Pour la Guinée du "non" à De Gaulle, 50 ans de perdus Par Boureima Diallo | L'Observateur Paalga | 02/10/2008 | 16H33
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Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans
l’esclavage », avait lancé au général de Gaulle, en 1958 à Conakry, Ahmed Sékou Touré,
alors jeune leader nationaliste, pour justifier son exigence immédiate,
marquant ainsi le refus de la Guinée d’appartenir à la communauté
franco-africaine si chère au grand maître blanc.
Fortement courroucé par ces propos, l’homme d’Etat français n’avait
aucunement fait preuve de résistance pour accorder à la Guinée son
indépendance.
Ce 2 octobre, cela fait exactement un demi-siècle, que ce pays a
accédé à la souveraineté nationale, faisant ainsi de lui le premier
Etat d’Afrique subsaharienne à avoir obtenu son indépendance de la
France.
C’est pour cela que, du côté de Conakry, Kankan, Farana, Labé ou
Nzérékoré, on se démène pour mettre les petits plats dans les grands
pour que les festivités soient à la hauteur de l’évènement : grandioses.
Un Président grabataireEt tout le pays attendait fébrilement l’adresse à la Nation du
président de la République. C’est vrai que pour un homme d’Etat aussi
grabataire que Lansana Conté,
perclus depuis plusieurs années par la maladie, et qui reste une sorte
d’objet volant non identifié dans la scène politique, prononcer un
discours reste un véritable événement, même si, comme il l’a toujours
clamé, ce sont ses pieds qui lui posent problème et non sa tête.
A défaut de montrer aux yeux de l’opinion publique de son pays et du
monde la moindre réalisation tangible en un quart de siècle de pouvoir
absolu, les Guinéens peuvent au moins, pour une des rares fois, se
consoler en le suivant sur la RTG. Et cette adresse présidentielle est
d’autant plus attendue qu’elle pourrait un tant soit peu fixer les
populations sur l’état de santé de leur Président, qui souffre d’un
diabète chronique et surtout les fixer sur l’avenir de leur pays qui,
depuis, n’a cessé de tourner au ralenti.
Mais si à Conakry les esprits simples se contentent de vivre ces
festivités dans une joyeuse insouciance, pour bien d’autres - et ils
sont nombreux -, l’heure est au questionnement sur leur avenir ; et
plus que jamais l’anxiété et l’angoisse prennent le pas sur l’optimisme
béat d’antan.
Un bilan squelettiqueEn effet, en un demi-siècle d’indépendance, le bilan reste
squelettique au triple plan économique, politique et social pour ce
pays d’une dizaine de millions d’habitants, vivant sur un territoire de
245 857 km2, et qui fut le plus prospère de l’Afrique occidentale.
Potentiellement très riche grâce à son sol bien fertile, avec un
réseau hydrographique dense et un sous-sol où on trouve à profusion
bauxite, fer, or et uranium, la Guinée reste paradoxalement très
pauvre, reléguée au rang de 160e sur un total de 177 pays selon les
indicateurs humains du Pnud.
Pas d’eau, pas d’électricité, pas de routes, pas de grands hôtels
dignes de ce nom, pas d’hôpitaux. Le choléra y est endémique dans les
grandes villes, et un habitant sur deux n’a pas accès à l’eau potable.
Le taux d’alphabétisation est d’environ 30% et, dans certains quartiers
de Conakry, les maisons ne sont autres que des bâtisses à l’aspect
médiéval, où le locataire présente les stigmates d’un malade de longue
durée.
C’est dans cette catastrophe morale et physique que le pays d’Ahmed
Sékou Touré se relève néanmoins aux yeux du monde entier pour célébrer
ses 50 ans d’une indépendance dans laquelle le Guinéen n’a jamais connu
le bonheur.
Pendant que bien des pays sont à la traîne à cause des nombreux
coups de force et autres putschs sanglants qui imposaient d’éternels
recommencements, avec ces pertes d’énergie, de temps et d’argent, en ce
qui concerne la Guinée, on ne peut aucunement mettre en avant
l’argument d’instabilité chronique pour justifier un quelconque retard.
En effet, en 50 ans d’indépendance, elle n’a jamais bien su ce
qu’est une élection libre, n’a connu que deux chefs d’Etat qui, chacun
à sa manière, ont littéralement vendangé le progrès en déstabilisant
tous les paramètres du développement économique et social de ce pays.
De Sékou Touré le dictateur...Le premier, Sékou Touré, que l’on pourrait appeler père de
l’indépendance, leader progressiste dont le caractère dictatorial
allait crescendo, s’est contenté, vingt-six ans durant, de fustiger
l’impérialisme à travers ses nombreux discours, de terroriser
l’intelligentsia, de mettre à mort presque tous ceux qui étaient
susceptibles de lui faire ombrage, tout en oubliant soigneusement
d’emprunter les chemins du progrès social.
Selon un décompte macabre effectué par des sources indépendantes, on
estime que le Président Ahmed Sékou Touré s’est rendu coupable de la
mort ou de la disparition de quelque 50000 personnes. Et pour ne pas
passer de vie à trépas, plusieurs centaines de milliers de Guinéens ont
sagement choisi la voie de l’exil.
C’est ainsi que, du 2 octobre 1958 au 26 mars 1984 (date de son
décès), l’homme d’Etat guinéen, par la force du pouvoir autoritaire, a
complètement défiguré le social de son pays.
Mais si le premier président de la Guinée n’a pas réussi à ajouter
de la terre à la terre (comme dirait Me Frédéric Titenga Pacéré) pour
résoudre les problèmes basiques de son peuple, on ne peut aucunement
lui faire cependant le reproche d’avoir gaspillé les énormes
potentialités de son pays. A sa mort, à Cleveland, au pays de l’Oncle
Sam, elles étaient encore presque intactes.
... à Lansana Conté l'officier colonial terneSékou Touré est un politique doublé d’un manœuvrier, qui a fait ses
premières armes dans le syndicalisme ; et son successeur, Lansana
Conté, un militaire de la coloniale. Mais là n’est pas leur seule
différence car, autant le premier brillait par son charisme, autant le
second reste un homme terne, qui ignore véritablement d’où il vient et
surtout à quel port d’attache il entend amarrer l’avenir des Guinéens.
Retranché dans sa ville de Wawa depuis une demi-dizaine d’années,
car cloué par la maladie, il laisse la Guinée voguer au rythme des
quelques éclaircies de son état de santé. Au pouvoir depuis le 24 avril
1984, il aura, lui, fait déjà un quart de siècle au pouvoir sans
apporter une quelconque touche nouvelle à la gestion du pouvoir d’Etat,
si ce n’est que se contenter du quotidien.
Le premier magistrat malade, la Guinée l’est aussi ; et les maux
tels la corruption rampante, l’absentéisme, les détournements des
maigres deniers de l’Etat, bref la malgouvernance, inconnus sous l’ère
Sékou Touré, en sont de nos jours le lot quotidien.
Et c’est dans un pays qui tourne au ralenti, dans une indifférence
quasi générale, que l’on célèbre le 50e anniversaire. Et pour le
Guinéen qui ne finit pas de manger de la vache enragée, c’est 50 ans de
perdus.
En partenariat avec : http://www.rue89.com/2008/10/02/pour-la-guinee-du-non-a-de-gaulle-50-ans-de-perdus