Le Devoir
Les Actualités, mercredi 26 juin 2002, p. A1
Obliger les entreprises à respecter l'Afrique
Le G6B fait ses recommandations aux membres du G8
Buzzetti, Hélène
Calgary - Les pays du G8 doivent reconnaître la responsabilité de certaines de leurs sociétés actives en Afrique dans l'aggravation des problèmes économiques et sociaux sur le continent et adopter un code d'éthique des entreprises, a conclu hier le G6B, le sommet parallèle à celui de Kananaskis.
Le Sommet des peuples s'est clôt hier après-midi à Calgary avec la présentation d'une série de recommandations portant sur 14 thématiques. Celles-ci ont été remises par les militants au ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, et à la ministre de la Coopération internationale, Susan Whelan, au cours d'une discussion publique à bâtons rompus. Les militants ont demandé qu'elles soient relayées aux chefs de gouvernement qui amorceront leur réunion aujourd'hui.
"Nous voulons que les leaders du G8 reconnaissent que les entreprises du G8 sont souvent partie intégrante aux problèmes vécus en Afrique", a déclaré Alex Neve, secrétaire général de la section canadienne d'Amnistie internationale. "La réponse du G8, jusqu'à présent, a été de s'en remettre à la bonne volonté des entreprises. Celles-ci doivent maintenant aborder cette question de front."
Au cours du week-end, les participants au G6B ont démontré que l'exploitation de ressources naturelles en Afrique (or, diamants, pétrole, bois précieux, cacao) favorise les conflits civils et s'accompagne souvent de violations des droits de la personne et de non-respect de pratiques environnementales rudimentaires.
Le cacao est lié au trafic d'enfants et à leur esclavage; l'or, au déplacement de villages entiers; les diamants et le bois, au financement de conflits civils. L'ONU et l'OCDE ont rédigé des codes d'éthique pour les entreprises, mais ceux-ci ne sont toujours respectés que sur une base volontaire.
"Nous devons aller au delà de la prolifération de ces codes, a lancé M. Neve. Nous devons maintenant nous assurer qu'ils sont obligatoires et qu'on surveille leur application."
En entrevue avec Le Devoir, le ministre Bill Graham a émis des réserves quant à la probabilité que les leaders du G8 se prononcent sur ce sujet cette semaine compte tenu de l'ampleur de leur ordre du jour. Il croit surtout que le G8 n'est pas le meilleur forum pour se pencher sur cette question.
"C'est peut-être au G8 [de se pencher là-dessus], mais c'est aussi aux Nations unies d'examiner cela. En effet, il faut avoir des lois généralement applicables, alors ce ne sont pas seulement trois ou quatre pays qui peuvent faire cela", a-t-il expliqué.
"Je ne dis pas que ce n'est pas une question importante, a poursuivi M. Graham, mais compte tenu du rôle du G8, de ce qu'il est et de ce qu'il y a à l'ordre du jour, il est peu probable que ça se retrouve au programme cette fois-ci."
Parmi les autres recommandations du G6B figuraient celles-ci:
- annulation de 100 % des dettes des pays pauvres sans l'imposition de conditions par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international;
- interdiction de vendre des armes à tout gouvernement ou groupe armé susceptible de commettre des violations des droits humains;
- contribution de 7,3 milliards de dollars par année au Fonds global de l'ONU contre la sida, la tuberculose et la malaria;
- contribution annuelle de quatre milliards à l'éducation;
- ratification du protocole de Kyoto sur les changements climatiques.
"Le G6B n'est pas un événement isolé", a rappelé le président du comité organisateur, Saren Azer. "Il est en continuité avec ce qui s'est passé à Gênes, à Québec Nous nous inscrivons dans le mouvement global pour la justice sociale." M. Azer a reconnu que les chances que ces recommandations influencent de façon notable les discussions de cette semaine sont minces. "Nous savons cela, mais nous ne cesserons pas d'essayer de faire passer notre message."
La séance de discussion avec les ministres Graham et Whelan devant une foule d'environ 400 personnes s'est bien déroulée, bien que les politiciens se soient fait huer par les militants à quelques reprises. Ces derniers sont quand même repartis avec la promesse de M. Graham qu'il portera personnellement les recommandations au premier ministre Jean Chrétien.
"Ce sommet, le G6B, fait autant partie du sommet officiel que le sommet lui-même", a lancé M. Graham en conclusion. "C'est une innovation canadienne." Plus tard en entrevue, M. Graham a soutenu que le Canada avait, avec le Sommet des Amériques, mis au monde ce qu'il appelle la "diplomatie publique"
"On avait beaucoup de difficulté avec nos interlocuteurs de l'Amérique latine d'accepter le rôle de la société civile dans les négociations. C'est probablement un aspect de la négociation internationale où nous, au Canada, sommes un peu en avance sur d'autres."
Ottawa a versé 150 000 $ pour la tenue du G6B. Le coût total du sommet de Kananaskis s'élèvera à 300 millions de dollars.