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 Le prochain siècle sera-t-il celui des guerres de l’eau 4

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AuteurMessage
zapimax
membre mordu du forum
zapimax


Nombre de messages : 654
Localisation : Washington D.C.
Date d'inscription : 14/06/2005

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07102005
MessageLe prochain siècle sera-t-il celui des guerres de l’eau 4

16
sans financement de la Banque Mondiale, faute d’entente ni même de réelle volonté de
concertation avec les pays voisins.
La Turquie poursuit également l’objectif d’établir sa prééminence sur ses deux rivaux
syrien et irakien par le biais de sa mainmise sur l’essentiel de leurs ressources en eau, et ainsi de
se poser comme la puissance régionale militaire et économique majeure, autour de laquelle
graviteraient les républiques ex-soviétiques du Caucase. Les questions intérieures et
internationales sont liées, puisque le seul engagement que la Turquie ait bien voulu reconnaître,
soit garantir un débit minimal de l’Euphrate de 500 m³ par seconde, impose à la Syrie de ne plus
accueillir les rebelles kurdes sur son territoire.48 La Turquie pourrait même accroître sa
prééminence en menant à bien son projet d’aqueduc destiné à exporter de l’eau en Arabie
Saoudite et en Israël. Ce projet, appelé « pipeline de la paix », conçu en 1986, aviverait
certainement les querelles avec la Syrie et l’Irak si la Turquie allait de l’avant avec la vente d’eau
de son plateau anatolien qu’elle dénie à ses deux voisins arabes.49
Alors que les Américains promettaient dans les années 1960 de verser des sommes
considérables pour acheter l’eau des rivières du nord des Prairies canadiennes (Manitoba,
Saskatchewan, Alberta), le gouvernement canadien, appuyé par son opinion publique, a
délibérément préféré rejeter ce projet, réapparu lors des négociations sur le traité de libre-échange
de 1988, à cause du trop grand déséquilibre perçu qui caractérise les relations entre Canada et
États-Unis.50 En 1995, le gouvernement de la province de Colombie-Britannique a dû recourir à
une loi spéciale pour interdire par anticipation toute vente de droit sur des cours d’eau, pour
tenter de mettre fin aux pressions de divers groupes américains l’incitant à exporter de l’eau vers
le sud.
Le différend qui oppose Hongrie et Slovaquie sur le projet de barrage de Gabcikovo est
devenue une cause nationale : la crispation du gouvernement de Bratislava sur cette question
trouve son origine dans les mauvaises relations qu’il entretient avec Budapest au sujet de la
minorité hongroise de Slovaquie, d’une part, et dans les balbutiements du processus de
construction d’une identité nationale slovaque, encore à la recherche de symboles rassembleurs,
d’autre part : de fait, « en construisant le barrage, les Slovaques réaliseraient, enfin, la grande
entreprise nationale de l’avenir » ; quiconque s’y oppose, et notamment les Hongrois, est contre
la nation slovaque.51 C’est cet investissement identitaire sur ce projet de construction national qui
conduit au raidissement de la partie slovaque.
Conclusion
La question de l’eau est de plus en plus envisagée sous l’angle de possibles conflits que
pourrait déclencher son inégale répartition entre des pays dont les besoins augmentent très vite.
48 Le Monde, 29 janvier 1992.
49 AMERY, H., Cooperative Water Management in the Middle East, texte d’une intervention à la conférence Water
Ressources in the Middle East : Policy and Institutionnal Aspects, Urbana, Illinois, 24-27 octobre 1993
50 BOCKING, R., Canada’s Water : for sale ? James Lewis & Samuel, Toronto, 1972 ; LINTON, J., « Water export :
a Canadian perspective », Ecodécision, septembre 1992 ; The Economist, 17 juin 1995.
51 Courrier international, « Gabcikovo, la dernière valse sur le Danube », 27 mars 1997.
17
Alors qu’il ne faut pas négliger le potentiel qui demeure pour la négociation et la coopération
régionale dans la gestion de ces questions52, il n’en demeure pas moins que même les résultats
positifs, comme le traité israélo-jordanien de 1994, ne pérennisent pas une harmonie précaire du
fait des équilibres démographiques changeants et des évolutions socio-économiques, mais aussi
géophysiques, les nappes phréatiques n’étant pas inépuisables.
Il apparaît que la rareté de l’eau ne débouche pas automatiquement sur un litige, même si
les relations parfois cordiales ne sont pas nécessairement indice d’une coopération destinée à
satisfaire les deux parties, en témoigne le refus du Canada de céder aux demandes américaines de
cession de droits d’approvisionnement dans les rivières canadiennes du bassin de la baie
d’Hudson ou de Colombie-Britannique. La question de l’eau peut être un élément majeur d’une
crispation régionale, comme dans le cas de la question du Nil, mais souvent elle se surimpose à
d’autres litiges, territoriaux, socio-économiques ou politiques, qu’elle vient exacerber. Ainsi,
dans le conflit israélo-arabe, l’eau est-elle le pendant très logique de la question de la répartition
des terres et de la pérennité des économies qu’elles supportent ; entre Équateur et Pérou, le
conflit armé de 1995 n’est que l’avatar récent d’un litige frontalier ancien, et dont la crise
précédente remontait au conflit de 1941 ; même dans le cas de l’Égypte et du Nil, la volonté de
prééminence régionale, et donc les objectifs géopolitiques du Caire, ne sont pas étrangers au
conflit.
Les tensions produites par la rareté localisée de l’eau se multiplieront, et les
gouvernements des pays concernés seront confrontés à des alternatives difficiles. Mais, comme
pour la plupart des conflits portant sur des ressources, les crises futures sur l’eau ne se
multiplieront pas, suscitées par ce seul facteur de crise : l’eau, ou plutôt son difficile partage,
pour crucial qu’il soit, n’en sera que l’un des éléments.
52 FUSTIER, N., « L’eau facteur de conflit, facteur de coopération au Moyen-Orient », Les Cahiers de l’Orient,
n°44, 1996.
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