Martinique et Guadeloupe
Lors de l'arrivée de Juifs du Brésil hollandais à la Martinique et à la
Guadeloupe, le Père du Tertre nous raconte :
«... un navire de 1 400 tonneaux fit voile vers nos isles et aborda à la
Martinique (1654). Les chefs vinrent faire la révérence à M. du Parquet et le
supplièrent en même temps d'agréer qu'ils habitassent dans son isle, aux mesmes
conditions et redevances que les habitants François, M. du Parquet y estant tout
disposé, mais les RRPP Jésuites lui ayant remonstré qu'il n'y avait rien de plus
contraire aux intentions du Roi, il se résolut avec bien de la peine de le
refuser...»27
à la Guadeloupe : «... M. Hoüel les ayant fort bien reçus, leur accorda leur
demande avec beaucoup de joie. Deux autres grands navires vinrent mouiller la
nuit suivante... Le même jour, deux autres grands navires abordèrent.»28
et à la Martinique : «... Peu de temps après, un grand navire arriva (du Brésil)
rempli de Juifs, le tout faisant 300. M. le Parquet reçut ceux-cy à bras ouverts
!»29
C'est de cette manière que la production de sucre remplaça celle du tabac. En
1661, il y avait 71 moulins à sucre à la Guadeloupe, et un peu moins à la
Martinique. En 1671, on comptait à la Martinique 111 moulins avec 6 582
ouvriers, et en 1675, il y avait 172 moulins.30 La présence juive prend fin avec
la signature par Louis XIV du fameux «Code Noir», dont le premier paragraphe
stipule :
«... Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos isles tous les Juifs
qui y ont établi leur résidence, donc d'en sortir dans trois mois... à peine de
confiscation de corps et de biens.»31
Les Juifs sont donc partis pour l'île de Curaçao, et l'activité sucrière est
passée aux mains des Français.
Vers la fin du XVIIIe siècle, les Juifs ont concentré leurs efforts sur le
commerce du sucre, et non sur sa production. Citons pour exemple l'île
hollandaise de Saint-Eustache - dont la majorité des habitants étaient des Juifs
et qui, en 1779, a exporté 12 millions de kilogrammes de sucre, bien qu'elle en
ait produit seulement 300 000 kilos - le restant venant des autres pays
d'Amérique.32 Les Juifs séfarades aiment les activités relatives au sucre.
Aujourd'hui, les industries sucrières à Panama et au Salvador sont aux mains des
Juifs séfarades. Au début du XXe siècle, les Juifs séfarades établis à Cuba
étaient actifs dans le domaine du sucre. La compagnie française «Sucre et
Denrées» appartient d'ailleurs à des Juifs séfarades, mais c'est une autre
histoire. Toujours est-il qu'Israël importe son sucre.
Mordechaï Arbell
1 Edmond von Lippman, Historia do Asuçar (Rio de Janeiro, 1942), vol. II, p. 14.
2 Guillermo de Carli, O Asuçar na Formaçao Economica do Brazil, dans Anuario
Açucarero (Rio de Janeiro, 1936), p. 7.
3 Leon Huhner le cite sous «Brazil», in Jewish Encyclopedia (New york, 1902),
vol. III, p.359.
4 Gilberto Freyre, The Masters and the Slaves : Study in the Development of
Brazilian Civilization (New York, 1946), p. XII.
5 Dr. Herbert J. Bloom, Study of Brazilian Jewish History, in : Publications of
the American Jewish Historical Society, 33 (1934), p. 52 et 55.
6 Processo de Manuel de Moraes, in Revista do Instituto Historico y Geografico
Brazileiro, 70 (1908), pp. 25-26.
7 Testamento Politico da Carta Escrita pelo Gonde D. Luis da Cunha, p. 54, cité
dans : Arnold Wiznitzer's Jews in Colonial Brazil (New York, 1960), p. 151.
8 Lucas manuscript, vol. II Barbados Museum and Historical Society 14, 1-2,
publié par M. Arbell : Portuguese Jews of Barbados, dans Nova Renasença,
Spring/Automn 1998, p. 358.
9 N. Darnel Davis : Notes on the History of the Jews in Barbados. Publications
of the American Jewish Historical Society, 18 (1909), p. 148.
10 Publié par Jan Jacob Hartsink : Beschryving van Quiana (Amsterdam, 1770), p.
940.
11 Werner Sambaot, The Jews and Modern Capitalism (Glencoe, Illinois, 1951), p.
35
12 R. P. Labat, Voyage de Chevalier des Marchais en Guinée et Cayenne
(Amsterdam, 1725),p. 90.
13 Jean-Baptiste du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les
Français (Paris, 1967), vol. III, p. 34.
14 Noel Deer, History of Sugar (London, 1949), vol. I, pp. 237-238.
15 V. T. Harlow, Colonizing Expeditions to the West Indies and Guiana 1623-1667
(London, 1924), p. 241.
16 Hilary Beckels, A History of Barbados - English Colonization - 1625-1644
(Cambridge G. B. 1990); p. 21 et Lucas Manuscript, p. 410.
17 Wilfred Samuel, A Review of the Jewish Colonists in Barbados, dans
Transactions of the Jewish Historical Society of England, 13 (1932-1935), pp.
401-404.
18 James Rodway, Guiana : British, Dutch and French (New york 1912), p. 60.
19 D. J. Meijer, Pioneers of Pauroma (Pomeroon), Paramaribo, 1954.
20 Box 30, Oppenheim Collection, dans les archives de l'American Jewish
Historical Society.
21 Cornelius Goslinga, The Dutch in the Caribbean and on the Wild Coast,
1580-1680 (Assen, 1985), pp. 418-423.
22 Lieut. général Byam, Journal of Guyana from 1665-1667. British Museum, Sloan
MS n°3.662. fol. 27.
23 Les accords de paix de Breda du 27 juillet 1667 et le traité de Westminster,
du 9 février 1674.
24 Public Record Office in London, Calendar of State papers, Colonial Series
America and the West Indies, art. 624, 11 July 1675.
25 Public Record Office - vol. 36 n°23, Calendar art. 818.
26 Historical Essay on the Colony of Surinam (Paramaribo 1786) p. 38, écrit par
Moshe de Leon, Samuel de la Parra, David Cohen Nassy et autres.
27 Du Tertre, pp. 460-461.
28 Du Tertre, pp. 462-463.
29 Du Tertre, pp. 463-464.
30 Pierre Pruchon (ed.) Histoire des Antilles et de la Guyanne (Toulouse, 1982),
pp. 93-94.
31 Louis XIV, «Code Noir, Edit du Roy servant de règlement touchant la police
des isles de l'Amérique Françoise», Versailles 1685.
32 J. Hartog, History of St. Eustatius (Aruba 1976), p. 39.
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