Article de Sylvestre KONIN publié sur http://www.midici.com/midi/?midi=detailart&idart=1502 :

« Opinion – Du 7 août 1960 au 7 août 2005, la Côte d’Ivoire n’a expérimenté que le «transfert de compétences». Comme en 1949, elle est une fois attaquée avec violence par la France parce qu’elle réclame sa liberté. Alors, Monsieur le président, l’indépendance, la vraie, c’est pour quand ?


Que célébrerons-nous au juste ce 7 août, jour de la fête nationale de notre pays, qui nous trouvera cette année encore en pleine crise ? S’il y a une chose que ces trois ans de crise n’ont cessé d’interroger dans la douleur, c’est notre indépendance, que nous croyions acquise en 1960 ! La maturation dans l’épreuve, et les diverses publications qui en ont résulté, ont fait resurgir un passé mal digéré qui nous a rattrapé. L’un des travaux les plus rigoureux sur le sujet, l’impressionnante biographie faite par Frédéric Grah Mel sur le bâtisseur de la Côte d’Ivoire moderne qu’est notre premier président Félix Houphouët-Boigny, nous replonge dans les détails et la vérité des faits de cette époque. Nous apprenons par exemple aux pages 761-762 de ladite biographie que : « le 14 juillet 1960, Houphouët rentre de Paris où il venait de signer trois jours avant (le 11 juillet) un accord de transfert des compétences détenues jusqu’alors au niveau de la Communauté ; devant le micro de Radio Abidjan, il rappelle la thèse qui avait sa préférence : réaliser avec la France, à terme, une fédération ; il n’a pas tenu à lui que cette thèse échoue ; dès lors ses amis du Conseil de l’Entente et lui ont dû tirer les conséquences de cet échec. » Arrêtons-nous sur cet extrait pour faire remarquer deux choses.
La première, c’est que notre premier président ne voulait pas de l’indépendance de notre pays, contrairement à ce qu’on laissera la propagande dire plusieurs dizaines d’années plus tard ! Il a dû faire avec l’échec de son projet, un peu malgré lui.
La deuxième chose est que cette «indépendance», comme on le comprendra plus clairement et plus tard avec la publication des «Servitudes du pacte colonial» du Pr. Mamadou Koulibaly, n’en était pas vraiment une ! Il ne s’agissait que d’un transfert de compétences de la Communauté (ensemble dont la Côte d’Ivoire fait donc toujours partie), à notre pays. On comprend ainsi beaucoup mieux les ingérences actuelles des autorités françaises dans nos «affaires intérieures», qui ne sont pas si intérieures que ça !
Donc le Houphouët résistant, qui s’était révolté en 1946 contre l’exploitation des agriculteurs de son pays en créant le Syndicat Agricole Africain ; le Houphouët qui avait créé le RDA et farouchement combattu pour la décolonisation, n’a pas voulu de l’indépendance de son pays, et a signé, en lui et place d’une véritable indépendance, un accord de transfert de compétences ! Cet accord, c’est Usher Assouan, rapporteur de la commission de la Législation, de la Justice, du Contrôle constitutionnel et des Règlements et Immunités, d’en exposer le contenu aux députés de l’Assemblée législative de Côte d’Ivoire réunie le 27 juillet 1960. Il ne comprend que deux articles : «Le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire d’une part, le gouvernement de la République française d’autre part, sont convenus de ce qui suit : Art. 1er : La République de Côte d’Ivoire accède en plein accord et amitié avec la République française à la souveraineté et à l’indépendance par le transfert des compétences jusque-là détenues par la Communauté. Art. 2 Toutes les compétences instituées par l’article 78 de la Constitution du 4 octobre 1958 sont, en ce qui la concerne, transférées à la République de Côte d’Ivoire dès l’accomplissement par les parties contractantes de la procédure de ratification.»
