John Mearsheimer et Stephen Walt Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine (Éditions La Découverte).Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaineporte sur un sujet profondément tabou aux Etats-Unis, celui de
l'influence des groupes de pression israéliens sur la politique
étrangère américaine au Proche-Orient et dans les pays arabes. Il est
l'oeuvre de deux éminents universitaires américains: John J.
Mearsheimer, professeur émérite de Sciences Politiques à l'université
de Chicago (auteur entre autres de
The Tragedy of Great Power Politics)
et Stephen M. Walt, directeur des études et professeur émérite de
Relations internationales à la Kennedy School of Government d'Harvard
(auteur lui de
Taming American Power: The Global Response to US Primacy).
Les deux politologues démontrent dans ce livre précis et extrêmement
bien documenté qu'Israël a été le pays au monde qui a le plus bénéficié
de l'aide économique, militaire et diplomatique américaine depuis la
seconde guerre mondiale. L'État hébreu a systématiquement et largement
été favorisé, soutenu et défendu par l'Oncle Sam, même sur des
questions sensibles comme par exemple le développement illégal de
l'arme nucléaire, la colonisation des territoires palestiniens ou la
violation des Droits de l'Homme. De fait, depuis 1972, les États-Unis
ont mis leur veto à 42 résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU
critiquant la politique israélienne, y compris lorsqu'il s'agissait de
crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre, sans compter les
nombreuses autres résolutions affaiblies afin d'éviter la mise en
accusation d'Israël, qui de toutes façons multiplie les infractions au
Droit international sans être jamais inquiété. Et chaque année, Israël,
pays industriel pourtant désormais aussi riche que l'Espagne, continue
de recevoir à lui seul plus d'un cinquième de l'aide économique
étrangère des États-Unis (soit environ 500 dollars par an et par
Israélien), à laquelle il faut ajouter une très importante fourniture
d'armes et d'assistance militaire, le Pentagone et Tsahal collaborant
étroitement. Plus radicalement, les auteurs affirment entre autres que
George W. Bush est entré en guerre contre l'Irak de Saddam Hussein à la
demande d'Ariel Sharon et de ses affidés au Pentagone tels Paul
Wolfowitz, même si ce n'est pas l'unique facteur, et qu'Al-Qaïda est à
l'origine une émanation conjointe des services secrets
israélo-américains. De même pour les conflits comme la récente guerre
au Liban ou les menaces de guerre nucléaire avec l'Iran qui, sous
couvert de lutte contre le terrorisme islamique, sont les résultats de
la désastreuse politique commune entre israéliens et américains. Enfin
les deux chercheurs n'hésitent pas à dénoncer pour leur partialité en
faveur d'Israël les grands médias américains, qu'ils soient journaux ou
télévisions de tous bords politiques.
Adoptant un point de vue résolument réaliste, Stephen Walt et John
Mearsheimer estiment que l'Etat juif est plus un fardeau qu'un atout
stratégique car la protection zélée de Washington, qui va jusqu'à
compromettre la sécurité de l'ensemble des pays occidentaux, est
extrêment dangereuse, politiquement contre-productive, et
stratégiquement néfaste tout autant à l'intérêt national américain qu'à
celui d'Israël et à la paix dans le monde. Entre parenthèses, il serait
intéressant de connaître l'avis du très atlantiste et très
pro-israélien Nicolas Sarkozy, nouveau "caniche" européen de George W.
Bush, et de son ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, qui
viennent tout juste d'aligner sans aucun complexe la politique
étrangère de la France précisément sur celle des Etats-Unis.
Le soutien indéfectible et irraisonné des États-Unis à Israël ne peut
s'expliquer ni par des intérêts stratégiques communs ni par des
impératifs moraux, estiment les deux auteurs. Arguments, chiffres et
documents incontestables à l'appui, ils démontrent clairement qu'un
puissant lobby pro-israélien -- représenté notamment par l'
America Israel Public Affairs Committee (
AIPAC,
100.000 membres actifs), quelques autres organisations juives de droite
et d'influents cercles de réflexion comme entre autres la
Brooking Institution-- exerce une influence considérable dans tous les secteurs, de
l'administration aux médias en passant par l'université, et travaille
activement à l'orientation de la politique étrangère américaine. Ce
lobby est soutenu par les nombreux néoconservateurs et chrétiens
évangéliques fondamentalistes -- tels ceux de
Chrétiens Unis pour Israël(pour qui la "renaissance" d'Israël s'inscrit dans un dessein biblique)
-- tous fervents sionistes largement représentés dans l'administration
Bush. Mearsheimer et Walt estiment
in fine que, s'il n'en
allait de la sacro-sainte sécurité de la Jérusalem juive, l'Amérique de
George W. Bush ne serait aujourd'hui pas autant exposée aux menaces
terroristes venant de Syrie, d'Irak ou d'Iran. "Israël n'a pas le poids
stratégique que les États-Unis mettent en avant. Israël a pu avoir un
poids stratégique pendant la guerre froide, mais il est devenu un
handicap grandissant maintenant que celle-ci est terminée",
écrivent-ils, ajoutant que "Le soutien inconditionnel à Israël a
renforcé l'antiaméricanisme dans le monde, a contribué à alimenter le
problème de terrorisme pour les États-Unis, et a affaibli les liens
avec des alliés en Europe, au Proche-Orient et en Asie". En conclusion,
ils prônent un changement radical de politique envers Israël.
