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La rhétorique du Métissage
La rhétorique du Métissage ou l'art de neutraliser l'affirmation identitaire
lundi 23 juin 2008 | par Tshibwabwa Mua Bay
Le 22 septembre dernier, Hewan et Max-Laure, initiatrices de
Kheperankh-Street, un nouveau concept de transmission culturelle à
travers le chant et la danse Hip-Hop, donnaient une conférence de
presse pour présenter leur projet.
Etaient présents dans la salle, des médias communautaires et
généralistes, des associations, des parrains, des supporters et des
curieux. Après l'exposé du projet, le public est invité à poser ses
questions et les créatrices s'attendent à donner plus de détails sur
l'organisation et le contenu des cessions de transmission. Mais
l'attention du public est en réalité focalisée sur un seul mot :
« Noir ». Partant du constat que « à enseignement et talent égaux dans
le Hip-Hop, ce sont toujours les même qui réussissent et toujours les
mêmes qui restent sur le tard… », Kheperankh-Street est dédié à la
« Jeunesse noire » et s'appui sur « les arts de rue Noirs ». Une
affirmation tellement extraordinaire qu'elle en étonne une assistance
pourtant à 90% noire. La première question qui fuse est donc :
« Kheperankh-Street est-il ouvert à tout le Monde ? ».
Personne n'a de mal à comprendre le sens de ce « ouvert à tout le
Monde ? », qui veut dire en réalité « ouvert aux Blancs ? » Et les
créatrices de réaffirmer un positionnement pourtant clair et sans
concession : « Kheperankh-Street est fait par Nous, pour Nous et avec Nous ».
Comme incrédules face à une telle "transgression", certaines personnes
dans le public s'entêtent et reposent la question : « Kheperankh-Street
est-il ouvert à tout le Monde ? ».
C'est alors qu'une jeune femme métisse prend la parole pour dire : « Moi
je suis Métisse, mon fils il est métis, la race noire c'est plein de
nuances de couleurs, du très foncé au très clair, dans l'histoire il y
plein de métis qui ont fait plus pour la cause des Noirs que les Noirs
eux-mêmes, donc quand vous parlez de Noirs, vous parlez de quoi
exactement ? ». Cette intervention est aussitôt suivie de la prise
de parole d'une autre invitée qui vient occuper la scène pour affirmer
son métissage « corse-guadeloupéen », sans se soucier du fait que son
ego n'a aucun rapport avec le sujet de cette conférence de presse. Et
de fait, on se demande si ces personnes sont là pour s'intéresser au
projet de fond qu'est Kheperankh-Street ou si elles s'en servent comme exutoire à leur malaise identitaire. A ce stade tout le monde comprends que le message de Max-Laure et de Hewan
va être brouillé, parasité par cette revendication du métissage, qui
remet constamment en cause la notion même d'identité noire, et par
conséquent, toute initiative visant à la valoriser, à la singulariser,
à l'affirmer.
Un métissage qui, comme par hasard, remet toujours en question
l'identité noire, mais jamais l'identité blanche… Inutile de dire que
l'intervenante "guadeloupéenno-corse" n'aurait jamais, au grand jamais,
osé revendiquer son métissage devant une assemblée de Corses et encore
moins leur reprocher leur manque « d'ouverture ». Mais au sein de la
communauté noire, le métissage est une « vache sacrée », tout le monde
doit s'en émerveiller. La question-piège fonctionne donc à la
perfection, les créatrices de Kheperankh-Street sont prises entre deux
feux : réaffirmer leur engagement communautaire et passer pour des
racistes anti-Métis et anti-Blancs ou céder au chantage du métissage,
de l'antiracisme, de l'ouverture, de la tolérance et autres
"bien-pensances", et accepter de diluer leur message. Cette anecdote,
qui est en fait une véritable récurrence, est une parfaite illustration
de la manière dans la rhétorique du métissage neutralise l'identité
noire de l'extérieur comme de l'intérieur…
De l'extérieur, car les médias généralistes présents ont édulcoré sans
états d'âme la dimension identitaire du projet Kheperankh-Street. La
journaliste de Libération, présente à la conférence de presse,
a totalement dilué le sens de l'initiative visant à prendre en main une
jeunesse noire en perte de repères, et à lui ré-inculquer des valeurs
culturelles qui lui sont propres, à travers des arts qui lui sont
propres. Quant au magazine Vibrations, qui a également relayé
l'information, le mot « Noir » n'est pas cité une seule fois dans sa
chronique. Ces choix éditoriaux ne sont pas le fait du hasard et
concourent à cette construction idéologique paternaliste et
politiquement correcte qui vise, d'une part, à ne jamais donner la
moindre visibilité aux Noirs, surtout lorsque celle-ci est positive,
sous prétexte « d'antiracisme », et d'autre part, à s'approprier leur
créativité en l'englobant dans des concepts vagues, impersonnels et
totalement creux. Ainsi, jamais on ne parlera de « cultures noires »
mais de cultures « urbaines », « métissées », « plurielles », de
« diversité », de « multiculturalisme ».
