Franc-maçonnerie : Une association secrète au Sénégal depuis 1781
Association,
en partie secrète, de personnes qui professent des principes de
fraternité, se reconnaissent entre elles à des signes et à des emblèmes
et se divisent en groupes appelés "Loges", la franc-maçonnerie qui est
au coeur de l’actualité nationale depuis le fameux droit de réponse du
président Wade au journal français « L’Express » en date du 7 février
2009, n’est pas une nouveauté au Sénégal. En effet, la première loge
maçonnique a été créée par le Grand Orient en 1781 à Saint-Louis.
Blaise Diagne, premier député africain élu à l’Assemblée nationale
française en 1914, était devenu franc-maçon en 1899. En sa mémoire, une
loge Blaise Diagne a été fondée à Dakar en 1977. "Le Réveil" était une
publication franc-maçonne sénégalaise. Dans un pays majoritairement
musulman, la franc-maçonnerie s’est heurtée aux islamistes intégristes.
Cependant, en 2007, il y aurait 200 francs-maçons actifs au Sénégal, en
particulier de jeunes adeptes.
Assimilée à tort ou à raison à une nébuleuse où le
sexe, l’argent et le pouvoir se confondent, la franc-maçonnerie qui est
définie par l’assemblée des grands maîtres européens en 1952 comme "une
institution d’initiation spirituelle au moyen de symboles" ; aurait
pour but le perfectionnement de l’homme et de l’humanité. Bien
qu’existant au Sénégal depuis 1781, ses adeptes, en tout cas à Dakar,
seraient environ au nombre de 200 répartis dans trois loges. "Ici, vous
avez trois loges. On peut dire que le nombre est estimé à 200, même si
je ne maîtrise pas les effectifs. C’est une maçonnerie en plein
développement, dynamique. D’ailleurs, tout à l’heure, j’étais en tenue
et il y avait l’ensemble des frères de Dakar qui étaient réunis. J’ai
constaté qu’il y avait beaucoup de jeunes. Il y a même un frère qui a
fait une planche qui nous a dit qu’il est âgé de 30 ans. C’est très
important parce qu’en France, la maçonnerie, depuis quelques années,
est un peu vieillissante, même si on voit tout de même qu’il y a un
retour de l’intérêt de la jeunesse vers la maçonnerie". C’est là, une
révélation de Jean Michel Quillardet, le Grand Maître du Grand Orient
de France (Godf), une des plus anciennes loges maçonniques françaises,
le 20 avril 2007, à Dakar. Chef de Godf depuis septembre 2005, il est
avocat de profession. Il était en visite dans notre pays à la rencontre
de ses frères maçons et aussi pour assister au 30ème anniversaire de la
loge Blaise Diagne et s’est, à cette occasion, confié à notre confrère
"Le Soleil".
Les mystères de la Franc-MaçonnerieCertains pensent que c’est un lieu de libertinage où la
sodomie, des pratiques et comportements contre-nature sont légion.
« Faux », répond, ce responsable des trois points…, nous parlant sous
le sceau de l’anonymat. « Chez nous, il n’y a aucun acte répréhensible.
Nous sommes dans la solidarité. En atelier, pour étrenner nos grades,
il nous faut faire preuve d’intelligence, de travail et de dévouement
pour tendre vers la perfection. C’est notre credo en atelier. Il y a
parmi nous, les gens de toutes les confessions, mais c’est qu’entre
frères de loges, les croyances politiques et religieuses sont laissées
hors du lieu de culte. Nous travaillons à la recherche de la vérité,
dans la discipline et l’éthique. N’importe qui ne peut pas être
franc-maçon. Pour l’être, il faut avoir une position intellectuelle ou
professionnelle importante. Rien de ce qui se dit du dehors dans nos
pratiques n’est vrai. D’ailleurs, un franc-maçon ne dénonce jamais un
frère. Et on n’y entre pas pour en sortir. On y reste pour l’éternité,
à moins que nos comportements nous valent des sanctions pouvant aller
du blâme à l’exclusion. Cependant, on ne réussit pas à l’examen du
bandeau qui nous fait passer du monde des ténèbres à celui des lumières
pour ensuite abandonner. Là, on signe un pacte avec Hiram Abi (tué
entre les colonnes Nord Jakin (J) ou le symbolisme solaire, place des
apprentis et celle du Sud, Boaz (B) ou le symbolisme lunaire, place des
compagnons), à l’honneur de qui, la maçonnerie est née ».
