Europe/Afrique : Le
Commerce en panne, la Coopération prise en otage: Réflexions sur la
contribution du Président Wade sur les relations UE/Afrique
Dans une tribune publiée dans la presse sénégalaise le 19 Novembre
dernier et intitulée « Europe-Afrique : La coopération en panne », le
président de la République du Sénégal donne un avis sur les Accords de
Partenariat Economique (APE) entre l'Union Européenne et les pays
africains et propose comme alternative des Accords de Partenariat pour
le Développement (APD). Dans les lignes qui suivent, nous nous
évertuons à donner notre point de vue sur les questions soulevées. Nous
avons pris le parti de nous focaliser exclusivement sur les aspects
juridiques des questions commerciales abordées. Ce faisant, nous
laissons les questions purement économiques de la contribution à la
compétence d'experts mieux outillés dans ce domaine. I. Questions générales soulevées par la proposition
1. L'importance de conclure un accord au plus tard le 31 Décembre 2007. « La Commission Européenne presse les Etats africains de signer, avant le 31 Décembre 2007, de nouveaux APE. »
Le délai du 31 décembre a été déterminé de façon objective. Il met un
terme à la dérogation de Doha qui prolonge légalement le bénéfice des
préférences commerciales. L'octroi de cette dérogation rétablit la
compatibilité des dispositions préférentielles avec les provisions de
l'article XXIV du GATT/OMC. Le problème est que l'UE a laissé perler
l'interprétation de ce délai comme une date fatidique au-delà de
laquelle, tout rapport commercial avec l'Afrique serait légalement
proscrit et exposerait celle-ci à des difficultés économiques
supplémentaires et au risque de se faire attraire au règlement des
différents par d'autres pays membres de l'OMC. C'est une manœuvre
politique de négociations malheureusement perçue par certains
protagonistes comme l'existence d'un money time à optimiser en vue d'un
accord économique salvateur. Il s'agit en réalité d'un délai passif de
rémission qui coïncide au renoncement à une alternative peu crédible en
l'état plutôt qu'un délai actif articulé autour d'une obligation
d'action, quelque soient les méfaits qui en découleraient. Il n'y a
donc aucune obligation, ni pour l'Union Européenne, ni pour les Etats
africains de signer un Accord au 31 Décembre 2007.
2. L'Accord de Cotonou et les préférences commerciales « Ce nouvel instrument de coopération multilatérale (les APE) est censé
prendre le relais des accords de Cotonou qui accordaient aux pays ACP
un régime dérogatoire au principe de libre échange et des préférences
commerciales unilatérales.»
La preuve de l'incompatibilité du
régime de Lomé avec les accords de l'OMC était si manifeste qu'il n'a
pas été difficile pour ses pourfendeurs de le démanteler à travers le
système de règlement des différends de l'OMC. Elle impliquait dès lors
un changement de cap et la mise en place d'un régime de coopération
d'une autre génération qui devait permettre de passer de la coopération
au développement au partenariat économique; de la non-réciprocité à la
réciprocité intégrale. L'Accord de Cotonou, agent annoncé de ce
changement de paradigme, n'a pas réellement permis de changer de cap,
du moins pas dans l'immédiat. L'essentiel des dispositions jugées
illégales par l'Organe de Règlement des Différends de l'OMC y sont
maintenues et laissaient la question de l'incompatibilité entière. Pour
ne pas mettre ce nouveau régime commercial en péril, l'UE et les Etats
ACP ont dû adresser à l'OMC une demande de dérogation à l'effet de
maintenir le régime de Lomé durant la période transitoire allant
jusqu'au 31 décembre 2007. Par pragmatisme, l'Accord de Cotonou
organise lui-même, à travers son article 36.3, les conditions et les
délais de transition devant déboucher sur les futurs APE au 31 décembre
2007. Une telle prévoyance a été prise en compte par la Conférence
ministérielle de l'OMC comme l'une des bases de la dérogation qui a été
octroyée à Doha, en 2001. Celle-ci donne la garantie de son caractère
exceptionnel, limité dans le temps et qui ne menacerait pas l'intégrité
du système commercial. Ce faisant, l'OMC avait opéré un choix
pragmatique. Rejeter la demande de dérogation aurait équivalu à se
retrouver dans la situation manifeste de violation de son ordre
juridique, comme cela avait été le cas avec les accords de Lomé dans le
GATT durant de nombreuses années.