Voilà ce que nous avons considéré comme une déclaration d’indépendance ! A titre de comparaison, nous reproduisons seulement l’introduction et la conclusion de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis (1776) : « Déclaration unanime des treize États unis d'Amérique réunis en Congrès le 4 juillet 1776 : Lorsque dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l'ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l'opinion de l'humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation. (…) En conséquence, nous, les représentants des États-Unis d'Amérique, assemblés en Congrès général, prenant à témoin le Juge suprême de l’univers de la droiture de nos intentions, publions et déclarons solennellement au nom et par l'autorité du bon peuple de ces Colonies, que ces Colonies unies sont et ont le droit d'être des États libres et indépendants ; qu'elles sont dégagées de toute obéissance envers la Couronne de la Grande-Bretagne ; que tout lien politique entre elles et l'État de la Grande-Bretagne est et doit être entièrement dissous ; que, comme les États libres et indépendants, elles ont pleine autorité de faire la guerre, de conclure la paix, de contracter des alliances, de réglementer le commerce et de faire tous autres actes ou choses que les États indépendants ont droit de faire ; et pleins d’une ferme confiance dans la protection de la divine Providence, nous engageons mutuellement au soutien de cette Déclaration, nos vies, nos fortunes et notre bien le plus sacré, l'honneur. »A la lumière des deux déclarations d’indépendance, on comprend mieux pourquoi les Etats-Unis d’Amérique sont définitivement indépendants de la Grande Bretagne qui était à l’époque leur puissance colonisatrice, et pourquoi notre indépendance à nous est à chaque fois remise sur le chantier.
Hier le résistant Houphouët, qui avait commencé le combat de notre totale émancipation, a dû l’abandonner et y renoncer, certainement face à la brutalité et à la monstruosité de l’adversaire. Il avait préféré une « sage » collaboration, en espérant que cette stratégie conduirait peut-être son peuple au bonheur, tout en étant assuré du bonheur immédiat pour lui-même. Au soir de sa vie, Houphouët avait juste été comblé par la moitié de ces attentes : il a eu la paix et la richesse pour lui personnellement, mais une situation beaucoup plus mitigée pour son pays, entré dans une crise financière aigue. Situation qui l’a amené à constamment dénoncer la détérioration des termes de l’échange au soir de sa vie, à retenir en stockage son cacao, et à «subir» une dévaluation de la monnaie de son pays juste après sa mort.
La situation de crise armée que vit la Côte d’Ivoire aujourd’hui consacre l’échec de la politique de collaboration d’Houphouët, la France ayant «naturellement» sucé sa «néocolonie» sans retenue. La Côte d’Ivoire en crise, avec une population qui a cru exponentiellement, et dont le niveau d’éducation et de conscience se sont considérablement accrues, est à nouveau face à la même puissance dominatrice. Son actuel président, tout comme le premier avant 1960, a pris la tête de la révolte et de la résistance du peuple contre son exploitation et son maintien dans la dépendance. Comme si l’Histoire se répétait, la réaction de la France est restée invariablement brutale et monstrueuse comme en témoignent les évènements de novembre 2004, et toutes les autres attaques sanglantes qui ont suivi.
Houphouët avait l’excuse de ne pas savoir ce que donnerait la collaboration. Le peuple qu’il dirigeait à l’époque était moins instruit et moins conscient des enjeux. Le contexte international se prêtait à la dictature et aux assassinats qu’il a dû pratiquer pour mettre en place sa solution.
Aujourd’hui les temps ont changé. Le peuple est plus instruit, avec un accès à l’information «incontrôlable». La démocratie semble avoir pris ses droits envers et malgré tout. D’ailleurs, la première victime de cet environnement nouveau est la France, qui semble avoir plus de mal que d’habitude à «solutionner» son «problème». Son président s’essouffle sur le «problème» ivoirien, et sa position est devenue de plus en plus intenable, surtout après tous les revers indénombrables qu’il a subi ces derniers temps. Chirac est affaibli, en même temps que le monstre dont il est la tête.
Pendant ce temps, les signes que donne le président Gbagbo ne sont pas rassurants. Tout semble indiquer, que par «stratégie politique», il tente d’emprunter le chemin douillé de la «sage» collaboration alors même que le monstre est mourant et qu’il pourrait nous aider à nous en débarrasser une bonne fois pour toutes.
Nous sommes à la veille de la célébration de la date d’entrée en vigueur de notre transfert de compétence, mais aussi dans l’attente d’un véritable coup d’envoi pour le dernier round de la bataille pour cette fois arracher notre véritable indépendance. Le moment est historique.
Sylvestre KONIN »