20 mai 1802
Bonaparte légalise l'esclavage
Par un décret du 30 Floréal An X (20 mai 1802), Napoléon Bonaparte
légalise l'esclavage. Dans le souci de stabiliser les colonies
françaises, le Premier Consul ne veut, si l'on peut dire, que maintenir
l'esclavage là où il n'a pas encore été aboli.
Un décret aux conséquences très limitées
L'esclavage a été en théorie aboli huit ans plus tôt par le
décret de Pluviôse. En réalité, cette mesure sans précédent votée par les députés de la Convention n'a pris effet qu'en Guadeloupe !
–
La Martinique, occupée par les Anglais jusqu'à la paix d'Amiens (25
mars 1802), n'en a pas profité et les planteurs, grâce aux Anglais, ont
conservé leurs esclaves.
– Dans l'océan Indien, les colons
de l'île de la Réunion et de l'île de France (aujourd'hui l'île
Maurice) ont réussi à s'opposer à l'application du décret.
– Quant à la grande île de Saint-Domingue(aujourd'hui
Haïti), elle a attendu le départ des Anglais, chassés par Toussaint
Louverture en octobre 1798, pour appliquer le décret et abolir
l'esclavage. Encore les anciens esclaves n'ont-ils troqué leur statut
que pour celui de travailleurs forcés.
Les colonies en ébullition
À Saint-Domingue, Toussaint Louverture
ne veut pas en rester à sa victoire sur les Anglais. Le 8 juillet 1801,
le leader noir chasse les Espagnols de la partie orientale de l'île et
se nomme Gouverneur général à vie de l'île réunifiée.
Il mène une politique indépendante et signe des contrats de commerce avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.
C'est
plus que n'en peut supporter Napoléon Bonaparte. Dès 1799, celui-ci
caresse le désir de reconstituer un empire colonial aux Amériques
«conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789».
Profitant du répit offert par la paix signée à Lunéville avec l'Autriche, il décide de rétablir à Haïti la souveraineté française.
Le
14 décembre 1801, une flotte de 36 navires appareille de Brest avec
23.000 hommes sous le commandement du général Leclerc pour reprendre Saint-Domingue.
L'expédition est plus importante que celle que Bonaparte conduisit en
Égypte trois ans plus tôt... Son échec sera encore plus dramatique !
Le
2 mai 1802, une autre flotte de 11 navires débarque 3500 hommes en
Guadeloupe sous le commandement du général Antoine Richepance. Elle a
pour mission de restaurer l'ordredans l'île où un conseil animé par des officiers de couleur a pris le pouvoir.
Un décret mal inspiré
Bonaparte signe enfin le décret par lequel il légalise à nouveau l'esclavage dans les colonies où il perdure.
L'esclavage
revient à priver les hommes de couleur de leur citoyenneté et les
travailleurs des plantations de leur salaire ; les maîtres ont le droit
de punir leurs esclaves sans passer par la justice civile.
Le Premier Consul est encouragé à abolir le
décret de Pluviôsepar Cambacérès, avocat des planteurs, et sa propre femme, Joséphine de
Beauharnais, issue d'une riche famille créole de la Martinique, les
Tascher de la Pagerie ; l'un et l'autre mettent en avant les
difficultés des milieux d'affaires coloniaux depuis l'abolition de
1794...
Par-delà son caractère immoral, le décret du 30
floréal va avoir pour la France un résultat désastreux en poussant à la
révolte les anciens esclaves de Saint-Domingue et en précipitant la perte de l'île.
Le décret du 30 floréal An X (20 mai 1802)
AU
NOM DU PEUPLE FRANÇAIS, BONAPARTE, premier Consul, PROCLAME loi de la
République le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30
floréal an X, conformément à la proposition faite par le Gouvernement
le 27 dudit mois, communiquée au Tribunat le même jour.
DÉCRET.
ART.
Ier Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité
d'Amiens, du 6 germinal an X, l'esclavage sera maintenu conformément
aux lois et réglemens antérieurs à 1789.
