07 novembre 1805 : Quand Napoléon Bonaparte promulguait la ségrégation anti-nègre
20/11/2003
L’emblématique bâtisseur de la grandeur impériale française, de ses institutions historiques, de son système de formation des élites, entouré d’une aura maçonnisante d’éclairé, a aussi légué une contribution indélébile au racisme français, par le sort réservé aux mulâtres, aux hommes et femmes à substrats africains, allant jusqu’à inscrire dans la loi la ségrégation anti-nègre dont il ne se cachait pas.
Malgré le rôle de tout premier plan joué par les soldats nègres et mulâtres dans les guerres napoléoniennes, à l’instar de l’héroïsme du général Dumas, père du célèbre romancier Alexandre Dumas, Napoléon Bonaparte n’a eu de cesse de rétablir les Nègres, Africains comme il les appelait tous, dans l’enfer de la servitude totale de l’esclavage des colonies.
L’arrestation de Toussaint Louverture le libérateur de Saint-Domingue, futur Haïti, s’inscrivait dans une vision plus large et un dessein global obscur que Bonaparte réservait aux Africains et originaires d’Afrique.
Par l’arrêté du 16 Brumaire an XIV ou du 07 novembre 1805, Napoléon promulgue le Code civil aux colonies, son article 3 est très explicite sur la conception des rapports inter-raciaux qui animait l’homme d’Etat :
« Les lois du Code civil relatives au mariage, à l’adoption, à la reconnaissance des enfants naturels, aux droits des enfants dans la succession de leurs père et mère, aux libéralités faites par testament ou donations, aux tutelles officieuses ou datives, ne seront exécutées dans la colonie que des Blancs aux Blancs entre eux, et des affranchis entre eux, sans que par aucune voie directe ou indirecte aucune des dites dispositions puisse avoir lieu d’une classe à l’autre. »
Nulle surprise que ne soient pas mentionnés les esclaves, biens meubles par nature, ils ne peuvent rentrer dans une législation concernant les humains…Par contre les ex-meubles, affranchis, doivent ne pas trop bousculer l’ordre établi, la hiérarchie de race, une et omnipotente.
Les mariages inter-raciaux sont donc interdits et toutes libéralités, héritages dont un descendant mulâtre d’un parent blanc aurait pu bénéficier.
De tels dispositifs ont apporté des touches successives et décisives à une vision du monde raciste et ségrégationniste, n’imaginant qu’une division du travail social avec spécialisation internationale des mélanodermes dans le travail servile d’esclave. La longue socialisation et l’intériorisation des complexes et attitudes de supériorité raciale découlent en une part non négligeable de cet inconscient impérial et de l’ensemble de dispositifs historiques, lois, règles non dites, implicites de tous genres qui assignent une place fixe de supplicié aux mélanodermes.
Il est à remarquer que peu de chercheurs et de personnes qualifiées ou auto-qualifiées intellectuelles, peu d’autorités politiques, morales, religieuses aux prises avec les réalités de l’exclusion ethnique ou la travail de mémoire interculturel, relèvent la pensée raciale de Napoléon au nombre des égarements de celui-ci. C’est que dans l’esprit de l’élite occidentale active, cette conception de supériorité et de ségrégation, de spécialisation internationale de la servitude ne pose pas réellement problème, malgré un pathos et une incontinence verbale sur les droits de l’homme, sur la résolution par la génétique en une espèce singulière du genre humain tout entier. Le terrain du partage des richesses sociales, culturelles et matérielles à l’échelle planétaire décape en général tous les conservatismes, et le choix volontaire de la domination pour ceux dont la position systémique permet de discerner les entrelacs de la prédation capitaliste.
C’est tout ce processus de commerce et copinage avec la barbarie, que Aimé Césaire a nommé ensauvagement de l’Occident. Et c’est cet ensauvagement au contact des cultures extra-européennes qui a rendu le Blanc capable de génocides sur d’autres Blancs. Cette vision exterminationniste du monde avait déjà fait ses classes sur des peuples lointains, différents, il a suffit de ré-appliquer les grilles d’exclusion, de catégorisation, de classement, de hiérarchisation entre Blancs cette fois pour produire en Europe -nazisme- des effets d’anéantissement observés dans les rapports des Européens avec les peuples exotiques, Africains, Arabes, Orientaux, Amérindiens.
L’éradication de la pensée raciste occidentale et de son complexe de supériorité sont une condition de pérennité …des Occidentaux eux-mêmes, de leur civilisation, que la rencontre de leur puissance technologique avec des conceptions racistes revisitées pourra anéantir plus vite que l’on ne l’imagine.
Déconstruire les logiques, archéo-logiques sur lesquelles se soutiennent sans même en avoir conscience les préjugés ethniques, religieux, raciaux implique souvent de remonter le cours de leur production historique, leurs porte-parole, les représentants qui se sont installés dans les mémoires collectives sans que l’on songe des siècles plus tard à réévaluer ou à destituer leur autorité dépassée.
Lire Calendrier des crimes de la France Outre-mer, Jacques Morel, L’esprit frappeur, 2001
Pierre PRECHE
Ven 13 Mar - 5:29 par maria0033