Ce n’est pas ce qu’en disait M. Jean Michel Quillardet,
le Grand Maître du Grand Orient de France, en visite à Dakar, le 20
avril 2007. Selon lui : "La maçonnerie, c’est l’élitisme. Mais,
entendons-nous sur le mot élitisme. C’est un élitisme pour tous.
Autrement dit, on ne vient pas au Grand Orient de France parce qu’on
est de telle ou telle classe sociale, parce qu’on a telle
responsabilité professionnelle ou tel diplôme. Ça ne nous intéresse
pas. Mais, comme on sélectionne les gens qui viennent au Grand Orient
de France, on essaie de sélectionner ceux qui ont une curiosité
intellectuelle, qui ont une capacité humaine, une humanité et qui ont
envie de s’engager dans le combat pour les valeurs humanistes. Cela
peut être partagé par tout le monde, quelle que soit votre origine
sociale, votre profession ou vos diplômes. C’est la raison pour
laquelle, lorsque la maçonnerie se définit de cette manière, ce n’est
pas contradictoire avec notre conception de la démocratie. La
maçonnerie est à l’image de la société. On a un recrutement qui est
plus classe moyenne. On a des employés, des ouvriers chez nous. Ils ne
sont pas majoritaires chez nous, faut pas se voiler la face. Mais, là
aussi, il faut faire évoluer la maçonnerie, comme il faut faire évoluer
la société, pour une plus grande démocratisation. La maçonnerie, c’est
essayer de découvrir dans la personne en face de soi et qui souhaite
entrer dans le Grand Orient, toute une espèce d’approche de la vie.
C’est-à-dire que quelqu’un a envie de donner un sens dans sa vie, de
s’améliorer, d’aller à la rencontre de la différence et de s’engager
dans la société, sur ses valeurs qui peuvent réunir tout un ensemble de
gens quelle que soit leur singularité".
D’autres personnes approchées par nos soins nous
inviteront à revisiter les archives, et ainsi, savoir que la
Franc-maçonnerie existe au Sénégal depuis 1781. Et à son origine chez
nous : Les quatre Loges de Saint-Louis du Sénégal de 1781 à 1899.
1781 : Saint-Jacques des Trois vertusParler des débuts de la Franc-maçonnerie (FM) au
Sénégal, c’est évoquer les quatre Loges successives de Saint-Louis du
Sénégal avant que ne soit allumés les feux de la première Loge de Dakar
en 1899. C’est aussi incidemment rappeler que le bicentenaire de la FM
au Sénégal aurait pu être fêté en 1981. En effet, selon ce document,
« en l’an de vraie lumière 5781, le 9ème jour du 5ème mois maçonnique
et de l’ère vulgaire, 9 juillet 1781, la Respectable Grande Loge de
France convoquée en Assemblée Générale..., le Respectable président
Excombart tenant le maillet à l’Orient... » note dans son compte
rendu : « Art. 6. Lecture faite d’une lettre envoyée par le Vénérable
Maître Chorier en date du Sénégal par laquelle, il demande un
changement en sa lettre de constitution, au lieu d’être sur Paris, il
désire qu’elle soit pour le Sénégal… En 1784, cette loge est bien en
place puisqu’une lettre du Vénérable Maître Chorier à l’Orient de
St-Louis rédigée « le 6ème jour du 4ème mois de la L.V.L. 5784 au
moment où la frégate met la voile » recommande au président de la Loge,
son second surveillant le T.’.C.’.F.’., J. B. Balichon, « c’est un
excellent Frère que je vous recommande beaucoup, tous les services que
vous lui rendez maçonniquement compteront comme à moi-même... ».
