Bamako dénonce l'expo coloniale
Contre-sommet très critique pour la politique française en Afrique.
par Thomas HOFNUNG
QUOTIDIEN : vendredi 02 décembre 2005
Bamako envoyé spécial
Q ui dit sommet dit contre-sommet. La XXIIIe réunion Afrique-France
organisée dans la capitale malienne en présence de Jacques Chirac et
d'une trentaine de chefs d'Etat et de gouvernement du continent a
été précédée par celle des détracteurs de la politique française en
Afrique. Une première pour un collectif d'associations africaines et
françaises : en 1994, en 1998 et en 2003, des «contre-sommets»
avaient bien été organisés, mais dans l'Hexagone. «Ce n'est pas un
hasard si nous avons tenu cette réunion à Bamako, confie l'un des
participants. Le Mali est l'une des rares démocraties dignes de ce
nom sur le continent.»
Péjoratif. Durant deux jours, à la Maison des jeunes de Bamako, des
intervenants tchadiens, maliens, burkinabé, sénégalais et français
ont dénoncé, in situ, des turpitudes supposées ou réelles de
la «Françafrique». Un néologisme inventé dans les années 70 par
l'ancien président ivoirien Houphouët-Boigny pour décrire les liens
étroits entre Paris et ses ex-colonies, puis rendu aussi célèbre que
péjoratif par François-Xavier Verschave, ex-président de l'ONG
Survie, récemment décédé. Odile Tobner, qui lui a succédé, a dressé
à Bamako un bilan catastrophique de l'action de Paris en
Afrique : «La coopération entre la France et le continent
s'apparente à celle du cavalier et du cheval. Depuis les
indépendances, les gouvernements français successifs ont constamment
cherché à étouffer tout ce qu'il y avait de vigoureux et de
constructif en Afrique.»
A entendre la plupart des participants, la France conserverait
intacte sa «capacité de nuisance». «C'est Paris qui fait et défait
les régimes au Tchad en fonction de ses intérêts du moment», déclare
le président de la Ligue tchadienne des droits de l'homme,
Massalbaye Tenebaye. Un journaliste malien, Mohamed Tabouré, assure
pour sa part que la France n'aurait renoncé en rien à ses
visées «impérialistes». Même les difficultés de l'ex-puissance
coloniale en Côte-d'Ivoire sont balayées d'un revers de
main : «C'est Paris qui a prolongé le mandat de Gbagbo à la tête du
pays pour un an afin de mieux préserver ses intérêts», juge-t-il.
Parmi les détracteurs de la Françafrique, des voix discordantes se
font entendre. «C'est la fin d'une époque : sur le plan économique,
la Banque mondiale et le FMI sont aux manettes, dit Yves Barrère, du
Centre de recherche et d'information sur le développement. La France
n'a plus d'autonomie, mais s'inscrit dans la même logique
néolibérale.»
Résistance. Malgré un public restreint, ce sommet «alternatif et
citoyen» a sans doute atteint ses buts. Portée par des militants
associatifs maliens, la réunion a permis de dénoncer l'existence de
ces sommets entre chefs, une «nouvelle forme d'exposition
coloniale», selon un participant.
Source :
http://www.liberation.fr/page.php?Article=341948