Jean-Paul Moatti présentera les dernières études réalisées sur l'Afrique:
«Pour les pays pauvres, soigner est économique».
FAVEREAU Eric
Jean-Paul Moatti, économiste de la santé, est responsable à l'ANRS du programme d'évaluation économique des traitements dans les pays du Sud. Dimanche, il va livrer au congrès de l'IAS les conclusions des dernières études réalisées.
L'accès aux traitements anti-VIH est-il «rentable» pour les pays pauvres ?
Cette question peut choquer. Mais l'accès aux traitements dans les pays du Sud n'est pas seulement une nécessité morale, c'est aussi un bon choix économique (1). Ce qui met fin à des stéréotypes et des malentendus qui ont lourdement pesé jusqu'à présent. Il y avait, tout d'abord, l'argument classique consistant à dire qu'il fallait mettre l'accent sur la prévention. Car non seulement c'était moins cher, mais surtout cela réduisait les demandes futures de soins. C'est en partie inexact. Les deux prévention et soins sont complémentaires. Dans le cas du sida, c'est encore plus frappant. Dès que quelqu'un a accès aux traitements, cela change le rapport à la prévention. En Afrique du Sud, trois séropositifs sur quatre ne connaissent pas leur statut, et le taux monte à neuf sur dix chez les plus pauvres. En Côte-d'Ivoire, on a démontré que l'accès aux traitements augmentait la demande de prévention. Bref, on ne peut pas faire de la prévention sans également soigner.
Mais d'un point de vue économique ?
C'est là que les éléments sont les plus nouveaux dans ce qu'on appelle le rapport coût-efficacité. Que voit-on ? D'abord, l'arrivée des traitements entraîne de fortes économies de santé comme au Brésil, où les gens, s'ils n'avaient pas eu de traitements, auraient quand même été hospitalisés et pris en charge. Une étude, qui sera présentée ce week-end, montre qu'entre 1997 et 2001, l'accès aux traitements au Brésil de près de 125 000 patients a permis d'économiser plus de 2 milliards de dollars. Et entre 1996 et 2002, plus de 60 000 cas de sida ont été évités, de même que 90 000 décès et 358 000 admissions hospitalières.
Mais cela n'est «rentable» que dans des pays où les patients auraient été hospitalisés. Dans bon nombre de pays africains, faute de lits, on laisse les gens mourir. Où serait l'économie ?
Le critère coût-efficacité ne renvoie pas seulement aux dépenses de santé. Ce sont aussi les années de vie gagnées avec les traitements. Dans les pays du Nord, on considère que si le coût d'une année de vie gagnée est inférieur à deux fois le PNB par tête, c'est très avantageux. On a voulu appliquer ce critère dans les pays du Sud. Dans le volet de la contamination materno-foetale, une année gagnée coûte beaucoup moins de 30 dollars d'investissement. C'est un avantage énorme. En Afrique, pour un adulte, le coût d'une année de vie gagnée grâce aux traitements est évalué à 1 000 dollars. C'est là encore un avantage évident. En Inde, une étude de la Banque mondiale a montré qu'une année gagnée coûtait moins de 300 dollars par an, beaucoup moins que le PNB par habitant. De plus, dans tous ces calculs, on oublie de prendre en compte d'autres facteurs, comme le capital humain. Les études menées à l'ANRS, mais aussi à la Banque mondiale, révèlent que si l'on ne fait rien, par exemple en Côte-d'Ivoire, le PNB de ce pays sera divisé par deux en trois générations. L'Afrique du Sud, elle, reviendrait au sous-développement en trois générations. Là, le désastre économique serait incalculable.