La thèse de Stephen Walt et John Mearsheimer ne présente guère
d'éléments nouveaux pour les observateurs de la politique étrangère
américaine, la réalité des chiffres et des actes étant difficile à
nier. Elle n'a cependant pas échappé à une violente vague de réactions
hostiles et de commentaires haineux dans les médias, sans parler des
"punitions" (Stephen Walt a par exemple été "démissionné" de son poste
de doyen). La polémique tient sans doute au fait qu'il ne s'agit pas
d'un simple pamphlet anti-israélien mais d'un très sérieux essai
politique rédigé par des intellectuels américains réputés et de plus
responsables d'études sur ces questions dans des universités
prestigieuses. L'article à l'origine du livre, prévu initialement pour
être publié par la revue américaine
Atlantic Monthlyqui l'avait commandé en 2002, a été refusé par toutes les revues
américaines lorsqu'elles ont pris connaissance du propos. Il a pu être
publié quelques jours en mars 2006 sur le site web de la Fac de Droit
d'Harvard mais a été précipitamment retiré sous la pression des
donateurs et sponsors de l'université. C'est la
London Review of Books,
vénérable revue littéraire et intellectuelle britannique lue par
l'intelligentsia libérale éclairée, qui a finalement eu le courage de
publier l'article en version abrégée au printemps 2006, provoquant un
énorme tollé. Pas un éditorialiste américain, du
Los Angeles Times au
Washington Post en passant par le
New York Times ou
The New Republic,
sans parler du virulent Daniel Pipes qui diffuse dans tous les médias
néo-conservateurs sa propagande sioniste, qui n'ait pris position, le
plus souvent pour condamner l'essai de façon méprisante et accuser les
deux auteurs d'antisémitisme quant ce n'est pas de pure et simple
démence. Certains ont été jusqu'à parler d'un nouveau
Protocole des sages de Sion,
en référence au célèbre faux antisémite. La plupart des commentaires de
la presse ne portaient généralement pas sur les questions soulevées par
l'article mais sur les "intentions" de Stephen Walt et John
Mearsheimer. Globalement, le ton de la presse a été celui donné par
Eliot Cohen dans le
Washington Post: "Si, par antisémitisme, on
entend des croyances hostiles irrationnelles et obsessionnelles sur les
Juifs; si on les accuse de manque de loyauté, de subversion et de
trahison, d'avoir des pouvoirs occultes et de participer à des
tractations secrètes pour manipuler les institutions et les autorités
gouvernementales; si quelqu'un liste systématiquement tout ce qu'il y a
d'injuste, de laid et de faux chez les Juifs pris individuellement ou
collectivement et en même temps exclut systématiquement toute
information à leur décharge, alors oui, cet article est antisémite". Le
mois dernier encore, alors qu'ils devaient parler devant le
Chicago Global Affairs Council,
la réunion avec Walt et Mearsheimer a été annulée au dernier moment
pour "protéger l'institution". Certains critiques courageux comme David
Remnick dans
The New Yorker ont toutefois jugé qu'il n'y avait
pas lieu de crier à l'anti-sémitisme et qu'un débat sur le sujet était
nécessaire, même s'il est très improbable qu'un tel débat ait lieu
pendant l'actuelle campagne pour l'élection présidentielle américaine.
En brisant le tabou sur l'alliance israélo-américaine, les deux
intellectuels ont pris le risque de voir briser leur carrière et leur
réputation par les groupes de pression qu'ils dénoncent. Ils déplorent
l'impossibilité de débattre des relations israélo-américaines, un
aspect pourtant central des relations extérieures de la première
puissance mondiale, sans se voir systématiquement affublé d'une
casquette d'antisémite ou de juif renégat. "Nous ne développons pas une
position extrémiste. Notre livre ne met pas en question le droit
d'Israël à exister et ne dépeint pas les groupes pro-israéliens comme
faisant partie d'une espèce de conspiration contrôlant la politique
étrangère des Etats-Unis. Au contraire, il décrit ces groupes et ces
individus -- des juifs et des non-juifs -- comme un groupe d'intérêt
dont les activités ne sont pas très différentes du lobby des armes, du
lobby agricole ou d'autres lobbies ethniques", se défendent-ils.
Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine de
John Mearsheimer et Stephen Walt est publié simultanément par les
éditions Farrar Strauss & Giroux (États-Unis), Campus (Allemagne),
Kodansha (Japon), Atlas (Hollande), Penguin (Royaume-Uni), Mondadori
(Italie) et La Découverte (France).
Copyright © La République des Lettres, mardi 04 septembre 2007
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