3. A propos d'un possible vide juridique et/ou commercial en cas de non signature d'APE au 31 Décembre 2007. « En l'absence de signature de ces nouveaux accords, ce serait le vide entre l'UE et l'Afrique »
La situation serait très différente selon qu'il s'agit d'un Pays Moins
Avancé (PMA) comme le Sénégal (3.1), ou d'un Pays en voie de
développement comme la Côte d'Ivoire (3.2).
3.1. La situation des PMA non signataires d'APE Elle est régie par l'article 37.9 de l'accord de Cotonou qui engage les
communautés européennes à prendre des mesures en vue d'assurer à
l'ensemble des PMA un accès en franchise de droits pour l'essentiel de
leurs produits, sur le modèle de la dernière Convention de Lomé. Le
principe de discrimination reste donc en vigueur pour eux, mais sur une
base de non réciprocité et d'universalité. La disposition ne concerne
pas que les PMA africains, mais tous les PMA. Cela signifie qu'il
s'agit de préférences basées sur des critères économiques et validées
par l'OMC à travers la reconnaissance expresse de la catégorie des PMA.
Cette logique est entérinée par les communautés européennes à travers
l'Initiative Tout Sauf les Armes (TSA) qui garantit aux PMA un accès en
franchise de droits de douanes pour tous leurs produits, à l'exception
des armes. Le problème de l'alternative aux APE pour les PMA est ainsi
réglé en partie. Ceux-ci auront à faire la comparaison entre les
avantages commerciaux que leur offrent les APE et ce que leur offre
déjà l'Initiative TSA. Ainsi, ils restent quelque part maîtres de leur
régime commercial au terme d'un choix à double tranchant. La signature
d'un APE pourrait ne pas être plus avantageux d'un point de vue
commercial, d'autant plus qu'elle ouvrirait davantage leur marché aux
exportations européennes, mais offre la garantit d'une forme
contractuelle qui protège les droits qui en découlent. En revanche,
l'Initiative TSA, comme toutes préférences commerciales, reste revêtue
du sceau de l'unilatéralité qui lui dénie toute prévisibilité. Cette
option serait celle du Sénégal compte tenu de son statut de PMA. Dans
la situation de l'Afrique de l'ouest, tous les pays seront rangés dans
ce même régistre, à l'exception de la Côte d'Ivoire, du Ghana et du
Nigeria qui sont dans la catégorie des pays en développement.
