Le Soir
ECONOMIE, mardi 23 août 2005

Afrique - Chaque mois, « Fishes of Burundi » envoie des milliers de poissons d'aquarium vers l'Europe
Une Belge fait voler les poissons africains

Du Congo à la Côte d'Ivoire. Du Burundi au Maroc. De Madagascar au Rwanda. Aux quatre coins de l'Afrique, on retrouve des Belges. Des compatriotes qui ont monté leur entreprise. Des Belges qui ont gardé un lien économique avec leur sol natal. Soit qu'ils vendent leurs produits chez nous. Soit que leur société mère est toujours en Belgique. Nous débutons aujourd'hui une série de portraits d'entreprises gérées par des Belges d'Afrique.

SÉRIE (1/5)

EMMANUEL NGENDANZI (Infosud)

C'est un virus attrapé dans l'Afrique des Grands Lacs et transmis de père en fille : l'élevage, l'acclimatation et l'exportation de poissons d'ornement. Collecte, reproduction, préparation au voyage vers les aquariums occidentaux, Mireille Schreyen et son équipe gèrent tout. Sur les rives du lac Tanganyika, à trois kilomètres de la capitale Bujumbura, Fishes of Burundi, « Poissons du Burundi » en français, s'étend sur 2 hectares de pisciculture. L'entreprise de Mireille Schreyen et de sa famille exporte vers l'Europe et les Etats-Unis des poissons ornementaux originaires du Burundi et du Malawi. Les sociétés Aquavita et Angélicus distribuent en Belgique ces cichlidés, très prisés des aquariophiles. Le critère de choix de nos poissons est qu'ils soient colorés, de petite taille et non agressifs envers les autres, précise la gérante.

A 59 ans, Mme Schreyen, née Brichard, est depuis toujours dans le métier. Son père, Pierre, avait quitté la région bruxelloise et débarqué en 1947 au Congo, à Léopoldville (l'actuel Kinshasa). Mireille n'a alors qu'un an. Son père s'intéresse aux poissons africains et devient pour quinze ans un des premiers exportateurs de poissons tropicaux du bassin du Congo. Après de nombreuses recherches en collaboration avec le musée de Tervuren, il devient un spécialiste des poissons du fleuve Congo et du lac Tanganyika, au bord duquel la famille Brichard émigre en 1970, à Bujumbura. En 1971, Pierre Brichard y ouvre une station de collecte et d'élevage : Fishes of Burundi, qui 34 ans plus tard, aux mains de sa fille et de son mari, jouit toujours d'une réputation de sérieux dans la profession et chez les passionnés. Le choix du Burundi n'était pas un hasard. Les connections aériennes y étaient bonnes, la situation meilleure pour les affaires qu'au Congo, et la faune et la flore du lac Tanganyika très diversifiées, et demandées. Selon Mireille Schreyen, biologiste de formation, y vivent des poissons qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde, et la température du lac, entre 20 et 26 degrés, en fait pour les cichlidés un milieu aquariophile par excellence.

Depuis 1971, sur les centaines d'espèces qui vivent dans les lacs Tanganyika et Malawi, l'entreprise en exporte près de 100 vers l'Europe et les Etats-Unis. Elle dispose de 140 étangs piscicoles de 25.000 à 30.000 litres d'eau pour la reproduction et de 180 bassins d'alevinage de mille litres chacun. Plusieurs bâtiments jalonnent le terrain, dont le plus grand est empli de bassins d'eau où sont conservés les poissons prêts à être exportés.

Chaque mois, l'entreprise déverse sur le marché européen et américain entre 3.000 et 8.000 poissons d'aquarium, et est en prospection sur le marché asiatique. Fishes of Burundi est une des grandes sociétés de pisciculture d'ornement en Afrique, affirme son manager. Avec ses 14 employés permanents, l'entreprise a prospéré jusqu'en 1990, mais, actuellement, c'est pénible, murmure Mireille Schreyen. Au départ, la société a pu profiter des avantages du code d'investissement au Burundi, en travaillant comme entreprise prioritaire pendant cinq ans, bénéficiant ainsi d'une exonération de taxes. Après 1989, l'entreprise a obtenu le statut de « société exportatrice », et le droit à une diminution des impôts de 50 %. Mais, depuis l'embargo qui a frappé le Burundi en 1996 et qui a forcé l'entreprise à arrêter ses exportations pendant sept mois, les choses tournent au ralenti, selon la propriétaire. Les conséquences se font toujours sentir, surtout au niveau de la navigation aérienne. Nous arrivons à nous maintenir, mais nos exportations ont chuté jusqu'à 40 % par rapport à celles de 1990. Il y a quinze ans, la société exportait 150 à 200 cartons par mois. Actuellement, elle arrive difficilement à en exporter une centaine. Moins d'une tonne de poissons. Vu l'amélioration de la situation du pays, Mireille Schreyen se dit

optimiste pour l'avenir. Car le retour des compagnies aériennes étrangères devrait élargir les possibilités d'exportations au départ du Burundi.·