Mais qu’en est-il de cette loge « Saint-Jacques des
Trois Vertus » et des membres qui la composent ? Quelle est son
importance dans la ville de Saint-Louis ? On peut penser que cette
Loge, dont le V.’.M.’. Chorier était marchand tapissier à Paris,
s’adresse surtout à des éléments puisés dans l’armée et
l’administration majoritaires dans la ville naissante, et dans le monde
du commerce lié à la compagnie du Sénégal, auxquels viennent
s’adjoindre quelques négociants établis à leur compte et de petits
artisans. Quelle relation établir justement avec Durand le directeur de
la Compagnie du Sénégal et qui dans une lettre du 28 mars 1786 adressée
à Hennin aux Affaires Étrangères à Versailles annonce : « Nous perdons
M. le Comte de Repentigny et son remplacement est une perte irréparable
pour la colonie. Nous vivions comme deux frères raisonnables... ».
De même, on peut s’interroger sur l’existence d’une
Loge Anglaise entre 1809 et 1816, les Britanniques étant à nouveau
maîtres de St-Louis. Dans l’état actuel de nos connaissances
« St-Jacques des Trois Vertus » de la GL est donc entre 1781 et 1787
( ?), la première Loge Maçonnique au Sénégal.
1823 : « La Parfaite Union »A Saint-Louis, 8ème jour du 5ème mois 1823, 8 juillet
1823, animés du désir de travailler régulièrement, des Francs-maçons
demandent au Grand Orient de France (GODF) d’accorder « des
constitutions qui régularisent la Loge élevée à l’Ordre de St-Louis
sous le signe distinctif de La Parfaite Union, conformément au voeu de
la délibération prise le 24ème jour du 4ème mois 1823 »… Le Tableau de
« La Parfaite Union » à cette date du 24 juin 1823 comprend 12 membres
inscrits dont les principales caractéristiques sont d’être soit
attachés à la Marine, soit Négociants. De plus, c’est une Loge
relativement jeune puisque le plus âgé est né en 1779 et la plupart des
membres, initiés vers l’âge de vingt vingt-cinq ans, sous l’Empire, ont
entre trente et quarante ans sous la Restauration… Au total, à la suite
du Baron Roger leur Vrai Maître d’honneur, les Frères Francs Maçons
(FF) ont pignon sur rue à divers titres dans St-Louis ; d’ailleurs dans
cette logique, le premier initié à St-Louis même est Pellegrin
François, maire de l’Île, choisi institutionnellement dans la puissante
société Métisse de St-Louis et dont le rôle est celui d’intermédiaire
entre le gouverneur et la population. Il faut attendre juin-juillet
1824 pour que l’allumage officiel des feux s’opère avec une Loge et un
Chapitre, tous les deux au nom de « La Parfaite Union ».
1874 : L’Union SénégalaiseLe 14 avril 1874, sous une IIIème République
balbutiante, le Frère Simon adresse à Paris une lettre : « Déjà, nous
avons eu des réunions... La Loge aura à subir probablement quelques
ennuis de la part de l’influence occulte qui agit contre la Maçonnerie.
Il a fallu longtemps pour atteindre le faible résultat actuel... » Le 3
mai, la Nouvelle Loge « L’Union Sénégalaise » affiliée au GODF
travaillera aux deux rites, français et écossais ; les tenues ayant
lieu le ler vendredi de chaque mois ». La Loge a pour timbre un cercle
avec trois palmiers, en relation certainement avec la rue du Palmier où
s’installe le temple. Le tableau des effectifs annonce quatorze frères
dont la moitié initiés à Bordeaux et ceux-là même étant négociants les
autres sont de la Marine… Il faut remarquer que le nom de cette
nouvelle Loge commence par le mot « Union », celui-là même qui
terminait l’appellation de la Loge précédente ; comme pour assurer à la
fois une continuité et une différenciation « La Parfaite Union » est
suivie de « L’Union Sénégalaise ».
La Loge « L’Union Sénégalaise » est installée le 22
septembre 1874. Et dès son installation, trois capitaines au long court
partent. Ils font aussitôt passer au grade de maître avec dérogation
Camus, Epaulard et Domecq pour avoir le nombre de maîtres nécessaire à
l’ouverture des travaux. Ce qui laisse perplexe quant au tableau de
trente quatre membres inscrits annoncé par courrier du 12 décembre.