Ce sont les publicitaires et agences de communication aux Etats-Unis
qui ont été les premiers à diffuser ces concepts marketing, car dès la
fin des années 70, il était évident que 90% de la culture américaine
sur le plan musical, vestimentaire, vernaculaire, voir gestuel,
provenait des ghettos noirs tels que Harlem. Il leur fallait donc trouver un moyen pour que la population blanche puisse s'approprier le Baggy, le Bling-Bling, le Hip-Hop
et autres codes culturels noirs, sans avoir à admettre qu'elle était
fascinée par la créativité de ces populations marginalisées et encore
moins à reconnaître qu'elle la copiait. C'est ainsi que le concept de
« culture urbaine » est né, pour se substituer à celui de « culture
noire ». De l'extérieur donc, c'est-à-dire dans le discours marketing,
médiatique et « républicain », tout est fait pour que les Noirs ne
puissent jamais revendiquer ou affirmer la paternité de leurs attributs
culturels, savamment dilués dans un discours « universaliste ». Et le
mécanisme est tellement bien ficelé, que si l'envie leur prenait de
passer outre, ils devraient s'attendre à des accusations de racisme et
de sectarisme.
De l'intérieur, le métissage a toujours été un bouclier historique et ô
combien efficace des populations blanches contre la rébellion des
populations noires. Il a même fait l'objet de véritables politiques
« raciales » dans de nombreux pays d'Amérique latine et d'Afrique
durant les périodes esclavagiste, coloniale et postcoloniale. A la fin
du 19ième siècle, alors que l'esclavage vient d'être aboli au Brésil,
les classes dominantes prennent peur en constatant leur infériorité
numérique face à cette population noire en liberté. Le gouvernement met
alors en place la politique du « branqueamento » ,
qui veut dire littéralement « blanchiment », et qui va consister à
favoriser l'immigration massive et subventionnée d'immigrés européens
afin de stopper la croissance démographique de la population noire, en
la diluant, en la blanchissant racialement, mais aussi culturellement.
Le jeune pays d'Amérique latine en quête d'européanité, veut se
débarrasser de l'influence « africaine », perceptible à toutes les
échelles de la société. Mais au-delà de son idéologie eugéniste, le « branqueamento »
répond surtout à une urgence sociale : neutraliser chez cette
population à peine sortie de 4 siècles d'esclavage, toute velléité de
révolte ou de vengeance. Brésil, Argentine, Colombie, Angola,
Mozambique, Namibie et Afrique du sud, Martinique, Porto-Rico, le
métissage a toujours servi à créer de multiples teintes, correspondant
à autant de strates sociales, et permettant aux classes dominantes de
désamorcer l'éternel duel Noir-Blanc.
Tout à leur fascination des teintes claires, qui affirment au sein
de leur propre communauté, la suprématie des canons de beauté blancs et
toutes les valeurs y attenant, les populations noires sont bien plus
occupées à s'auto-dénigrer, à s'aliéner et à se battre entre-elles,
qu'à se focaliser sur leurs véritables oppresseurs. Ces hiérarchies
savamment instrumentalisées servaient à créer l'illusion d'une
proximité, d'une blancheur accessible, d'un lien social et affectif
entre maîtres et esclaves. Formant une classe intermédiaire, en quête
de reconnaissance et d'élévation sociale, les Métis ont toujours servi
de remparts et très souvent d'alliés aux colons blancs lors des
insurrections d'esclaves. Hier déjà et aujourd'hui encore, l'idéologie
du métissage fonctionne sur le principe de « la carotte et le bâton ».
La carotte de l'ascension sociale et raciale, de l'élévation vers une
blancheur salvatrice et le bâton d'une négritude humiliante et
marginalisante.
Mer 25 Juin - 10:55 par mihou