Humanité
l'Humanité hebdo; France, samedi 22 octobre 2005, p. 10
« Les entreprises ne font jamais dans la philanthropie »
Entretien réalisé par Ch. C.
Pour l'économiste Bernard Conte de l'université de Bordeaux, le groupe Yves Rocher a la même ligne de conduite que toutes les autres firmes implantées en Afrique : il profite outrageusement d'une main-d'oeuvre à très bas prix.
Bernard Conte est économiste du développement et maître de conférence au centre d'études de l'Afrique noire de l'université de Bordeaux.
L'attitude du groupe Yves Rocher au Burkina est-elle symptomatique du comportement de multinationales en Afrique ?
Bernard Conte. La plupart des firmes occidentales implantées en Afrique adoptent une ligne de conduite similaire à celle d'Yves Rocher à Ouagadougou. Cet exemple donne à voir, tel un cas d'école, ce que peut produire la mondialisation néolibérale par la mise en concurrence des territoires et le dumping social. Les firmes multinationales ne font qu'appliquer la logique du profit maximal édictée par leurs actionnaires. Aussi horribles que soient les conditions de travail de ces ouvrières de La Gacilienne, cela se passe partout de la même façon aujourd'hui : en Afrique, en Asie, en Amérique latine... Les entreprises ne font jamais dans la philanthropie. Et si, comme cela s'est passé au Burkina, il y a des revendications sociales, l'unité de production est supprimée ou déplacée. Profiter de la main-d'oeuvre à bas prix porte un nom : le taylorisme sanguinaire.
Les gouvernements des pays d'Afrique noire peuvent-ils être un contrepoids efficace ?
Bernard Conte. L'exemple burkinabé est une micro-conséquence des programmes d'ajustement structurels et du consensus de Washington, imposés aux pays africains dès la crise de la dette en 1982. Les pays riches ont prêté de l'argent, mais sous conditions. Entre autres la privatisation et la libéralisation. Et la guerre économique à laquelle se livrent aujourd'hui en Afrique les impérialismes américain, européen ou chinois est permise car les firmes multinationales entretiennent des régimes prédateurs qui bradent les richesses des pays. Qu'il s'agisse des ressources naturelles ou du coût de la main-d'oeuvre. Ce qui est symptomatique, c'est que les régimes et les élites au pouvoir changent mais la structure de prédation et les multinationales restent. Exemple, le 12 octobre dernier : la concession d'électricité de la filiale commune entre Bouygues et EDF en Côte d'Ivoire a été renouvelée pour quinze ans malgré les récents changements politiques et les discours antifrançais du président Gbagbo.
Les projets de développement ne sont-ils pas des freins au libéralisme ?
Bernard Conte. L'Afrique reçoit très peu d'investissements directs : moins de 1 % de l'investissement mondial. L'instabilité politique et sociale est le principal obstacle au développement de l'Afrique aujourd'hui. Mais il existe de nombreux projets initiés par des multinationales qui obtiennent des aides financières publiques. Or un financement n'est jamais effectué de manière désintéressée. Il s'accompagne de contrepartie comme l'obtention de marchés pour des entreprises issues du territoire du prêteur. Certains projets de développement réussissent, quand ils sont initiés par des organisations non-gouvernementales. Or, contrairement à une entreprise, une ONG n'est pas tenue de dégager du profit. C'est pourquoi, la privatisation de l'aide au développement impulsée ces dernières années par les institutions internationales est une erreur car cela ne fait que renforcer l'élan néolibéral qui fait que le privé se substitue au public.
Catégorie : Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales; Économie mondiale
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