Lors de l’installation de la Loge, le Frère Merle dans son discours
précise que « beaucoup de membres appartiennent à l’armée,
l’administration, la marine ». Seuls Merle, Beynis et Delaplace, tous
trois initiés à Bordeaux, sont négociants… Le 4 avril 1876, « Le
Moniteur », page 57, publie l’abrogation de la décision autorisant
l’ouverture de la loge « considérant que plusieurs membres de la Loge
maçonnique se sont permis d’organiser l’après-midi du 28 de ce mois (de
mars) des funérailles du chef de service des Ponts et Chaussées. Signé
gouverneur Valière ». Le 11 avril, la Loge « L’Union Sénégalaise »
adresse un rapport signé par le Vénérable Maître Burot, à noter la
rotation des Vénérables sur l’incident : effectivement des FF ont tiré
une triple batterie de deuil au cimetière. A cette occasion, la Loge
dénonce le climat hostile qui se développe à St-Louis à l’encontre de
la Maçonnerie.
Le GODF reçoit au cours du mois de mai des demandes
d’intervention en faveur de la Loge du Sénégal, émanant des Loges de
Bordeaux. Le 12 juillet Grivet Louis informe Paris que bien que fermée
par l’autorité, la Loge dissoute a initié en présence de sept de ses
membres un profane qui leur demandait la lumière. Cette tenue a eu lieu
le 26 mai ; parce qu’"il faudrait des maçons appelés à y vivre
définitivement...". En 1877, Merle, retiré à Bordeaux, exprime son
mécontentement au GODF dans la mesure où rien n’est fait pour la loge
de St-Louis. En 1878, il revient à la charge par courrier du 28
octobre : « Les nombreux travaux du Conseil de l’Ordre font différer la
solution de notre affaire. La situation n’est plus tenable si vous ne
venez à notre aide par des démarches auprès du Ministère de la
Marine ». Le 30 novembre encore, Merle propose une solution
trompe-l’oeil à l’usage externe : mettre en sommeil « L’Union
Sénégalaise » condamnée par le gouvernorat et rallumer les feux de « La
Parfaite Union » du nom de l’ancienne Loge…
Dès le 8 mars 1881, après une interruption de près de
cinq ans et demi, la Loge « L’Union Sénégalaise » se réunit en son
local, rue de la Mosquée, pour élire son nouveau Vénérable Beynis
entouré de ses officiers : Massips, Laplène, Allys, Pronnier, tous
négociants, Crespin avocat, Ryckman, capitaine de marine, et Taylor,
pasteur. Le négoce qui vient de l’emporter sur le plan profane avec le
départ de Brière de l’Isle s’impose majoritairement dans la Loge. Mais
les grands ténors, à deux ou trois exceptions près, ne sont plus là
comme du temps de « La Parfaite Union » cinquante ans plus tôt ; la
place de la Loge « L’Union Sénégalaise » dans la cité se présente de
façon plus limitée, face à des réactions plus hostiles du milieu
profane majoritairement catholique. Aussi en 1881-82, les Frères
Francs-maçons s’efforcent de renforcer leurs rangs. Ils multiplient
leurs tenues et affilient le maximum d’impétrants. En même temps, ils
s’efforcent, par les planches faites en Loge, de donner à la fin, un
intérêt plus grand aux tenues et une possibilité d’extériorisation
valorisante. C’est dans cet esprit qu’un long rapport établi par Ruault
sur la création d’une école d’apprenti pour les hommes de couleurs et
anciens esclaves est adressé au gouverneur et au GODF : le point de
départ de ce rapport est en fait une question mise à l’étude de la loge
sur le passage d’esclave à ouvrier. Le choix du sujet correspond d’une
part aux préoccupations des Républicains en matière de scolarisation et
d’autre part situe la Loge dans le débat sur l’esclavage qui a provoqué
ces derniers mois des tensions accrues à St Louis au point de rendre
obligé le départ de Brière de l’Isle. Que le nouveau gouverneur et le
GODF soient informés des prises de position de la Loge place « L’Union
Sénégalaise » sur l’échiquier.
Lun 16 Fév - 22:35 par mihou