II. Il en sera de même dans les autres colonies françaises au-delà du Cap de Bonne-Espérance.
III.
La traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies, auront
lieu, conformément aux lois et réglemens existans avant ladite époque
de 1789.
IV. Nonobstant toutes lois antérieures, le
régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux réglemens qui
seront faits par le Gouvernement.
Le Premier Consul, infatigable, ne s'en tient pas à la légalisation de l'esclavage. Animé par un sentiment
«raciste» qui le distingue de la plupart de ses contemporains, encore pétris de l'esprit des
Lumières, il prend plusieurs mesures qui renouent avec le préjugé de couleur des décennies précédentes et l'aggravent nettement...
Naissance du préjugé de couleur
Jusqu'au
milieu du XVIIIe siècle, les souverains européens toléraient
l'esclavage aux colonies mais n'assimilaient pas les esclaves aux
Noirs. Ils ne tenaient pas ceux-ci pour une race inférieure vouée à
l'esclavage comme l'atteste la présence d'un certain nombre d'Africains
dotés de fonctions élevées à la cour de Versailles et dans d'autres
cours européennes, y compris Saint-Pétersbourg, avec l'aïeul africain
du poète Pouchkine.
Au milieu du siècle, deux mentalités se développent et s'opposent, parfois au sein des mêmes personnes :
– L'une est inspirée par la raison et l'humanité, en conformité avec l'
«esprit des Lumières»et la doctrine chrétienne. Elle porte les élites pensantes à dénoncer
l'esclavage et les préjugés à l'égard des autres races. Elle est
illustrée par les fort beaux textes de Voltaire et Montesquieu sur ce thème et mieux encore par la mobilisation contre la traite de Wilberforce en Angleterre et Grégoire en France.
–
L'autre est née du fantasme d'invasion lié à l'arrivée d'Africains de
plus en plus nombreux dans les colonies mais aussi en métropole, comme
serviteurs ou enfants des colons de passage (à l'exemple d'Alexandre Dumas père) ou
«petits nègres» offerts aux dames de la bonne société (image ci-contre).
On
commence à se prémunir contre cette menace en érigeant des barrières
réglementaires, intellectuelles et morales. C'est la naissance du
«préjugé de couleur».
Voltaire, qui n'en est pas à une contradiction près, formule quelques sentences formellement
«racistes» au sens moderne du mot, c'est-à-dire établissant une hiérarchie entre ce qu'il est convenu d'appeler les
«races»humaines. Quant à Montesquieu, s'il est à l'abri de semblables
inepties, il ne rechigne pas plus que Voltaire à investir dans le commerce triangulaire.
Plusieurs
ordonnances, sous le règne de Louis XVI, dénoncent les unions mixtes et
légifèrent contre l'immigration noire en métropole, en fait limitée à
quelques centaines d'individus, au motif que
«terre de France ne porte pas esclave». Le 9 août 1777 est créé un système de
«dépôt» dans les ports pour les esclaves qui accompagnent leur maître.
Après la Révolution, le Premier Consul reprend cette tradition tardive et la renforce.
«Je suis pour les blancs, parce que je suis blanc. Je n'ai pas d'autre raison, et celle-la est la bonne,» déclare-t-il au Conseil d'État en 1802. Le 29 mai 1802, il exclut de l'armée les officiers
«de couleur», le 2 juillet, interdit le territoire métropolitain aux
«noirs et gens de couleur» et le 8 janvier 1803, interdit les mariages mixtes.
Bonaparte
supprime aussi d'un trait de plume l'Institution nationale des
Colonies, créée 5 ans plus tôt à l'instigation de l'abbé Grégoire pour
promouvoir les enfants des colonies quelle que soit leur couleur de
peau. Les 22 élèves noirs de l'institution, qui étaient appelés à
devenir officiers, sont affectés comme simples tambours dans autant de
régiments !
Fabienne Manière.
http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=18020520