3.2. Situation des pays en développement africains non signataires d'APE Elle est plus délicate. Au-delà du délai du 31 décembre 2007, ils
retomberont dans le droit commun des préférences commerciales dont
bénéficient déjà l'ensemble des pays en développement. Ce qui serait un
parfait exemple d'érosion brutale des préférences découlant de
l'alignement à un niveau NPF (droit commun) et de la réduction continue
des droits de douane à l'OMC. Aux termes de l'article 37.6 de l'Accord
de Cotonou, la Communauté étudiera toutes les alternatives possibles,
pour les ACP non PMA non signataires d'APE, afin de les pourvoir d'un
nouveau cadre commercial, qui soit équivalent à leur situation
existante et conforme aux règles de l'OMC. La compréhension et
l'interprétation de cette disposition posent problème. Tout cadre
commercial équivalent à la situation courante des ACP non PMA serait
fondée sur les dispositions de la Convention de Lomé IV, prolongée par
la Dérogation de Doha jusqu'au 31 Décembre 2007. Mais, il se trouve que
ce régime courant n'est pas en phase avec l'exigence de conformité aux
règles de l'OMC posée à l'article 37.6 de l'Accord de Cotonou. En fin
de compte, le seul cadre commercial alternatif aux APE que pourrait
offrir la Communauté Européenne serait son Système Général de
Préférences (SGP) qui, bien que conforme aux dispositions de l'OMC à
certains égards, ne permet pas aux pays africains non PMA de conserver
l'existant. L'UE serait alors en faute en privilégiant l'obligation de
conformité à l'OMC sans se soucier de celle de fournir une alternative
au moins équivalente qui serait au niveau des préférences commerciales
antérieures. Le Nigeria, le Ghana et la Côte d'Ivoire sont dans cette
situation. De par le niveau de ses exportations vers l'UE, un pays
comme la Côte d'Ivoire subirait un grand préjudice en perdant ses
préférences commerciales. Alors que les PMA qui dépendent fortement de
leurs exportations vers l'UE pourront préserver les leurs à travers le
régime Tous Sauf les Armes susmentionné. Ces conséquences différenciées
au niveau régional sont une menace sérieuse pour l'intégration en
Afrique. La Côte d'Ivoire reste d'ailleurs tentée par un Accord
individuel avec l'UE qui lui garantirait un accès préférentiel en droit
de douane et sans quotas, au détriment du système tarifaire mis en
place au niveau de la CEDEAO. Au niveau de l'Afrique centrale, le Gabon
est dans les mêmes dispositions de conclure un accord individuel
similaire. Dès lors, la velléité des PMA comme le Sénégal de ne pas
signer d'APE à la fin de l'année, devrait, pour être viable, se montrer
solidaire de la situation des pays en développement de la sous région
et proposer des mesures d'homogénéisation de la politique commerciale
régionale.
3.2. Ma ligne de conduite suggérée : Pas d'APE moins favorables que l'OMC Plus généralement, la ligne de négociation des pays africains devrait
être de ne jamais faire plus de concessions commerciales qu'ils en ont
déjà faites à l'OMC. Si la particularité des Accords commerciaux
régionaux est de permettre l'octroi de concessions dérogatoires au
droit commun de l'OMC, le fait que les futurs APE auront comme cadre un
ACR mixte devrait emmener à considérer les flexibilités accordées par
l'OMC comme des minima standards. Si en fin de compte, les provisions
des futurs APE ne confèrent aux pays ACP que les standards de la Clause
de la Nation la plus favorisée (NPF) ou des dispositions qui seront en
deçà, il n'y a pas d'intérêt pour les pays africains de signer un APE.
Les standards NPF pour les pays en développement sont consignés dans le
SGP européen dont tous les pays africains bénéficient déjà. Celui-ci
serait l'alternative idéale pour les pays africains en développement,
qui y trouveraient la garantie de bénéficier de préférences
commerciales, sans prendre le risque d'exposer leur économie à un
régime concurrentiel intenable dont ils ne maitrisent pas les effets.
Les pays africains sont en réalité intéressés par un partenariat qui
laisse une place importante aux questions de développement et qui offre
un minimum de garantie de protection des secteurs vitaux de leur
économie. Ils ont l'ambition légitime de couver leurs industries
balbutiantes et d'en faire des exportatrices de niveau important. A cet
égard, un éventuel APE serait le lieu idéal de revisiter la règle de la
progressivité des droits, règle au fondement colonial au demeurant.
Comment pourrait on promouvoir le développement des pays africains s'il
leur est subtilement interdit de transformer localement leur produit et
de produire de la valeur ajoutée aux fins d'exportation ? La règle de
la progressivité des droits, qui proportionne le tarif douanier à son
degré de transformation est comme une sanction à toute velléité de mise
en place d'industries locales performantes. Et si les capacités
industrielles restent faibles, la vocation d'un APE devrait être de
prévoir des modalités de coopération pour y faire face.
Ven 14 Déc - 10:33 par mihou