent, et l'émergence de
gouvernements noirs partout en Afrique. L'Afrique du Sud fit bon usage
de tous ces récits de femmes blanches violées dans le Congo
nouvellement indépendant, puis des blancs fuyant en masse l'Angola, le
Mozambique ou la Rhodésie du Sud (aujourd'hui, le Zimbabwe, NDT) ; le
pouvoir de l'apartheid s'en servir pour entretenir la peur chez ses
citoyens blancs, et accréditer auprès d'eux des mesures toujours plus
répressives contre le peuple noir. Quoi qu'il en soit, cette peur
existait réellement. Les Sud-africains blancs, comme les Israéliens,
se convainquirent que leur existence même était en jeu.
Les critiques de l'Etat d'Israël disent volontiers que plus la menace
sur l'existence du pays recula, et plus le pays se mit à ressembler au
modèle d'apartheid, notamment pour ce qui concerne l'appropriation de
terres et la législation sur les droits de résidence, et que les
ressemblances ont finalement été plus fortes que les différences entre
les deux pays. Liel, l'ancien ambassadeur d'Israël en Afrique du Sud,
dit qu'il n'y eut jamais d'intention en ce sens.
« Les problèmes existentiels d'Israël étaient réels. On a toujours
honte des injustices commises. Nous avons toujours essayé de nous
conduire de manière démocratique. Bien sûr, au niveau individuel, il y
avait beaucoup de discrimination, beaucoup, beaucoup. Au niveau
gouvernemental, aussi. Mais nos actions n'étaient pas construites sur
le racisme. Elles l'étaient principalement sur des considérations
sécuritaires », dit-il.
Goldreich n'est pas d'accord avec lui. « C'est une distorsion
grossière des faits. Liel me surprend. En 1967, pendant la guerre des
Six Jours, dans l'euphorie générale, le gouvernement israélien -de
manière intentionnelle, pas par la grâce de Dieu ni par accident -
occupa la Cisjordanie et la bande de Gaza, avec leurs populations
palestiniennes désormais captives, dans le but évident d'étendre le
territoire du pays et d'en repousser les frontières », répond-il.
« Moi-même, avec d'autres, nous nous engageâmes politiquement après la
guerre des Six Jours ; nous cherchâmes désespérement à convaincre
notre public qu'un accord de paix entre Israël et les Palestiniens
serait bien meilleur, pour la sécurité, que l'occupation de
territoires et les installations de colons. Mais le gouvernement
aimait mieux les territoires que la sécurité .
« Je suis convaincu que dans l'esprit de nombreux dirigeants
gouvernementaux, la bonne chose à faire était de se débarrasser des
Arabes.
Mais, comme les Israéliens devaient le découvrir, un tel système
rencontre forcément la résistance de ceux à qui on veut l'imposer.
L'apartheid s'écroula parce que la société sud-africaine était
épuisée, mais aussi parce que le mythe de victimes que les blancs
s'étaient forgé finit par s'épuiser également. On n'en est pas là en
Israël. Beaucoup d'Israéliens se vivent encore en victimes de
l'occupation.
Pour Seidemann, le plus important, ce n'est pas de voir comment le
système d'apartheid fonctionnait, mais plutôt comment il s'est
désintégré. « Cela ne pouvait pas marcher. L'apartheid exigeait une
telle mobilisation d'énergie de la part de l'Afrique du Sud, que ce
fut l'une des raisons, au-delà des sanctions économiques et des
pressions internationales, qui amenèrent le gouvernement De Klerk à
juger que ce n'était plus tenable. Et cela va arriver en Israël »,
selon lui.
Mais le conflit peut aussi empirer, et nous amener à évoquer des
parallèles encore plus choquants que celui établi avec l'apartheid
sud-africain.
Arnon Soffer a travaillé plusieurs années comme conseiller du
gouvernement chargé de la « menace démographique » posée par les
Arabes. Professeur de géographie à l'Université de Haifa, Soffer fait
un pronostic pessimiste sur la situation dans la bande de Gaza, une
génération après le retrait israélien.
« Quand vous aurez 2,5 millions de gens vivant dans ce territoire
fermé, ce sera une catastrophe humanitaire. Ces gens deviendront des
animaux encore plus féroces qu'aujourd'hui, avec le renfort de la
folie du fondamentalisme islamique. La pression aux frontières
deviendra horrible. Il y aura une guerre terrible. Alors, si nous
voulons rester en vie, il nous faudra tuer, tuer et encore tuer. Tuer
toute la journée, tous les jours », déclare cet universitaire dans le
Jerusalem Post.
« Si nous ne tuons pas, nous cesserons d'exister. La seule chose qui
me préoccupe, c'est comment on fera pour que les jeunes et les hommes
qu'on va envoyer pour massacrer seront capables de revenir à la maison
et de rester des êtres humains normaux ». Fin Traduction
CAPJPO-Europalestine
http://www.europalestine.com/article.php3?id_article=2006