Des statines pour tout le monde, après la cinquantaine? 13 février 2009
– Pas moins de 80 % des personnes de plus de 50 ans devraient prendre
des statines afin de réduire leur risque d’être atteint d’une maladie cardiovasculaire, selon une étude qui vient d’être publiée
1.On
estime qu’aux États-Unis, une personne sur quatre prend des statines
(25 %), parmi les hommes de plus de 50 ans et les femmes de 60 ans et
plus. Cette proportion devrait être de 58 %, d’après les
recommandations officielles américaines édictées par des comités
d’experts
1.À l’origine, les statines ont été commercialisées afin d’abaisser le taux de cholestérol sanguin, considéré comme un important facteur de risque de troubles cardiovasculaires.
Haro sur la protéine C-réactiveMais à l’automne 2008, une étude intitulée JUPITER
2démontrait qu’une classe de statines – la rosuvastatine – pourrait
jouer un autre rôle : abaisser le taux de protéines appelées
« C-réactive », un marqueur de l’inflammation. Les résultats de JUPITER
indiquaient que le médicament Crestor
permettrait de réduire de moitié
le risque de crise cardiaque chez les personnes montrant des signes
d’inflammation élevée. Notons que cette étude a été financée par le
fabricant du Crestor
, AstraZeneca.Janvier 2009, une autre étude
est publiée : extrapolant les résultats de JUPITER, ses auteurs
concluent que jusqu’à 80 % des hommes de plus de 50 ans et des femmes
de 60 ans et plus devraient prendre des statines
1.Février 2009, un autre joueur apparaît dans la « lutte » aux protéines C-réactive : la compagnie Pfizer
3 annonce que le Lipitor
– le médicament le plus vendu au Canada
4– permettrait d’abaisser jusqu’à 55 % ces marqueurs de l’inflammation
chez les personnes aux prises avec une « maladie coronarienne stable ».
Un facteur de risque inventé?Nombre
de scientifiques et de médecins mettent en doute la pertinence et
l’utilité d’ajouter le taux de protéines C-réactive aux autres
indicateurs sur lesquels ils se basent pour prescrire des statines à
leurs patients.« JUPITER est une belle étude, mais elle n’est pas applicable à la pratique, a récemment affirmé le D
r Paul
Poirier. Si je diminue la mortalité d’une personne sur mille sur la
base du risque inflammatoire, ça signifie que je traiterai 999 patients
pour rien... Ce serait une hérésie. »
5Pour
le Dr André Carpentier, rien ne prouve que l’inflammation soit
responsable des événements cardiovasculaires. « Dans l’étude JUPITER,
le Crestor
abaisse les taux de protéines C-réactive, mais il diminue
aussi le cholestérol : on ne peut conclure lequel de l’inflammation ou
du cholestérol réduit le risque de maladie cardiovasculaire. »
6Dans la récente édition de la revue canadienne
Nutrition Action, le D
r Thomas
Pearson, un cardiologue américain spécialiste de l’inflammation,
précise qu’avoir un taux élevé de protéines C-réactive ne signifie
nullement qu’on a un coeur en danger. « Cette protéine n’est qu’un
marqueur d’inflammation. Il n’est pas l’ultime facteur de risque
d’athérosclérose. »
7Il y a deux ans déjà, une médecin américaine, la D
re Lisa
Schwartz, publiait d’ailleurs une étude remettant en question l’idée
d’ajouter ces protéines spécifiques aux critères déjà existants pour
évaluer la pertinence de prescrire ou non des statines aux patients.
« Jusqu’à 65 % des personnes à haut risque de maladies
cardiovasculaires ne prennent pas de statines, déplore-t-elle. Plutôt
que d’adopter des stratégies basées sur le taux de protéines C-réactive
– dont les bienfaits ne sont pas démontrés –, on devrait plutôt
s’assurer de traiter les patients les plus à risque », indique-elle
8.De
plus, l’étude JUPITER n’a pas démontré que le Crestor
réduisait le
nombre de décès à la suite d’un événement cardiovasculaire, souligne la
D
re Schwartz.
Le « rôle grandissant » de l’industrie pharmaceutiqueD’après
les spécialistes interrogés par PasseportSanté.net, l’industrie
pharmaceutique exerce une pression constante pour élargir le marché des
statines. Tant sur les gouvernements que sur les médecins eux-mêmes.« Les
préoccupations portant sur le rôle grandissant des compagnies
pharmaceutiques dans la recherche médicale et de son impact sur les
médecins sont réelles », écrit le D
r Dominique Grandmont,
président intérimaire de l’Association des cardiologues du Québec, dans
une lettre publiée récemment dans le journal
Le Soleil9.Cependant,
il soutient que « des mécanismes de contrôle ont été mis en place »
pour s’assurer que les groupes d’experts qui révisent la littérature
scientifique demeurent indépendants de l’industrie.Sur un autre
front, un débat a actuellement cours aux États-Unis sur une demande
effectuée par la compagnie Merck aux autorités américaines : le pouvoir
de vendre directement sur les tablettes – sans prescription - une
statine à faible dose commercialisée sous le nom de Zocor.Pour l’heure, cette demande vient d’être refusée
10.
Mais le précédent existe déjà : depuis 2004 en Angleterre, il est
possible de se procurer le Zocor sans avoir préalablement consulté son
médecin.
Martin LaSalle – PasseportSanté.net 1. Spatz ES,
et al, From
Here to JUPITER: Identifying New Patients for Statin Therapy Using Data
From the 1999–2004 National Health and Nutrition Examination Survey,
Circulation, publié en ligne avant la version imprimée le 13 janvier 2009, doi: 10.1161/CIRCOUTCOMES.108.832592
2. Ridker PM, Danielson E,
et al, JUPITER Study Group. Rosuvastatin to prevent vascular events in men and women with elevated C-reactive protein.
New England Journal of Medicine, 2008 Nov 20;359(21):2195-207.
3. Communiqué émis le 3 février 2009 par Pfizer, qui fabrique et commercialise le Lipitor. Pour consulter le communiqué, : www.pfizer.ca [consulté le 12 février 2009].
4. Le Lipitor est le médicament le plus prescrit au Canada, tandis que le Crestor arrive au 5
e rang. Pour connaître les 50 médicaments les plus prescrits au pays : www.imshealthcanada.com.pdf
5. Le D
r Paul
Poirier est professeur adjoint en pharmacie à l’Université Laval et
directeur du programme de prévention/réhabilitation cardiaque à
l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de l’hôpital
Laval, à Québec.
6. Le D
r André Carpentier est médecin
endocrinologue et chercheur spécialiste des lipides sanguins au Centre
hospitalier universitaire de Sherbrooke.
7. Liebman B, Slow burn : how inflammation can trigger a heart attack,
Nutrition Action,
January/February 2009, 3-7. À noter qu’en 2002, le cardiologue Thomas
Pearson a co-présidé un groupe d’experts créé par l’American Heart
Association pour étudier le rôle des marqueurs de l’inflammation sur le
risque cardiovasculaire.
8. Woloshin S, Schwartz LM,
et al, Estimating the impact of adding C-reactive protein as a criterion for lipid lowering treatment in the United States,
J Gen Intern Med. 2007 Feb;22(2):197-204.
9. Grandmont D, Cholestérol : au-delà de la médecine spectacle,
Le Soleil, 23 janvier 2009.
Source: www.passeportsante.net